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der à vos éleves que ces enfans ont une maladie affreuse, une cruelle frénefie. Quelqu'un vous demandera fans doute comment on pourroit les guérir. En les enfermant chacun à part, leur répondrezvous, en les forçant de refter au lit, & ne leur donnant prefque rien à manger de quelques jours, pour calmer leur fang trop bouillant. Vous verrez combien cette morale leur infpirera d'horreur pour ce vice. Et s'ils venoient à oublier la leçon, vous voilà autorifés à les tenir au régime, & à les forcer à la fageffe. J'ai vu reduire en pratique cette belle théorie de Rouffeau, par un Inftituteur de mes amis: mais par malheur pour lui, quelques jours après il perdit lui-même fon fang froid. Mon bon ami, lui dit fon jeune éleve, vous avez la maladie des deux enfans qui fe battoient. Voulez-vous que je dife au domeftique de vous mettre au lit, & de ne pas vous donner à manger?... A ce difcours naïf, j'eus peine à tenir mon férieux. Mais mon ami me tira bientôt d'em

barras: Mon enfant, lui dit-il, prompt à reprendre fon fang froid, la maladie n'a fait que fe montrer heureusement j'y ai réfifté; car on eft maître de s'opposer à ces maladies. Si mes éleves étoient portés au plaifir de la bouche, ce que j'ai peine à croire il me feroit aifé de leur faire fentir les conféquences fâcheufes de ce défaut vil & humiliant, & de m'autorifer à les forcer à la fobriété. « Les Lacédemoniens, » dit le même Plutarque, détournoient » leurs fils de l'ivrognerie, en leur mon>trant leurs efclaves, les Ilotes, ivres ».

Un enfant naturellement dormeur a-til de la peine à quitter le lit? faites que fa pareffe nuife à fes plus chers intérêts, vous la lui rendrez bientôt odieufe. On va demain matin à la pêche, difois-je un jour à mon petit volage, que fon ardeur au jeu difpofoit communément à un profond fommeil : voulez-vous être de la partie ? Oui fans doute, je veux en être... Là-deffus on va dormir. Mon petit bon homme dort la graffe matinée; cependant les pêcheurs

partent, & mon petit dormeur eft inconfolable, à fon reveil, d'avoir manqué cette partie de plaifir. Un autre jour, il perdit celui de la chaffe; un troifieme, celui d'une fête brillante, & enfin il prend les moyens de fe corriger il prie inftament un domeftique de venir l'arracher tous les matins du lit, & cela s'exécute ponctuellement.

Rouffeau fe plaint amérement de la vanité qu'on infpire aux enfans au berceau, en les couvrant de riches haillons. Je fais que le luxe eft l'appanage des petits efprits, la parure, le vernis du néant; & que la vanité qu'il infpire à un certain âge eft un des vices les plus ridicules, & cependant très-répandu; parce qu'il eft infpiré, foutenu & fomenté par les Peres de famille, par les Gouverneurs particuliers, & par les Inftituteurs publics. Mais j'ai peine à croire qu'il puiffe entrer dans l'ame des enfans au berceau. A cet âge & dans leurs premieres années, il n'aiment la parure, que parce que les couleurs brillent aux yeux, ou parce que fon tiffu moelleux flatte leur toucher

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que

toucher délicat. J'obferve au contraire
les enfans, qui ont été le plus richement
habillés dans la premiere enfance, font
bien moins fous de la parure dans un âge
mûr ', que ceux qu'un coup de hazard à
élevés rapidement de l'état de bassesse à
une fortune honnête : l'habitude de jouir
diminue, anéantit le prix des chofes les
plus flatteufes; la privation au contraire
le rehauffe. Nous laiffons donc aux parens
la liberté de parer leurs enfans au berceau;
mais peu-à-peu on diminuera l'éclat de la
parure, jufqu'à ce qu'ils foient accoutumés
à des habits communs & décents; c'eft-
à-dire, que nous prendrons une méthode
toute oppofée à celle qu'on fuit ordinaire-
ment on donne aux enfans des habits
plus magnifiques à proportion qu'ils gran-
diffent & qu'ils commencent à être suf-
ceptibles d'attacher de l'eftime à ces vaines
parures. On ne s'arrête pas là; on leur
fait fentir que c'eft ce qui fait le mérite
des grandes perfonnes: on ne leur donne
leurs beaux habits que lors qu'il faut aller

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dans une compagnie, & on les leur retire, quand ils font fortis de cette espece de fête, C'eft peu encore. L'enfant èft-il mutin ou négligeant? La mere lui ôte fes habits dorés & un ftupide Gouverneur vient fottement lui reprocher fon défaut de parure comme une infamie. O

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indigne de ton emploi! Ce n'eft

homme

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les habits groffiers que fe trouve l'infamie; c'est dans tes paroles ! «Ne vois-tu pas en effet que tu n'apprends à cet enfant qu'à feindre une vertu, pour pratiquer un vice? C'eft la fotte fureur de briller

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qui lui fait repréfenter le rolle d'un en» fant docile. Avec la vanité tu fais entrer » dans fon cœur la fourberie & l'hypo» crifie. Si cet enfant continue à recevoir » de pareilles leçons, il ne fera bon à »rien ».

J'ajoute que les Instituteurs publics fomentent ce vice. Je dois l'avouer à ma honte. Je fuis enveloppé dans ce défordre; j'en ai été le témoin & je me fuis tu. Dans tous les Colleges où j'ai profeffé, dans la

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