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s'eft jamais bien expliqué, eft que Monheur de Rancé détrompé du monde, luy en parla avec beaucoup de mépris ; il luy en fit voir les illufions & les defor dres; comme les hommes pour la plûpart font faux & intereffez, comme ils rapportent tout à eux-mêmes, toûjours féduits & toûjours prêts à feduire les autres. Je vous laiffe peu de bien ( ajoûta-t-il) parce que je n'ay jamais trouvé le moyen d'en aquerir par des. voyes permifes, & que j'ay toûjours preferé l'honneur & la confcience à tout ce que la fortune a de plus féduifant. Je n'ay rien épargné pour vôtre éducation, j'ay toûjours crû c'étoit ce que les peres pouvoient faire de meilleur & de plus avantageux pour leurs enfans. Au refte craignez Dieu; que rien ne foit capable d'ébranler la fidelité que vous. devez au Roy. Ayez de la droiture & un attachement fincere pour vos amis. Ceux qui n'ont pas ces qualitez ne laiffent pas de les eftimer; c'eft le vray moyen de vous diftinguer & de vous faire une reputation folide & à l'épreuve de tous les contre-tems de la fortu ne; d'autres l'emporteront fur vous du côté de la naiffance, du rang, des biens, des dignitez on vous égalera dans lesi

que

fciences, on pourra même vous furpaffer; vous aurez peu de concurrens dans le chemin de la vertu. Suivez-le conftamment, & foyez perfuadé que vous n'aurez de fatisfaction veritable qu'autant que vous ferez folidement ver

tueux.

n'é

Monfieur de Rancé mourut quelques heures aprés luy avoir tenu ce discours. L'Abbé avoit le cœur trop bon pour n'en être pas penetré de douleur, il n'e pargna ni foins, ni dépenfe pour luy rendre les derniers devoirs; mais fur tout il n'oublia jamais le dernier entretien qu'on vient de rapporter ; il en par loit fouvent au milieu de fa retraite & de fa penitence aprés fa converfion; & il avoüoit qu'il en avoit été sensiblement touché.

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Portrait de l'Abbé de la Trappe : Sesi qualitez. Il abufe de la liberté & des biens dont il fe voit en poffef fion par la mort de fon pere. Il s'abandonne au luxe, & à l'esprit du monde. Il reçoit l'ordre de Prê

trife, & prend le bonnet de Dos

Eteur.

Lde la Maifon, vit augmenter par la

'ABB E' de Rancé qui étoit l'aîné'

fa

mort de fon pere fes revenus, de la Châ tellenie de Veret, une des plus belles & des plus agreables Terres de la Touraine, de celle des Clayes, & de plufieurs autres biens; de forte qu'il eut alors environ trente mille livres de rente.

Il étoit à la fleur de fon âge, n'ayant qu'environ vingt-cinq ans; fa taille étoit au-deffus de la mediocre, bien prife & bien proportionnée; fa phyfionomic étoit heureufe & fpirituelle, il avoit le front élevé, le nez grand & bien tiré fans être aquilin, fes yeux étoient pleins de feu, fa bouche & tout le reste du vifage avoient tous les agrémens qu'on peut fouhaiter dans un homme.Il fe formoit de tout cela un certain air de douceur & de grandeur qui prévenoit agrea blement, & qui le faifoit aimer & ref pecter. Au refte il étoit d'une complexion fi délicate que le moindre vent fuffifoit pour l'enrhumer; on avoit peine à comprendre comment il pouvoit refifter à la fatigue de la chaffe & de l'étude; mais on fut bien plus furpris,

lorfque depuis fa converfion malgré fes aufteritez continuelles, & les travaux d'une penitence qui n'a prefque point eu d'exemple dans les derniers fiecles,on l'a vû parvenir à une grande vieilleffe;preuve évidente que le courage nous manque bien plus que les forces, que rien n'eft impoffible à la grace, &qu'il suffit d'aimer Dieu autant qu'il l'a aimé entreprendre pour lui de grandes chofes. Pour ce qui eft de fon efprit, outre ce qu'on en a déja dit, on doit ajoûter qu'il l'avoit grand, élevé, folide & delicat tout ensemble. On peut fur cela renvoyer à fes ouvrages, ils en donneront une plus grande idée qu'on ne la pourroit donner icy.

pour

Une bonté finguliere, une droiture univerfelle faifoit comme le fond de fon cœur ; il étoit fincere dans fes difcours, fidele & tendre dans fes amitiez, bien-faifant jufqu'à n'avoir jamais manqué une occafion de fervir ceux qui ont eu befoin de fon fecours. En un mot jamais homme n'eut les mains plus nettes, n'aima mieux à donner & moins à prendre. Il haïffoit à peu prés comme il aimoit; auffi rude ennemi, qu'ami zelé; il fe corrigea fi bien de ce defaut depuis fa converfion, & il porta fi loin

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l'amour des ennemis, qu'on auroit cru qu'il en faifoit trop, fi l'on pouvoit exceder dans la pratique de l'Evangile; en general il donnoit un peu dans l'extrême, & ne demeuroit gueres dans la mediocrité; on verra l'excellent usage que la grace fit de ce caractere d'efprit, qui l'eût apparemment perdu s'il n'eût pas quitté le monde. Jamais homme n'a porté plus loin les talensde la converfation; la fienne étoit douce, aifée, polie, fçavante, & fublime même felon les perfonnes qu'il avoit à entretenir; on n'y trouvoit rien de gêné ny d'affecté, tout couloit de fource, tout étoit fpirituel jufques à fon filence.

Tant de qualitez naturelles & acquifes, foutenues d'un revenu confiderable, luy donnoient de grands avantages pour le monde; mais on peut dire qu'elles étoient un terrible obftacle à fon falut; le monde l'aimoit, & il aimoit le monde; un cœur tendre comme le fien étoit, pour ainfi dire, fans défenfe; les plaisirs le cherchoient, & il ne les fuyoit pas. Comme je n'ay pas entrepris de faire fon éloge, mais fon Hiftoire, & que fes égaremens ne peuvent fervir qu'à relever les mifericordes dont Dieu l'a enfin prévenu; je laisse à

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