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& lui intentoient un procès. Celui qui en prenoit la défense, alleguoit qu'elle étoit moins coupable, que le Remouleur qui l'avoit aiguifée; le Remouleur pris à partie, jettoit la faute fur la pierre qui avoit fervi à l'aiguifer, ainfi de fuite; enforte que le procès ne finiffoit jamais; ceremonie ridicule à la verité mais qui prouvoit l'averfion que les Atheniens avoient pour les Sacrifices fanglans.

Mais il eft bon de remarquer, que dans le temps même qu'on immoloit des Victimes vivantes, on n'avoit pas oublié l'ancienne forme des Sacrifices, qui ne confiftoient qu'en herbes, en fel, & en farine, & on l'employoit toujours comme la plus propre à appaiser les Dieux; ce qui fait dire à Horace: Te nihil attinet

Tentare multá cade bidentium (1).

(1) Liv.

in 2. En.

(3) Plin. 1.

Ainfi, au rapport de Feftus & de Servius, on jettoit toujours Od.23. de la farine & du fel fur les Victimes, fur le feu, & fur les couteaux facrés. Sal & far, quod dicitur mola falfa, quâ & frons victima, foci,& cultri afperguntur (2). Numa Pompilius, (2) Servius felon Pline, avoit même interdit aux Romains les Victimes fanglantes, & leur avoit défendu tout autre facrifice, que ceux où l'on employoit les fruits, le fel, & la farine (3). Denys d'Halicarnaffe (4) femble attribuer à Romulus, ce que nous venons de dire de Numa, & il ajoute, que cet ufage duroit encore de fon temps, quoiqu'on y eût joint celui des Sacrifices fanglans. Plutarque nous fait remarquer qu'il y avoit des Dieux parmi les Romains, entre-autres le Dieu Terme, à l'égard defquels on confervoit toujours l'usage ancien, de ne leur rien offrir d'animé.

Enfin, on porta dans la fuite la fuperftition, jusqu'à immoler des Victimes humaines. On ne fçait pas qui a été le premier auteur de ces Sacrifices barbares; mais que ce foit ChroROS, Ou Saturne, comme on le trouve dans le Fragment de Sanchoniathon, ou Lycaon, comme Paufanias femble l'infinuer, ou quelqu'autre, il eft sûr que cette barbare coutume paffa chez prefque tous les Peuples connus. Les peres euxmêmes, pouffés par une aveugle fureur, immoloient leurs enfans, & les brûloient au lieu d'encens. Ces horribles facriTome 1.

Hh

18.ch. 7:

(4) Liv. 2.

ch: 20.
(2) Liv. 5.

(3) Liv. 3.

fices, prescrits même par les Oracles des Dieux, étoient connus dès le temps de Moyfe, & faifoient partie de ces abominations que ce faint Légiflateur reproche aux Amorrhéens. Les Moabites immoloient leurs enfans à Moloch, & les (1) Levit. faifoient brûler dans le creux de la Statue de ce Dieu (1). Selon Denys d'Halicarnaffe (2) on facrifioit des hommes à Saturne, non-feulement à Tyr & à Carthage, mais dans la Grece même & dans l'Italie. Les Gaulois, fi nous en croyons Diodore de Sicile (3), immoloient à leurs Dieux leurs prifonniers de guerre; ceux de la Tauride, tous les étrangers qui y abordoient. Les habitans de Pella, facrifioient un homme à Pelée, Ceux de Tenufe, ainsi que le raconte Paufanias, offroient tous les ans une fille vierge au Génie d'un des Compagnons d'Uliffe qu'ils avoient lapidé ; & Ariftomene Meffenien, immola (4) Geogr. pour une feule fois, trois cens hommes. Strabon (4) parle de ces Sacrifices abominables, offerts par les anciens Germains. Saint Athanafe (5) dit la même chofe des Pheniciens & des contra Gentes. Crétois, & Tertullien, des Scythes & des Afriquains. On voit dans l'Iliade d'Homere, douze Troyens immolés par Achille, aux manes de Patrocle. Enfin, Porphyre fait un long dénombrement de tous les lieux où l'on immoloit autrefois des hommes, entre lefquels il met Rhodes, l’Isle de Chypre, l'Arabie, Athenes, &c.

liv. I.

(5) Orat.

(6) Mem.

tom. I. P. 47.

