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tributaires dont elle tiroit des milices et de l'argent, en quelques troupes composées de ses propres citoyens, et en soldats mercenaires qu'elle achetoit dans les états voisins, sans être obligée ni de les lever, ni de les exercer, parce qu'elle les trouvoit tout formés et tout aguerris, choisissant dans chaque pays les troupes qui avoient le plus de mérite et de réputation. Elle mettoit ainsi tout d'un coup sur pied une puissante armée, sans dépeupler ses campagnes ni ses villes, sans suspendre les manufactures, sans interrompre son commerce. Si, dans le cours d'une guerre, elle éprouvoit quelque échec, ces pertes étoient promptement réparées par les sommes qu'un commerce florissant lui fournissoit. Cicéron, parlant des mœurs, des qualités et des défauts des différentes nations, donne aux Carthaginois, pour caractère dominant, laʼfinesse, l'habileté, l'adresse, l'industrie, la ruse qui conduit à la fourberie. Ce caractère étoit si fortement marqué TOME I.

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chez les Carthaginois, que, pour dési→ gner la mauvaise foi, on disoit une foi punique. Ils avoient, dit Plutarque, dans l'humeur et dans le génie quelque chose de dur et de sauvage, un air impérieux, une sorte de férocité qui les portoit aux derniers excès. Il Ꭹ . avoit chez les Carthaginois un tribunal établi exprès pour faire rendre compte aux généraux de leur conduite. A Car thage, un mauvais succès étoit puni comme un crime d'état, et un com→ mandant qui avoit perdu une bataille, étoit presque sûr, à son retour, de perdre la vie à une potence."

Les Carthaginois portoient ce ca→ ractère de férocité jusque dans le culte des dieux dans les grandes calamités, ils immoloient à ces dieux des victimes humaines. Diodore rapporte un exemple de cette cruauté, qu'on ne peut lire sans horreur. Dans le temps qu'Agatocle étoit près de mettre le siége devant Carthage, les habitans de cette ville se voyant réduits à la dernière

extrémité, imputèrent leur malheur à la colère de Saturne (1) contre eux, parce qu'au lieu des enfans de la première qualité, qu'on avoit coutume de lui sacrifier, on avoit mis frauduleusement à leur place des enfans d'esclaves et d'étrangers. Pour réparer cette prétendue faute, ils immolèrent à Saturne deux cents enfans des meilleures maisons de Carthage. Est-ce là, dit Plutarque, adorer les dieux ? et peut-on les supposer avides de carnage, et capables d'exiger et d'agréer de telles victimes?

(1) Saturne étoit fils du ciel et de la terre. Il eut de sa femme Rhéa plusieurs fils; mais sachant qu'un d'entr'eux devoit lui ôter l'empire, il les dévoroit tous après leur naissance. Rhéa sauva Jupiter, Neptune et Pluton. Jupiter, devenu grand, chassa du ciel son père, et le précipita au fond du Tartare avec les Titans. Rome et plusieurs villes d'Italie dédièrent des temples à Saturne, et lui rendirent un culte religieux. Il étoit communément représenté comme un vieillard courbé sous le poids des années, tenant une faux à la main, pour marquer qu'il préside au temps et à l'agriculture.

CHAPITRE SECOND.

PREMIÈRE GUERRE PUNIQUE (1).

An de Rome 488,-LES Romains, après avoir soumis tous les peuples d'Italie, ouvrirent un champ plus vaste à leur ambition. Les Carthaginois de leur côté, non moins ambitieux, étendoient leurs conquêtes de plus en plus, et s'approchoient de cette fameuse rivale qui avoit tout à craindre d'un peuple opulent et guerrier, qui possédoit l'empire de la mer. Les Romains au contraire, vainqueurs sur le continent, avoient peu ou point de forces maritimes l'art de la navigation étoit chez eux dans son enfance; quelques barques mal construites composoient leur marine, et nous allons voir ce peuple

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(1) On appelle ainsi les trois guerres que les Romains eurent à soutenir contre les Carthaginois.

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hardi, entreprenant, apprendre de ses rivaux mêmes l'art de les vaincre. Quelvaisseaux carthaginois, poussés par le naufrage sur les côtes d'Italie, servirent aux Romains de modèles pour en construire de semblables. Le consul Appius Claudius fut le premier qui tenta une descente en Sicile avec seulement des radeaux grossièrement construits. Il s'agissoit de passer le détroit de Messine (1), et de résister à une flotte carthaginoise bien équipée, et qui en gardoit l'entrée. Appius ne pouvoit se flatter, avec son frêle transport, de vaincre ces peuples à force ouverte; il employa la ruse. Il feignit de renoncer à son projet et de retourner à Rome. Les ennemis se voyant en sûreté, crurent n'avoir plus rien à craindre d'une entreprise qui leur paroissoit folle, ils se retirèrent. Appius, qui

(1) Messine, autrefois Messana. Cette ville étoit sur le détroit qui porte aujourd'hui son nom. Capitale de toute la Sicile, elle est grande, marchande, et bien fortifiée. Son port est le plus sûr de toute la Méditerranée.

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