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N°. II.

SUR quantité de tombeaux dont quelques-uns ont été découverts en Italie, mais dont la plûpart se trouvent en France, & fur-tout à Lyon, on voit une formule composée de ces trois mots, SVB ASCIA DEDICAVIT, tantôt abbrégés, tantôt exprimés tout au long. Avec ces mots, eft gravé un inftrument, dont la forme eft prefque femblable à celui qui eft repréfenté dans cette Planche. D'autres fois il paroît seul, fans être accompagné de la formule.

Cette fingularité a frappé depuis long-temps les Antiquaires, & a donné lieu à plus de quinze opinions différentes, que je ne crois pas devoir rapporter ici. Il me fuffit d'obferver que l'inftrument dont il s'agit a été fucceffivement regardé comme une gâche ou truelle à détremper le mortier, comme une doloire pour polir le bois qu'on employoit au bûcher, & comme une houe pour remuer la terre & préparer le terrein. Mais il n'eft guère poffible d'en prendre une idée bien nette dans les Recueils des Antiquaires, ou même fur les tombeaux. Des ouvriers ignorans ont pû en altérer la reffemblance; & combien ceux qui les ont copiés d'après ces mêmes tombeaux, en ont-ils défiguré le trait! Il falloit donc, pour répandre quelques lumiéres fur ce point d'antiquité, trouver l'afcia elle-même, & c'eft ce que le hazard femble m'avoir procuré.

Le tombeau dont j'ai parlé au commencement de cet article, renfermoit entr'autres chofes l'inftrument gravé fous deux afpects différens dans cette Planche. Il eft de fer: l'extrémité de la branche la plus longue a été rompue; dans l'état où il est encore il à cinq pouces trois lignes de longueur, & je ne crois pas qu'il ait eû un pouce de plus lorfqu'il étoit entier. L'ouverture pour recevoir le manche a neuf lignes de long fur fept de large. Il conferve encore fa forme, qui n'a point été altérée par la rouille dont l'inftrument a été attaqué.

J'ai douté quelque temps fi ce monument devoit être pris pour l'afcia fi fouvent représentée fur les tombeaux anciens; mais l'endroit où il a été découvert, & plus encore fa reffemblance avec un inftrument représenté sur une médaille de la famille Valeria, m'ont paru fuffire pour Vaillant, fam. lever tous les doutes à cet égard, & pour montrer qu'il Conful. Pl. cx1. n'étoit propre ni à remuer la terre, ni à détremper le mortier, ni enfin à polir le bois. C'est une espéce de farcloir dont on se servoit pour arracher les herbes & les broffailles, & auquel on donnoit quelquefois le nom d'afcia. Mazochius, de Il s'agit préfentement de fçavoir quel fecours on peut tirer dedic. fub afcia. de cette découverte, pour expliquer la formule SVB Pag. 118. ASCIA DEDICAVIT, fur laquelle tant d'habiles Critiques fe font exercés. Voici donc mes conjectures. J'ai déja dit que l'inftrument qui eft fous mes yeux, & que j'ai fait graver fous deux afpects, en-deffous, & de profil, n'étoit propre qu'à arracher des herbes & des broffailles. C'étoit, à mon avis, la premiére cérémonie qu'on faisoit en érigeant un tombeau dans un champ. Elle fe pratiquoit par le moyen d'un farcloir confacré à cet usage, & elle pouvoit être accompagnée de priéres & de rites dont nous ignorons les détails; mais qui vraisemblablement étoient fuivis d'imprécations contre ceux qui oferoient profaner le tombeau qu'on alloit conftruire. Après cette cérémonie on se servoit d'autres inftrumens pour remuer la terre & le mortier ; & comme on vouloit perpétuer le fouvenir d'une confécration qui attiroit du refpect au tombeau employoit la formule SVB ASCIA DEDICAVIT, ou bien l'on représentoit fur la pierre qui le couvroit la figure de cet inftrument. Enfin ces marques extérieures ne fuffifant pas toûjours pour arrêter ceux qui avoient envie de violer ces monumens, on croyoit leur infpirer plus d'effroi en mêlant à leurs yeux avec les cendres du mort l'inftrument qui avoit fervi à confacrer l'afyle qui les renfermoit. On ne doit point être étonné que les Auteurs anciens qui

on

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Antiq. p. 237.

ne nous ont pas inftruits de toutes les cérémonies qui fe pratiquoient fous leurs yeux, aient paffé fous filence celle de la confécration des tombeaux. Elle n'étoit pas en ufage dans tout l'Empire, & étoit particuliére à certains cantons des Gaules, foit que les Romains qui y étoient établis, l'euffent empruntée des Gaulois, foit qu'ils s'imaginaffent arrêter par ce moyen les profanations des cimetiéres, qui y étoient apparemment plus communes que par-tout ailleurs. Il feroit peut-être plus naturel encore de regarder ce tombeau comme celui d'un Miniftre dont l'emploi étoit, lorfqu'il vivoit, de confacrer les tombeaux fub afcia. On trouve affez ordinairement fur les tombeaux la représentation des chofes qui ont appartenu à ceux dont les tombeaux renferment les cendres.

N°. III.

