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point leur propriété, & leur énergie propre, puifqu'il n'y a pas même de fon qui n'ait la fienne. Ne voit-on pas (fuivant la remarque de plufieurs Ecrivains) que les bons Compofiteurs préferent par la force du Sentiment, le rémajeur pour les chants éclatants, l'utmineur pour les expreffions pathétiques, le fa-mineur dans les expreffions fombres, lugubres. En un mot, comme nos idées & nos fentimens font liés à des fons; c'eft en frappant ces fons que la Mufique peut réveiller en nous les paffions dont ils font les fignes & les organes.

Les Auteurs confirment unanimement cette gradation des tons que les Anciens avoient établie pour les diverfes expreffions du Sentiment & de la Paffion. Ariftote après avoir reconnu dans la Mufique différens genres, ajoute que chacun de ces genres avoit fon mode & fon harmonie propre. Il rapporte à ce fujet que le Muficien Philoxène, ayant tenté de compofer un chant de paroles badines fur le mode Dorien, dont la gravité ne comportoit pas un fujet fi frivole, fut emporté malgré lui, dans le mode Phrygien convenable de fa nature à une Poëfie

légére. Il y avoit encore certains airs affectés pour des jours de fêtes & de cérémonies; il n'étoit pas permis d'y rien changer, & ces chants devenoient comme autant de modéles pour les compofitions nouvelles. Homere, Aristophane, Plutarque & beaucoup d'autres font mention de l'air Orthien, dont la modulation étoit élevée, & le mouvement plein de vivacité. On s'en fervoit avec fuccès dans la guerre, pour animer l'ardeur des troupes: c'eft en jouant ce même air fur la flute que Timothée le Thébain enflammoit Alexandre le Grand de fureur, & le faifoit courir aux armes. Les Hiftoriens ont confervé pareillement les noms de pluifieurs autres chants confacrés pour caractériser la majefté, la volupté, la plainte la frayeur, &c. Il est même vraisemblable que les Muficiens Grecs étoient parvenus non-feulement à faifir le langage du cœur, mais encore à tracer à l'imagination des images qui ne font que pour les fens. En effet l'Hiftoire parle d'un air qui imitoit la rapidité & le fon aigu des roues d'un char mis en mouvement. Quintilien fait mention de plufieurs grands Généraux qui ne dédaignoient pas de jouer eux-mê

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mes des inftrumens militaires. N'eft-il pas même permis de croire (ajoutet-il) » que c'eft au talent de faire ufage » des inftrumens de guerre, lequel » nous poffédons fupérieurement aux » autres Nations, qu'eft due en partie » la réputation de la Milice Romaine. » Le pouvoir que le chant a fur nous » eft fi grand (c'eft Macrobe qui parle) qu'on fait jouer aux inftrumens mili»taires un air propre à réchauffer le " courage, lorfqu'il faut aller à la char"ge; au lieu qu'on leur fait jouer un » air d'un caractère oppofé, lorfqu'il » faut faire une retraite. Les fimpho»nies nous agitent, elles nous rendent gais & inquiets, & même elles nous "font dormir; elles nous calment; el» les nous foulagent dans les maladies » du corps ".

Il est donc certain qu'il y a une analogie plus ou moins fenfible entre un objet, & le moyen que l'Artiste choifit pour l'exprimer. Chaque chofe a fa nuance, il s'agit de l'apprécier avec jufteffe, & de la rendre avec vérité. Şeroit-il indifférent en peinture d'employer du yerd ou du bleu, & telle teinte au lieu d'une autre? Non affurément. Or le jufte emploi des tons oft

l'oreille

plus effentiel encore pour la Muf que, que le mélange des couleurs ne l'eft pour la Peinture. En effet on remarque que la Mufique affecte en général plus que la Peinture; & que juge avec plus de délicateffe que la vue *. De plus on peut avancer que nous fommes portés à décider par la qualité du fon qui nous frappe qu'elle eft fon origine, fa nature & fon expreffion. Ces opérations de l'ame font fi ordinaires, & fi fubites qu'elles femblent être moins l'ouvrage de la réflexion que celui de l'instinct; c'eft fur-tout lorfque la voix des paffions fe fait entendre, que notre ame cherche à les * Aures quarum judicium eft fuperbissimum. Cicero de Oratore M. Sauveur qui avoit fait plufieurs expérien→ ces fur les fons, donne un calcul d'où il réfulte que la fineffe de l'oreille pour le difcernement des fons, eft environ dix mille fois plus grande, que celle de la vue pour le difcernement des couleurs. Il eft constant ( fuivant M. de Mairan)

que les fenfations que l'ame reçoit par l'ouie font beaucoup plus fortes que celles qui lui viennent par la vue. Un air, ou fort gai, oufort tendre fera une impreffion que l'affortiffement de couleurs le plus recherché dans quelque genre & dans quelque deffein que ce foit, ne fera jamais. La vue eft le plus paifible de tous les fens.

Hift. de l'Académie des Sciences, année 1737.

diftinguer. Ce qui vient de l'idée qui eft en nous-mêmes, du ton propre à chaque expreffion, & de la facilité que nous avons de fentir les rapports les plus délicats qu'il y a entre le fon & le fentiment dont il eft l'interprête; c'eft pourquoi rien ne devroit être moins arbitraire en Mufique que le choix des modes & de leurs différens tons. Ils forment le langage du cœur, & ce langage devient équivoque & enigmatique, s'il n'eft pas employé dans fa propre fignification. Il y a dans toutes chofes un vrai à faifir, & c'est ce vrai qui fait la Magie de l'Art. Pour peu que l'on s'en écarte, l'effet manque; il n'y a plus cet à propos dont le charme eft fi flateur; il regne en fa place un faux & une maladreffe dont le gout fe révolte. Une mauvaise inflexion de voix, je ne dis pas relativement au ton que l'on a pris, mais même par rapport au fens du difcours quiéte & fatigue l'Auditeur. L'agrément d'un récit, d'une déclamation, confifte principalement à donner à chaque trait le ton propre; autrement le morceau le plus de génie d'un Poëme ou d'un difcours, deviendra froid, infipide, défagréable même dans la bouche d'un

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