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me 303.

Enfin ce qui furprit & confierna le
Senat, c'eft qu'Appius oubliant fa
propre gloire, & celle de fes ancê-
tres, n'eut point de honte, pour
flater les anciens Tribuns aufquels il
avoit vendu fa foi, de propofer
trois Plebeïens pour Decemvirs,
fous prétexte qu'il étoit jufte qu'il
y eût quelqu'un dans ce College.
qui veillât aux interêts du peuple.
Il y fit entrer Q. Petilius, C. Duel-
lius & Sp. Oppius, tous trois Ple-.
beïens exclus par leur naiffance de
ces premieres Magiftratures, & qui
n'y parvinrent que parce qu'ils y
avoient porté eux-mêmes Appius
par tous les fuffrages du peuple,
dont ils difpofoient à leur gré, &
qu'ils avoient déterminez en fa fa-
veur, fuivant leurs conventions fe-

cretes.

An de Ro- Appius fe voyant enfin parvenu par fa diffimulation & fes intrigues, a la tête du Decemvirat, ne fongea plus qu'à rendre fa domination perpetuelle; il affembla auffi-tôt fes nouveaux Collegues qui tous lui étoient redevables de leur Dignité. Pour lors mettant bas le mafque de Républicain, il leur reprefenta que

rien ne leur étoit plus aifé que de retenir toute leur vie la fouveraine Puiffance; qu'ils étoient revétus d'une commission dans laquelle fe trouvoient réunies l'autorité Confulaire & la puiffance Tribunitienne; que le Senat & le peuple toujours oppofez, plutôt que de voir le rétabliffement de ces deux Magiftratures qui leur étoient également odieufes, aimeroient mieux leur laiffer comme en dépôt le soin du gouvernement; que les particuliers s'accoûtumeroient infenfiblement à leur autorité, & que pour la coilferver, ils devoient rappeller à leur Tribunal la connoiffance de toutes les affaires, fans fouffrir qu'on les portât au Senat ou devant l'Affemblée du peuple. Qu'il falloit furtout éviter avec grand foin toute convocation de ces deux Corps, qui les feroit apercevoir de leurs droits & de leurs forces. Qu'il fe trouvoit toujours dans ces fortes d'affemblées des efprits inquiets & impatiens de toute domination, & que • pour rendre inébranlable l'autoité du Decemvirat, il étoit de Pinterêt des Decemvirs de demeu

rer étroitement unis entr'eux. Qu'ils devoient avoir une complaifance réciproque les uns pour les autres; que tout le College devoit s'inte reffer dans les affaires particulieres de chaque Decemvir: & il ajoûta qu'il croyoit qu'ils devoient s'engager tous par les fermens les plus folemnels à ne se troubler jamais les uns les autres dans l'execution de leurs deffeins particuliers. Comme ce difcours d'Appius flatoit agréablement l'ambition de fes Collegues, ils fe laifferent conduire D.H. 1. 10. fes vues. Chacun applaudit à fes

fub fin.

Id. ibid.

projets; tous firent les fermens qu'il prefcrivit, & ils convinrent unanimement de n'oublier rien pour retenir toute leur vie l'empire & la domination qu'on ne leur avoit déferez que pour une feule année : nouvelle confpiration contre la liberté publique.

Ces nouveaux Magiftrats entrerent en poffeffion de leur Dignité 15.de Mai. aux Ides de Mai; & pour inspirer d'abord de la crainte & du refpect au peuple, ils parurent en public chacun avec douze Licteurs, aufquels ils avoient fait prendre des

haches

haches avec leurs faisceaux,comme en portoient ceux qui marchoient devant les anciens Rois de Rome ou devant le Dictateur; en forte que la place fut remplie de fix-vinge Licteurs qui écartoient la multitude avec un faste & un orgueil infuppor table dans une Ville où regnoient auparavant la modeftie & l'égalité. Le peuple ne vit qu'avec indignation cet appareil de la tyrannie. La comparaifon qu'il faifoit de la moderation des Confuls avec les manieres fieres & hautaines des Decemvirs, lui fit bien-tôt regreter l'ancien gouvernement. Il fe plaignoit fecretement qu'on lui eût donné dix Rois pour deux Confuls. Mais ces réflexions venoient trop tard, & il n'étoit plus maître de détruire fon ouvrage. Les Decemvirs commencerent å regner imperieufement & avec une autorité abfoluë. Outre leurs Licteurs, ils étoient encore environnez en tout tems d'une troupe de gens fans nom & fans aveu, la plupart chargez de crimes ou accablez de dettes, & qui ne pouvoient trouver de fûreté que dans les troubles de l'Etat.Mais Tome II,

B

ce qui étoit encore plus déplorable, c'est qu'on vit bien-tôt à la fuite de ces nouveaux Magiftrats une foule de jeunes Patriciens qui préferant la licence à la liberté, s'attacherent fervilement aux difpenfateurs des graces. Et même pour fatisfaire leurs paffions & fournir à leurs plaifirs, ils n'avoient point de honte d'être les miniftres & les complices de ceux des Decemvirs. Il n'y eut plus d'afiles affez fûrs pour la beauté & la pudeur. Cette jeuneffe effrenée, à l'ombre du pouvoir fouverain, enlevoit impunément les filles du fein de leurs meres; d'autres fous de foibles prétextes, s'emparoient du bien de leurs voisins, qui fe trouvoit à leur bienféance. En vain on en portoit des plaintes aux Decemvirs, les malheureux étoient rejettez avec mépris, & la faveur feule, ou des vûës d'interêt, tenoient lieu de droit & de juftice. Que fi quelque citoyen par un refte de l'ancienne liberté, étoit affez hardi pour faire éclater fon reffentiment, ces tyrans le faifoient battre à coups de verges comme un efclave; d'autres étoient exilez; il y en eut même

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