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VII.

où commencent les bulles, les conftitutions & les privileges des princes; & ces fades moralitez qui fe trouvent à chaque page dans les fermons & les écrits de pieté : qui demeurant dans les thefes generales, dont tout le monde convient fans en faire l'application au détail, ne font d'aucune utilité. C'eft ce qui nous doit confoler de tant d'écrits de ce genre du treiziéme & du quatorziéme fiecle qui n'ont pas encore vu le jour: on n'en a que trop imprimé.

Quant à la poetique on l'étudioit fi mal que je ne daigne prefque en faire mention. On fe contentoit d'apprendre la mesure des vers latins, & la quantité des fyllabes quoiqu'imparfaitement, & on croïoit faire un poëme en racontant de fuite une hiftoire d'un ftile auffi plat & d'un latin auffi barbare que l'on auroit fait en prose: excepté que la contrainte des vers faifoit chercher des expreffions forcées & ajoûter des chevilles. Voïez la vie de la comteffe Mathilde écrite par Domnizon. Il eft vrai que Gunther dans fon Ligurinus & Guillaume le Breton dans fa Philippide s'élevent un peu davantage & tournent mieux leurs penfées, mais ce n'eft guere que par des phrafes empruntées toutes entieres des anciens. Nous ne laiffons pas d'avoir obligation à ces mauvais poëtes de nous avoir confervé la tradition des fyllabes longues ou bréves, & de la conftruction des vers latins. Au refte on ne

voit aucun agrément dans les ouvrages férieux de ces temps-là; & les auteurs n'avoient aucun goût pour l'imitation de la belle nature qui est Fame de poëfie.

Mais ils en avoient beaucoup pour les fictions Hiftoire. & les fables, en cela femblables aux enfans qui font plus touchez du merveilleux que du vrai. De-là vient qu'ils étudioient fi mai l'hiftoire,

même

même de leur pais. Ils recevoient tout ce qu'ils trouvoient écrit fans critique, fans difcernement: fans examiner l'âge & l'autorité des écrivains : tout leur étoit bon. Ainfi la fable de Francus fils d'Hector & des Francs venus des Troyens a été embraffée par tous nos historiens, jufques vers la fin du feiziéme fiecle: ainfi on a fait remonter l'hiftoire d'Efpagne jufques à Japhet, celle de la Grande-Bretagne jufques à Brutus, celle d'Ecoffe à Fergus, & plufieurs autres de même. Chaque hiftorien entreprenoit une hiftoire generale depuis la création du monde jufques à fon temps, & y entaffoit fans choix tout ce qu'il trouvoit dans les livres qu'il avoit en main. Tels étoient encore Vincent de Beauvais & faint Antonin de Florence dont les hiftoires font utiles pour leur temps, où elles font origi nales; quant au temps precedent elle ne fervent gueres qu'à nous apprendre les fables qu'on en racontoit ferieufement. Encore ces hiftoires univerfelles ne regardent guere que l'Europe; & on y perd de vue l'Orient depuis le commencement du huitiéme fiécle où finit la chronique d'Anaftafe le bibliothecaire.

La geographie n'étoit pas mieux cultivéé que l'hiftoire avec laquelle elle a tant de liaison. On ne l'étudioit que dans les livres des anciens,comme fi le monde n'eût point changé depuis le temps de Pline & de Ptolomée; & on vouloit trouver en Paleftine & dans tout l'Orient les lieux nommez dans les faintes écritures. On y cherchoit encore une Babylone ruinée depuis tant de ficcles, & on donnoit ce nom tantôt à Bagdad, tantôt au grandCaire villes nouvelles l'une & l'autre.La feule convenance du fon faifoit dire fans raison Aleph pour, Alep, Caïphas pour Hiffa & Corofaïn pour la Corofane. On ne s'avifoit point de confulter les habitans du païs, pour fçavoir les vrais noms des lieux;

Tome XVII.

B

VIII.

& leur véritable fituation; & cela dans des païs où l'on faifoit la guerre, pour laquelle on a befoin non feulement de la geographie, mais de la topographie la plus exacte. Aufli avez-vous vú combien de fois les armées des croifez périrent pour s'être engagées fur la foi de mauvais guides dans des montagnes, des deferts, ou d'autres païs impraticables,