De tous ces témoignages joints enfemble, & de plufieurs autres qu'il eft inutile de rapporter, il refulte que les Pheniciens, les Egyptiens, les Arabes, les Chananéens, les habitans de Tyr & de Carthage; ceux d'Athenes & de Lacedemone, les Ioniens, toute la Grece, les Romains & les Scythes; les Albanois, les Allemans, les Anglois, les Efpagnols, & les Gaulois, étoient également plongés dans cette horrible fuperftition.

Feu M. l'Abbé de Boiffi, dans une Differtation qu'il lut à de l'Acad. des l'Académie des Belles Lettres, & dont l'extrait eft imprimé, Belles Lettres, (6) rapporte l'origine de la barbare coutume d'immoler des hommes, à une connoiffance imparfaite du Sacrifice d'Abraham. Les Chananéens, dit-il, les Amorrhéens & les autres Peuples voifins des lieux où ce faint Patriarche avoit paffé fa vie, entendirent fans doute vanter le zele & la fermeté de

ce faint Homme, qui n'écouta pas un moment les fentimens de fa tendreffe pour un fils unique; ils fçurent apparemment quelque chofe des récompenfes que Dieu promit à fa fidélité; & ignorant que le Sacrifice n'avoit pas été accompli à l'égard de ce fils bien aimé, ils prirent la chofe à la lettre, & crurent en imitant une action fi heroïque, s'attirer les mêmes bénédictions du Ciel. En effet, dit-il, ce fut Saturne, felon les Poëtes & les Hiftoriens, qui introduifit la déteftable coutume de facrifier des hommes. Or Saturne, au jugement des meilleurs Auteurs, est le même qu'Abraham. Les preuves en font claires, mais je ne dois les rapporter que dans l'Article de ce Dieu.

Les Anciens ouvrirent enfin les yeux fur ces Sacrifices inhumains, & les évenemens que je vais raconter, les firent enfin ceffer peu à peu. Un Oracle, dit Plutarque, ayant ordonné aux Lacedemoniens affligés de la pefte, d'immoler une Vierge; & le fort étant tombé fur une jeune fille nommée Helene, un Aigle enleva le couteau facré, & le pofa fur la tête d'une Geniffe, qui fut facrifiée à fa place. Le même Plutarque raconte que Pelopidas, chef des Atheniens, ayant été averti en fonge, la veille d'une bataille, d'immoler une Vierge blonde aux mânes des filles de Scedafus qui avoient été violées & maffacrées dans le même lieu, ce Général effrayé, tint confeil fur l'inhumanité de cette forte de Sacrifice, qu'il croyoit déplaire aux Dieux; & ayant vû une Cavalle rouffe, il l'immola par le confeil du Devin Theocrite, & remporta la victoire. En Egypte, Amasis ordonna qu'au lieu d'hommes, on offrit feulement des figures humaines. Diphilus fubftitua dans l'Ifle de Chypre, des Sacrifices de boeufs à ceux des hommes; & Hercule étant en Italie, des têtes de cire, nommées Ofcillæ, à de veritables hommes.

Anciennement les chefs de famille en étoient également les Rois & les Pontifes, & c'étoient eux qui offroient les Sacrifices; mais dans la fuite on eut dans chaque état des Prêtres & d'autres Miniftres pour cette fonction, comme nous le dirons dans le Chapitre fuivant : cependant dans le temps même qu'il y avoit des Prêtres établis, ces chefs de famille conferverent toujours le même droit. Ainfi on peut diftinguer

deux fortes de Sacrifices; les particuliers, que chacun pouvoit offrir chez foi à fes Dieux Lares, ou Penates (a), & les Sacrifices publics, établis par les Loix, & pour lefquels il y avoit des Miniftres autorifés, & un Pontife qui y préfidoit. Ces fortes de Sacrifices s'offroient à Rome & dans la Grece, felon certaines regles, qu'on étoit obligé d'observer exactement. Ciceron s'en explique ainfi. « Nos Ancêtres, dit-il, ont donné des regles pour les chofes divines; enforte que pour » les ceremonies établies aux grandes folemnités, on ait recours aux Pontifes qui en font bien inftruits; que pour gerer » les affaires de la Republique, on s'adreffe aux Augures, &c.»

