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voyant pas au delà, ont compofé des nombreux volumes pour apprendre à des Profeffeurs de Latin à mefurer des fyllabes, à compafler des mots, & à differter fur le génie d'une langue, dont ils ne connoiffent feulement pas la prononciation ils : ont borné toute l'Education à cette foible branche d'une inftitution raifonnable, & n'ont par conféquent prefque rien fait pour les hommes naiffants, dont il falloit faire des Citoyens.

D'autres, perfuadés que le but de tout Inflituteur doit être de former des Citoyens utiles à la fociété, & des enfans refpectueux à la Religion, nous ont propofé des vues plus vaftes, & des plans plus étendus. Malheureufement ils ne connoiffoient le fublime emploi de faire des hommes que dans la théorie, & leurs fpéculations n'ont rien valu dans la pratique.

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Pour épargner à mes Lecteurs le long calcul de ceux qui, depuis Locke & Montagne, ont donné fur cette matiere intéreffante, des plans quelquefois utiles &

fouvent dangereux, & des vues faines avec des idées chimériques, je me bornerai à l'Emile de l'éloquent Rouffeau. Cet écrivain extraordinaire a raffemblé dans fon livre, fous le point de vue le plus féduifant, ce que j'ai trouvé de plus raisonnable dans tous les Instituteurs connus. Il a ajouté à la maffe de leurs idées, des idées qui n'étoient qu'à lui: du moins fe les eft-il appropriées par ce mode infinuant, & par cette éloquence brûlante, qui lui appartiennent exclufivement. Si fa théorie eut été praticable, fon livre eut rendu tous les autres écrits fur cette matiere inutiles, & on auroit dû s'y borner, en fupprimant les erreurs qui gâtent cet ouvrage original. J'ai lu fon livre, que tout le monde a lu, & je l'ai parcouru avec admiration & avec fcandale. Il eft rempli en effet de vues excellentes & de leçons fublimes. Quel malheur que fa méthode, fi belle dans la théorie, foit presque toujours impraticable dans l'exercice! Que fes grandes leçons de morale foient dégradées par la fin qu'il

semble se proposer d'exterminer la fociété, en ifolant les hommes, qu'il devoit rapprocher? Que fon livre entier foit abfolument déshonoré par des hardieffes contre notre augufte Religion, & par des propos féditieux contre les Gouvernemens Politiques! Enfin que cet Ouvrage, qui pouvoit & devoit être le code de la fageffe, le type des mœurs, & la fource du bonheur public, ne foit qu'un recueil de paradoxes, où quelque ivérités utiles font fuffoquées par les erreurs qui les enveloppent de toutes parts!

Nous voilà donc, avec tous ces beaux fyftêmes d'Education, auffi neufs dans ce grand Art que nous l'étions il y a dix fiecles; &, malgré tous ces prétendus fecours, le foin de faire des hommes eft auffi laborieux pour les Inftituteurs , que celui de faires des enfans l'eft pour les meres. Heureux encore ceux-là s'ils voyoient éclore avec fuccès le fruit de leurs travaux ! Mais ils ne forment le plus fouvent que de jeunes gens femblables à ceux qui nous étourdif

fent dans nos villes. Étoit-ce la peine de fe tant tourmenter?

Que faire donc? faut il refufer l'éduca tion à nos enfans ?.... Non; mais il faut choifir avec prudence dans nos Instituteurs ce qu'il y a de bon & de judicieux, en faire un plan d'éducation civile & chrétienne, & commencer à jouir de l'efpoir de voir enfin des hommes. Je ne ferai pas ici ce choix; il formeroit un volume trop confidérable. Je me contenterai d'indiquer la maniere de le faire; j'en donnerai un précis; j'ajouterai même mes idées & mes expériences aux idées de ceux qui nous ont mis fur la voie. Trente-cinq années d'exercice me donnent droit d'opiner fur cette grande affaire; & voici mon avis.

En naiffant l'homme eft foible, ftupide, méchant. Il faut donc, difent Locke, Montagne, & Rouffeau, donner des forces à fon corps, des lumieres à fon efprit, & des vertus à fon coeur. Mais, pour remplir ce glorieux & pénible emploi, on net fuivant la méthode ordinaire,

doit pas,

:

fe borner à quelques foins paffagers, à quelques froides leçons ou à quelques préceptes arides il faut travailler avec une attention & une patience, dont peu d'hommes font capables, à faire concourir au bonheur de ces hommes naiffants les forces que la nature leur donnera peu-à-peu, & qu'un exercice bien entendu doit augmenter fans ceffe; les lumieres qu'ils obtiendront du développement de leurs fens internes. & que le génie vigilant de l'Inftituteur doit amplifier fans relâche; & les paffions que le fentiment exaltera dans leur ame, & que la raifon doit redreffer par les passions mêmes, comme la pharmacie fait fervir les poifons à la fanté. C'est peu encore il faut les plier à ne trouver leur véritable bonheur que dans le bien. public: membres de la fociété dans laquelle & pour Jaquelle ils font nés, ils ne s'appartiennent pas à eux-mêmes, mais au corps dont ils font partie, & dont ils doivent être un jour l'appui, la gloire & les délices, par les forces du corps, les vertus du cœur & les lumieres de l'efprit.

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