On dira que les humanitez étoient négligées Logique. à caufe de la rareté des livres, & que les efprits étoient tournez aux fciences de pur raifonnement. Voïons donc comment on étudioit la philofophie, & commençons par la logique. Ce n'étoit plus comme elle étoit dans fon inftitution, l'art de raifonner jufte & de chercher la véfité par les voies les plus sûres: c'étoit un exerEnthid. cice de difputer & de fubtilifer à l'infini. Le Protag. but de ceux qui l'enfeignoient étoit moins d'inftruire leurs difciples que de fe faire admirer d'eux & d'embaraffer leurs adverfaires par des questions capticufes, à peu près comme ces anciens Sophiftes dont Platon le jouë fi agréableMetalog. ment. Jean de Sarisbery qui vivoit au douzielib. 11... me fiecle fe plaint que quelques-uns paffoient C. 16. lib. leur vie à étudier la logique; & la faifoient entrer toute entiere dans le traité des univerfaux, qui n'en devoit être qu'un petit préliminaire; d'autres confondoient les categories, traitant dès l'entrée à l'occafion de la fubftance toutes les Z. s. c. 3. questions qui regardent les neuf autres. Ils chicanoient fans fin fur les mots & fur la valeur $1.6.8.18. des négations multipliées ; ils ne parloient qu'en termes de l'art; & ne croioient pas avoir bien fait un argument s'ils ne l'avoient nommez argument. Ils vouloient traiter toutes les queftions imaginables & toûjours rencherir fur ceux qui les avoient précedez. Tel eft le témoigna de cet auteur.

11. C. 1. 2.

Il eft appuyé par les exemples des anciens docteurs dont les écrits font dans toutes les bibliotheques, quoique peu de gens les lifent. Prenez le premier volume d'Albert le grand tout gros qu'il eft, vous verrez qu'il ne contient que la logique: d'où fans examiner davantage vous pouvez conclure que l'auteur y a mělé bien des matieres étrangeres, puifqu'Ariftote qui a pouffé jufqu'aux dernieres précifions ce qui eft veritablement de cet art, n'en a fait qu'un petit volume. Je vais plus loin. Cette logique f étendue prouve qu'Albert lui-même n'étoit pas bon logicien & qu'il ne raifonnoit pas jufte. Car il devoit confiderer que la logique n'eft que l'introduction à la philofophie & l'inftru ment des fciences; & que la vie de l'homme eft courte, principalement étant réduite au temps utile pour étudier. Or que diriez-vous d'un curieux, qui ayant trois heures pour yifiter un magnifique palais en pafferoit une dans le veftibule ou d'un ouvrier qui ayant une feule journée pour travailler, en employeroit le tiers à préparer & orner les inftrumens?

Il me femble qu'Albert devoit encore se dire à lui-même : Convient-il à un religieux, à un prêtre de paffer sa vie à étudier Ariftote & fes commentateurs Arabes? Dequoi fert à un theo·logien cette étude fi étendue de la phyfique generale & particuliere: du cours des aftres & de leurs influences, de la ftructure de l'univers, des meteores, des mineraux, des pierres & de leurs vertus? N'eft-ce pas autant de temps que je dérobe à l'étude de l'écriture fainte, de l'hitoire de l'église & des canons? & après tant d'occupation, combien me reftera-t-il de loifir pour la priere & pour la prédication, qui eft l'effentiel de mon inftitut? Les fideles qui me font fubfifter de leurs aumônes, ne fappo

fent-ils pas que je fuis occupé à des études trèsutiles, qui ne me laiffent pas de temps pour travailler de mes mains ? j'en dirois autant à Alexandre de Halés, à Scot & aux autres, & il me femble que pour des gens qui faifoient profeffion de tendre à la perfection chrétienne, c'étoit mal raisonner que de donner tant de temps à des études étrangeres à la religion, quand elles euffent été bonnes & folides en elles-mêmes..

Mais il s'en falloit beaucoup qu'elles le fuffent. La phyfique generale n'étoit presque qu'un langage dont on étoit convenu, pour exprimer en termes fcientifiques, ce que tout le monde fçait, & la phyfique particuliere rouloit pour la plupart fur des fables & de fauffes fuppofitions, Car on ne confultoit point l'experience ni la nature en elle-même: on ne la cherchoit que dans les livres d'Ariftote & des autres anciens, En quoi l'on voit encore le mauvais raisonnement de ces docteurs: car pour étudier ainfi il falloit mettre pour principe qu'Ariftote étoit infaillible & qu'il n'y avoit rien que de vrai dans fes écrits & par où s'en étoient-ils affurez ? étoit-ce par l'évidence de la chofe, ou par un ferieux examen? C'étoit le défaut general de toutes leurs études de fe borner à un certain livre au-delà duquel on ne cherchoit rien en chaque matiere. Toute la theologie devoit être dans le maître des fentences, tout le droit canonique dans Gratien, toute l'intelligence de l'écriture dans la glofe ordinaire: il n'étoit quef tion que de bien fçavoir ces livres, & en appliquer la doctrine aux fujets particuliers. On ne savifoit point de chercher où Gratien avoit pris toutes ces pieces qui compofent fon recueil & quelle autorité elles avoient par elles-mêmes, Ce que c'étoit que ces décretales des premiers papes qu'il rapporte fi fréquemment ; fi ce qu'il

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