CE caillou verdâtre d'une forme quarrée a dix-huit lignes en tout fens, & trois lignes d'épaiffeur. On lit fur les bords ou tranches des mots écrits en creux, à contre-fens, & en caractères Romains. Je les ai fidélement rapportés dans la copie que je produis. Dans le milieu d'une des faces on voit une efpéce d'oméga, & fur le côté oppofé on ne diftingue plus que les foibles traces de quelques

lettres.

Smétius eft, je crois, le premier qui ait publié des monumens femblables à celui-ci. Il en fit graver deux dans le Livre qu'il a intitulé les Antiquités de Nimégue, en avouant Mifcell. erud. qu'ils épuifoient envain toutes fes conjectures. Spon en effaya l'explication, & s'étant apperçû que les mots écrits fur ces piéces défignoient des maladies des yeux, ou des remédes pour les guérir, il conjectura qu'elles avoient fervi de couvercles à des boëtes où des Médecins-Oculistes enfermoient leurs collyres. Il n'avoit pas fait attention que les lettres étoient tracées dans le fens contraire à leur état naturel, & qu'elles étoient destinées à former des empreintes

fur

les

fur de la cire, ou autre matiére molle. Auffi M. l'Abbé Le Beuf qui en 1729. fut confulté fur une de ces pierres que je rapporterai bientôt, la regarda comme un moule qui fervoit à marquer fur la cire les drogues d'un Médecin Romain, ou comme une formule de recette pour la confection d'un médicament. Dans le Mercure du mois d'Octobre 1734. M. de la Roque ayant eu occafion de parler de cette pierre, obferva de même, qu'elle avoit été ainfi fculptée pour fervir d'empreinte dans quelque ufage particulier, & rejetta le fentiment de M. le Marquis Maffei qui venoit tout récemment de publier une pierre de ce genre, & qui, à l'exemple de Spon, l'avoit regardée comme un fimple couvercle de boëte. Pour moi je fuis perfuadé que ces pierres étoient destinées à garantir l'authenticité des remédes que Médecins-Oculiftes préparoient, & que fur la drogue qu'ils diftribuoient ils appliquoient l'empreinte qui y avoit rapport. Pour donner plus de jour à cette opinion, & mettre le Lecteur plus à portée de juger de ces fortes de monumens, je vais rapporter ici tous ceux qui font venus à ma connoiffance, foit qu'ils aient été publiés, foit qu'ils ne l'aient pas encore été; & j'y joindrai les explications que M. Falconet, de l'Académie des Belles-Lettres, a bien voulu me communiquer. Je devrois commencer par celui qui fait l'objet de cet article; mais j'aime mieux le renvoyer la fin, par la raifon que les autres ferviront à éclaircir quelques fingularités qu'il préfente. Voici les deux pierres que Smétius avoit fait graver, & que Spon a expliquées à quelques mots près.

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M VLPI HERACLETIS STRATIOTICVM

2

M VLPI HERACLETIS DIARODON AD IM.
M VLPI HERACLETIS3 CYCNARIVM AD IMP.
M VLPI HERACLETIS + TALASSEROSA

L'Oculifte qui avoit fait graver cette pierre, fe nommoit
MARCVS VLPIVS HERACLES; & fon nom fe
Hh

Premiére pierre

Seconde pierre.

trouve fur les quatre côtés de la pierre. Le mot "STRATIOTICVM défignoit un collyre à l'ufage des foldats expofés dans leurs marches à la pouffiére, à la fumée, &c, TeaTINTns, ftratiotes, foldat. Scribonius Largus en parle, & fon Copiste Marcellus Empiricus dit Collyrium ad caliginem & afpritudinem, quod ftratioticum dicitur. DIARODON AD IM. qui doit être écrit DIARRHODON: collyre fait avec des roses: pódov, rhodon, rofa. Il y en avoit de plufieurs efpéces. Galien & Alexandre Trallien en parlent. IMPETVS fignifie ici inflammation ou fluxion fur les yeux. 3 CYCNARIVM AD IMP. collyre blanc fait avec des drogues adouciffantes. Galien & Paul Æginéte en parlent. Alexandre Trallien l'appelle xuxvos, cygnus, cygne. 4 TALASSEROSA.Ce mot eft corrompu, & mis pour THALASSERon, collyre où fans doute il entroit de l'eau de mer, ou qui peut-être étoit de la couleur de l'eau de mer. De barawa, thalaffa, mare, collyrium Hermophili, cité par Galien. Aëtius & P. Æginéte en parlent aussi.

Je paffe à la feconde pierre, rapportée par Smétius & par Spon.

MARCI VLPI HERACLETIS MELINVM
MARCI VLPI HERACLETIS 6 TIPINVM
MARCI VLPI HERACLETIS 7 DIARICES AD
MARCI VLPI HERACLETIS & DIAMYSVS

Le nom de l'Oculifte eft le même fur cette pierre que fur la précédente : ce qui prouve que chaque Oculifte avoit plusieurs pierres, fuivant la quantité de remédes qu'il avoit à diftribuer. 5. MELINVM. Galien rapporte deux collyres de cette espéce. Il y entroit du verd-de-gris, d'où il prenoit une couleur qui lui donnoit ce nom. MELINVS color, gilvus inter album & fufcum. 6 TIPINVM eft apparemment un mot corrompu. M. Falconet n'a pû deviner ce que ce pouvoit être. 7 DIARICES, mot corrompu, mis peut-être pour diacrocon, collyre fec, fait avec le

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