faire ôter son gouvernement de Champagne. Jusques là Loup avoit cedé à la puissance de Les ennemis : mais il ne put se résoudre à perdre ce gouvernement, & il entreprit de s'y maintenir. Sur cela on le déclara ennemi de l'Etat, & on vint pour le forcer avec une armée qu'il attendit avec des forces très-inégales. Ce fut alors que la Reine Brunehaud fit paroître d'une maniere bien éclatante la considération & l'amitié qu'elle avoit pour luy, & en même temps une fermeté au-dessus de son sexe. Elle prit un habit de guerre, monta à cheval, vint au champ de bataille, se mit entre les deux armées sur le point qu'elles étoient d'en venir aux mains; elle cria plusieurs fois en paslant dans les rangs, qu'on perfécutoit un innocent, & qu'on se gardât bien de tuer un homme dont la perte entraîneroit celle de l'Etat. Ursion, un des Généraux de l'arinée de la Cour, eut l'insolence de répondre à la Reine qu'elle devoit se contenter d'avoir regné avec le Roy son mari; mais que fon fils étant sur le trône, c'étoit à eux & non pas à elle à se mêler des affaires; il osa même ajouter que si elle ne se retiroit, elle feroit foulée aux pieds de chevaux, & en même temps il commanda à ses troupes d'a : ; vancer; mais elles respectérent la Reine, qui sans s'étonner de cette menace continua ses inftances, & fit tant par sa fermeté, par fon adresse & par le talent naturel qu'elle avoit de perfuader, qu'elle einpêcha le combat. L'insolence d'Ursion ne fut point punie, parce que Gifle Evêque de Reims & d'autres Seigneurs le foutenoient. Cette action de fermeté & de vigueur de la Reine donna le temps au Duc Loup d'envoyer la Duchefle son épouse dans la ville de Laon. Ses terres néanmoins furent ravagées, ses maisons pillées, & il vit bien que tant que les chofes seroient ainfi, il ne pouvoit vivre en sureté dans fon Gouvernement de Champagne; il ceda donc pour un temps à sa mauvaise forttine, & le retira en Bourgogne auprès du Roy Gontran. Ce Prince qui connoissoit fon mérite, & qui haifoit Gifle Evêque de Reims, qu'il regardoit comme un factieux, un perfide & le boute-feu des guerres civiles; cc font-là en effet les qualités que les Historiens luy ont données: Gontran, disje, reçut le Duc de Champagne fort agréaBlement, & le traita avec beaucoup de bonte, tandis que fes ennemis profitoient de fes dépoüilles. Ses biens furent confifqués au profit du Roy d'Austrasie son Souverain, ou phitôt au profit de ceux qui Pen dépouille rent, & qui firent porter dans leurs maisons i Aussi-tôt Gifle & ceux de fon parti, à qui personne n'osoit plus s'opposer, firent réfoudre qu'on envoyeroit des Ambassadeurs en Neustrie pour faire alliance avec Chilpéric, & Gifle fut le chef de cette ambaflade; lorsqu'ils y arrivérent, Chilpéric étoit à Nogent fur Marne. Gifle en qualité d'Ambasladeur pria Chilpéric de se joindre à Childebert pour obli- 583. ger Gontran de renvoyer le Duc Loup avec les autres transfuges qui avoien passe du Royaume d'Austrasie en celuy de Bourgogne; ce qu'il accepta. La Ligue fit concluë, & en exécution les arinées furent mises en campagne; mais l'armée de Chlpéric fut battuë par l'armée de Gontran : cequi obligea Chilpéric de luy demander la paix. Le mauvais succès de cette guere fit que les soldats de l'armée de Childeber, pouflés par leurs Officiers qui n'étoient pa du parti de Gifle, demandérent qu'on leudivrât cet Evêque avec les Seigneurs de son parti qui avoient trahi les interêts de Childbert, en obligeant ce Prince de rompre avec Gontran; & en effet lorsque ces Seigneurs evinrent auprès de Childebert, les foldats d la garde crierent tout haut qu'il falloit se éfaire de 584. tous les traîtres qui avoient vendu le Roy & ses places aux ennemis de l'Etat; ils approchérent même auprès de la tente de Childebert pour les enlever. Gifle se sauva comme il put fur un cheval, & il ne s'arrêta que quand il fut arrivé à Reims, d'où il n'osa sortir de quelque temps. La Reine Brunehaud pendant l'absence de Gifle obtint de Childebert fon fils qu'il fit la paix avec Gontran. Par le traité de paix il fut dit que les fujets de chaque Royaume y retourneroient. Le Duc Loup, à qui Gifle avoit fait perdre les bonnesgraces de Childebert avec le Duché de Clampagne, qui avoit été donné à Guintriou Vintrio fils de Loup, felon quelques Hifbriens, fut remis en poffeffion des biens qu'l avoit dans le Royaume d'Auftrafie. L'anne suivante 584. trois des principaux Duo du Royaume d'Aust asie par les intrigues dela Reine Frédégonde, confpirérent contre ler Roy & contre la Reine Brunehaud sa inere. Le premier fut le Duc Ranchin ou Rancinge, qui se chargea de tuer Childebert, quen fut averti par Gontran Roy de Bourgoge. Ce jeune Prince envoya auffi-tôt querir Rnchin fous prétexte de luy communiquer qelque secret important: le Duc vint, & après que le Roy l'eut entretenu de plufieurs affares il le fit tuer par ses gardes à coups d'épée & jetter son corps par les fenêtres. Les autres Ducs complices de cette conf piration, l'un nommé Ursion & l'autre Bertfroy, devoient enlever ce Prince: mais voyant leur trahifon découverte, ils se retranchérent du côté de Vaivre entre la Meuse & la Moselle où étoient les terres d'Ursion, & s'enfermérent dans le château de Vabres qui étoit sur le haut d'une montagne & une espece de forteresse: ils y firent entrer des troupes & conduire ce qu'ils avoient de plus précieux, résolus de se bien défendre. Le Roy Childebert marcha en personne de ce coté-là avec Loup Duc de Champagne: l'attaque fut confiée à Godégésile gendre de Loup, qu'Ursion & Bertfroy avec l'Evêque Gifle avoient fi cruellement persécuté durant leur Miniftere. Quand Urfion & Bertfroy se virent prêts d'être forcés, & que les foldats de Godégéfile commençoient à se rendre maîtres de la colline, ils se refugiérent dans la petite Eglise de S. Martin, qu'Ursion avoit fait batir dans le château de Vabres. Godégésile les y investit & y fit mettre le feu; alors Ursion se voyant dans la nécessité de périr, fortit l'épée à la main, tua tous ceux qu'il rencontra en son chemin, & entr'autres un des Comtes du Palais, nommé Trudulfe, jusqu'à ce qu'ayant reçu une blessure à la cuisse qui le |