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Le principal foin de ces Miniftres confiftoit à bien choisir les Victimes; car elles devoient avoir pour être agréables aux Dieux, certaines qualités, dont je parlerai dans un moment. On leur donnoit auffi plufieurs noms. On appelloit Præcidanea hoftia, celles qu'on immoloit le jour d'avant la folemnité, comme on nommoit præcidanea porca, la truye qu'on facrifioit à Cerès avant la moisson. On nommoit Succidaneæ hoflia, celles qu'on facrifioit lorfqu'on avoit manqué d'immoler les premieres, qui devoient préceder; & c'eft ainsi qu'on expioit l'omiffion. Il y en avoit d'autres qu'on nommoit Eximia hoftia; ce mot qui fignifie excellent, n'étant pas pris dans fa propre fignification, mais pour marquer qu'on retiroit ces Victimes. du troupeau, pour être immolées, eximebantur grege. Les brebis qui avoient deux agneaux, qu'on immoloit avec la mere, étoient nommées Ambigua oves, & les Victimes dont les en(1) Fastes. trailles étoient adherentes, Harunga, ou Haruga (1), celles qui étoient confumées, Prodigia, celles qui avoient les dents (2) Hygin. plus élevées que les autres, Bidentes (2).

De quelque nature que fuffent les Victimes, il en falloit faire un grand choix; & les mêmes défauts, qui parmi les Juifs. (3) Voyez les excluoient des Sacrifices (3), les rendoient auffi défectueu

le Levit.

ses parmi les Payens, qui paroiffoient par-là avoir emprunté plufieurs ufages des Hebreux. Voffius, dans fon fçavant Traité de l'Idolâtrie, eft entré fur ce fujet dans des détails Philclogiques extrêmement recherchés, aufquels je renvoye les

(a) Voyez Virgile, Eneid. liv. 3. qui parle du Sacrifice qu'Enée offrit le matis à fes Dieux Penates, qui lui avoient apparu en fonge.

ch. 19.

Sçavans. Il fuffit de dire ici avec Jul. Pollux (1), que la Vic (4) Liv. 1. time devoit être pure, non mutilée, fans tache, fans défaut, faine, ni boiteufe ni contrefaite : blanche & en nombre impair pour les Dieux céleftes, noire & en nombre pair pour les Dieux infernaux. Enfin, choifie parmi les animaux, les plantes, ou les fruits, agréables aux Dieux aufquels on les offroit; car on n'immoloit pas toutes fortes de Victimes indifferemment à chaque Divinité. Ordinairement c'étoit une truye pleine qu'on offroit à Cybele & à la Déeffe Tellus; le taureau à Jupiter; à Junon, des géniffes, des agneaux femelles, des brebis, & à Corinthe on lui facrifioit une chevre. A Neptune, un taureau & des agneaux, comme il paroît par Homere. A Pluton, auffi un taureau noir, & à Proferpine une vache noire; & lorfqu'on prenoit cette Déeffe pour Hecate, on lui immoloit un chien, animal qu'on croyoit éloigner en abboyant les fpectres qu'envoyoit cette Déeffe. La Victime la plus agréable à Cerès, étoient le verrat & la truye. On lui offroit auffi du miel & du lait. A Venus, la colombe, le bouc, la geniffe, une chevre blanche, &c. A Bacchus, un bouc. On immoloit la vache & le taureau à Hermione, comme nous l'apprenons d'Elien (2), qui ajoute, que dans ces Sacrifices un taureau, qu'à peine dix hommes avoient pu Anim. dompter, fuivoit de lui-même une vieille Prêtreffe jufqu'à l'autel. Au Soleil, quelquefois du miel, mais les Armeniens & les Maffagetes lui immoloient des chevaux. A Apollon, car fouvent il étoit diftingué du Soleil, on offroit le belier, la chevre, la brebis, & le bouc; & quand on le confondoit avec le Soleil, un jeune taureau aux cornes dorées, pour marquer fes rayons: on lui offroit auffi un corbeau. A Mars, le cheval, le taureau, le verrat, & le belier: les Lufitaniens lui immoloient des boucs, des chevres, & quelquefois leurs ennemis. Les Scythes lui offroient des ânes, & les Cariens des chiens. Homere nous apprend que les Victimes les plus agréa bles à Minerve, étoient le taureau & l'agneau, ou, felon Fulgence Planciadès, des boeufs qui n'avoient point encore été fous le joug, A Diane, des cerfs, des chevres, fur-tout parmi les Atheniens, & en quelques endroits, des vaches. Aux Dieux Lares, un jeune taureau, ou un agneau femelle, felon les

(2) De

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