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leur cours n'eft pas auffi d'une nature differente de celui d'une autre vapeur, puifque les cfprits & les nerfs, & les filets dont on dit que le cerveau eft compofé, pour être déliés n'en font pas moins corps, & que leur mouvement fi vîte, fidélicat & fi fubtil qu'on fe l'imagine, n'eft aprés-tout qu'un fimple changement de place, ce qui eft tres éloigné de fentir & de defirer.

Et cela fe reconnoîtra dans les fenfa tions en reprenant la chofe jufques-au pri cipe.

Nous y avons remarqué un mouvement enchaîné,qui fe commence à l'objet, fe continue dans le milieu, fe com munique à l'organe, aboutit enfin au cerveau & y fait fon impreffion.

,

Il eft aifé de comprendre que tel que le mouvement fe commence auprés de l'objet, tel il dure dans le milieu, & tel il fe continue dans les organes du corps exterieur & interieur, la proportion t ûjours gardée.

Je veux dire que felon les diverfes difpofitions du milieu & de l'organe, ce mouvement pourra quelque peu changer, comme il arrive dans les réfractions comme il arrive lorfque l'air, par où doit fe communiquer le mou

?

vement du corps réfonnant, eft agité par le vent. Mais cette diverfité fe fait toûjours à proportion du coup qui vient de l'objet, & c'eft felon cette proportion que les organes, tant exterieurs qu'interieurs, font frappés.

Ainfi la difpofition des organes corporels, eft au fond de même nature que celle qui fe trouve dans les objets, même au moment que nous en fommes touchés, comme l'impreffion fe fait dans la cire, telle & de même nature qu'elle a été faite dans le cachet.

En effet, cette impreffion qu'eft-ce autre chofe qu'un mouvement dans la cire, par lequel elle eft forcée de s'accommoder au cachet, qui fe met fur elle? Et de même l'impreffion dans nos organes, qu'eft-ce autre chofe qu'un mouvement qui fe fait en eux, enfuite du mouvement qui fe commence à l'objet.

Je vois que ma main preffée par un corps pefant & rude, cede & baisse en conformité du mouvement de ce corps qui pefe fur elle, & le même mouvement fe continue fur toutes les parties qui font difpofées à le recevoir. Il n'y a perfonne qui n'entende que fi l'agita-, tion qui caufe le bruit, eft un certain trémouffement du corps réfonnant, par

exemple, d'une corde de luth, une pa✈ reille trépidation fe doit continuer dans l'air, & quand enfuite le tympan viendra à être ébranlé, & le nerf auditif avec lui, & le cerveau même enfuite, cet ébranlement aprés tout ne fera pas d'une autre nature qu'a été celui de la corde, & au contraire ce n'en fera quela continuation. Toutes ces impreffions étant de même nature, ou plûtôt tout cela nétant qu'une fuite du même ébranlement, qui a commencé à l'objet, il n'eft pas moins ridicule de dire que l'agitation du tympan, & l'ébranlement du nerf, ou de quelque autre partie, puiffe être la fenfation, que de dire que l'ébranlement de l'air ou celle du corps réfonnant la foit.

Il faut donc pour bien raisonner, regarder toute cette fuite d'impreffion corporelle depuis l'objet jufques au cer veau, comme chofe qui tient à l'objet & par la même raison qu'on diftingue les fenfations d'avec l'objet, il faut les diftinguer d'avec les impreffions & les mouvemens qui le fuivent.

Ainfi la fenfation eft une chofe qui s'éleve aprés tout cela, & dans un autre fujet, c'eft-à-dire, non plus dans le mais dans l'ame feule.

Corps,

11 en faut dire autant & de l'imagi,

!

nation & des defirs qui en naiffent. En
un mot, tant qu'on ne fera que remuer
des corps, c'eft-à dire, des chofes éten-
dues en longueur, largeur & profon-
deur, quelques vîtes & quelques fubtils
qu'on faffe ces corps, & dût-on les re-
duire à l'indivifible, fi leur nature le
pouvoit permettre, jamais on ne fera
une fenfation ni un defir.

Car enfin, qu'un corps foit plus vite,
il arrivera plûtôt qu'il foit plus mince,
il pourra paffer par une plus petite ou-
verture 2 mais que cela faffe fentir ou
defirer, c'eft ce qui n'a aucune fuite, &
ne s'entend pas.

De-là vient que l'ame qui connoît fi ❤ bien & fi diftinctement fes fenfations, fes imaginations & fes defirs ne connoît la délicateffe & les mouvemens, ni du cerveau, ni des nerfs, ni des efprits, ni même fi ces chofes font dans la nature. Je fçai bien que je fens la douleur de la migraine,ou de la colique, & que je fens du plaifir en buvant & en mangeant, & je connois tres diftinctement ce plaifir & cette douleur. Mais fi j'ai une membrane au-tour du cerveau, dont les nerfs foient picotés par une humeur acre, fi j'ai des nerfs à la langue que le fuc des viandes remuë,

c'eft ce que je ne fçai pas. Je ne fçağ non plus fi j'ai des efprits qui errent dans le cerveau & fe jettent dans les nerfs, tant pour les tenir tendus, que pour fe répandre de-là dans les mufcles. Ce qui montre qu'il n'y a rien de plus diftingué que le fentiment, & toutes ces difpofitions des organes corporels, puifque l'un eft fi clairement apperçu, & que l'autre ne l'eft point dutout.

Ainfi il fe trouvera que nous connoiffons beaucoup plus de chofes de notre ame, que de notre corps, puifqu'il fe fait dans notre corps tant de mouyemens que nous ignorons, & que nous n'avons aucun fentiment que notre efprit n'apperçoive.

Concluons donc que le mouvement des nerfs ne peut pas être un fentiment, que l'agitation du fang ne peut pas être undefir, que le froid qui eft dans le fang, quand les efprits dont il eft plein fe rẻtirent vers le cœur, ne peut pas être la haine. Et en un mot, qu'on fe trompe Et ́en en confondant les difpofitions & alterations corporelles, avec les fenfations,. les imaginations, & les paffions.

Ces chofes font unies; mais elles ne font point les mêmes, puifque leurs natures font fi differentes. Et comme fe

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