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SUR

LA SCULPTURE (*).

MESSIEURS,

PERSONNE n'eft plus attentif que moi aux avis qui fe donnent dans cette académie. On y a fouvent encouragé les artistes à faire part à la compagnie de leurs réflexions fur nos arts. On y a dit auffi qu'un artiste ne devoit en parler que le crayon ou l'ébauchoir à la main, & laiffer aux amateurs éclairés le foin de nous entretenir de nos talents.

Quoique je fois affez de cette derniere opinion, j'ai un motif qui me détermine à ne pas m'y confor

(*) Si j'ai eu quelque justesse dans mes vues, elle fera au profit de l'art: fi je me fuis trompé quelquefois, & que je fois repris à propos, ce fera encore au profit de l'art. Je defirerois, en faveur des jeunes artistes, qu'on ne s'en tînt pas à cenfurer mes erreurs mais qu'on voulût bien appuyer cette cenfure fur des preuves folides.

Quant à la partie littéraire, le ftyle d'un artifte n'étant d'aucun poids dans les lettres, mes fautes en ce genre ne feront point contagieuses.

Tome III.

A

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mer aujourd'hui. On m'a demandé quelques réflexions fur la fculpture (a); & je n'ai pas cru, Meffieurs, devoir les produire fans les avoir auparavant foumifes à votre jugement.

Je les dois en partie aux leçons de M. le Moine, mon maître. Si d'ailleurs je préfentois quelques idées qui euffent befoin d'être rectifiées, pourrois-je les foumettre à un tribunal plus légitime & plus éclairé? C'est de lui principalement que je dois attendre lä correction de mes erreurs dans l'art.

LA SCULPTURE, après l'hiftoire, eft le dépôt le plus durable des vertus des hommes & de leurs foibleffes (b). Si nous avons dans la ftatue de Vénus l'objet d'un culte imbécille & diffolu, nous avons dans celle de Marc-Aurele un monument célebre des hommages rendus à un bienfaiteur de l'humanité.

Cet art, en nous montrant les vices déifiés, rend encore plus frappantes les horreurs que nous tranfmet l'histoire; tandis que d'un autre côté les traits précieux qui nous reftent de ces hommes rares, qui auroient dû vivre autant que leurs ftatues, raniment en nous ce fentiment d'une noble émulation qui porte l'ame aux vertus qui les ont préfervés de l'ou

(a) Elles ont été faites pour fervir à l'article Sculpture dans le dictionnaire encyclopédique.

(b) L'architecture caractérise également les nations; Les veftiges mêmes vont attester ce caractere à la postérité.

bli. Céfar voit la ftatue d'Alexandre; il tombe dans une profonde rêverie, laiffe échapper des larmes, & s'écrie: Quel fut ton bonheur ! à l'âge que j'ai, tu avois déja foumis une partie de la terre ; & moi, je n'ai encore rien fait pour ma propre gloire. Quelle gloire que la fienne! Il déchira fa patrie.

Le but le plus digne de la fculpture, en l'envifageant du côté moral, eft donc de perpétuer la mémoire des hommes illuftres, & de donner des modeles de vertus d'autant plus efficaces, que ceux qui les pratiquoient ne peuvent plus être les objets de l'envie. Nous avons le portrait de Socrate, & nous le vénérons. Qui fait fi nous aurions le courage d'aimer Socrate vivant parmi nous?

: La fculpture a un autre objet, moins utile en apparence; c'eft lorfqu'elle traite des fujets de fimple décoration ou d'agrément : mais alors elle n'en est pas moins propre à porter l'ame au bien ou au mal. Quelquefois elle n'excite que des fenfations indifférentes. Un fculpteur, ainfi qu'un écrivain, eft donc louable ou répréhenfible, felon que les fujets qu'il traite font honnêtes ou licencieux.

En fe propofant l'imitation des furfaces du corps humain, la sculpture ne doit pas s'en tenir à une ressemblance froide & telle qu'auroit pu être l'homme avant le fouffle vivifiant qui l'anima. Cette forte de vérité, quoique bien rendue, ne pourroit exciter, par fon exactitude, qu'une louange auffi froide

que

la reffemblance, & l'ame du fpectateur n'en féroit point émue. C'eft la nature vivante, animée, paffionnée, que le fculpteur doit exprimer fur le marbre, le bronze, la pierre, &c.

Tout ce qui eft pour le fculpteur un objet d'imitation, doit lui être un fujet continuel d'étude. Cette étude, éclairée par le génie, conduite par le goût & la raifon, exécutée avec précifion, encouragée par l'attention bienfaifante des fouverains, & par les confeils & les éloges des grands artistes, produira des chef-d'œuvres semblables à ces monuments précieux qui ont triomphé de la barbarie des fiecles. Ainfi les fculpteurs qui ne s'en tiendront pas à un tribut de louanges, d'ailleurs fi légitimement dû à ces ouvrages fublimes, mais qui les étudieront profondément, qui les prendront pour regle de leurs productions, acquerront cette fupériorité que nous admirons dans les ftatues grecques. S'il étoit permis d'en citer pour preuve les ouvrages de nos fculpteurs vivants, il s'en trouveroit dans Paris, dans les jardins de Choisi (a), & dans ceux de Sans-Souci (b).

Non feulement les belles ftatues de l'antiquité feront notre aliment, mais encore toutes les productions du génie, quelles qu'elles foient. La lecture

(a) Une ftatue de l'Amour, par Bouchardon.
(b) Un Mercure & une Vénus, par M. Pigalle.

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