Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Me taxant d'être dupe, on me dira peutêtre
Que le tour aifément pouvoit fe reconnêtre ;
Je le dis à ma honte,un Clerc eft fi malin,
Que le Diable pour lui ne feroit pas trop fin.
Mes fripons, pour qu'on n'eût contr'eux aucune

preuve,

D'une vieille chemife en faifoient une neuve ;
Et foigneux d'enlever la marque de mon nom,
Prouvoient que j'avois tort, & qu'ils avoient rai
fon.

[ocr errors]

Si j'ofois m'écrier d'une voix défolée :

Meffieurs, une cravate hier me fut volée;

Ils répondoient d'abord tout-fumans de couroux : Vous êtes un maraut. Pour qui nous prenez-vous ?De nous parler ainfi votre audace eft extrême; Si l'on vous a volé, le voleur c'est vous même. Je ne repliquois rien, quoique fûr de mon fait De peur que nôtre bruit n'eût un fâcheux effet. Mais quoi, me dira-t-on, dans l'état déplorable Où fe rencontre un Clerc que fa mifere accable, Un Clerc qui jour & nuit trace, fatigue, écrit ; Qui s'épuife en tout temps & le corps & l'efprit, Qui pour comble à fes maux, toûjours fur le qui

vive,

S'allarme, tremble, & craint que d'une main fur

tive

27

L'un de fes Compagnons n'enleve un beau matin
Ses hardes, fa caffette, & fon petit butin,
Peut-il bien fur un lit plus dur qu'une civiere,
Prendre quelque repos, & fermer la paupiere
Oui fans doute; & malgré mes douloureux ennuis,
Si je pouvois paffer paifiblement les nuits,
A fouffrir fans murmure excitant mon courage,
Je fçaurois moderer les accés de ma rage;
Mais helas! quelquefois long-temps avant le jour,
Quand tout eft encor calme en chaque carrefour,
Avant que l'Artifan commençant fon ouvrage
D'un bruit retentiffant frape le voisinage
Un client qu'un procés empêche de dormir
Sous les coups du heurtoir la porte fait gémir,
Brûlant d'impatience, emporté de furie,
Il appelle les Clores ; il fonne, il jure, il crie :
Enfin le Procureur s'éveillant en furfaut,
Sans fonger s'il n'eft point plus matin qu'il ne faut
S'abandonne aux transports de fa fureur brutale,
Et l'efprit tout émû fa fonnette brinbale :
Sur ce point le Plaideur redoublant fes efforts
Le grand bruit qui le fait & dedans & dehors
Caufe dans le quartier un terrible vacarme :
Les fonnettes en train jettent partout l'alarme,
Et semblent fous les coups d'un finiftre tochin
Annoncer du logis la ruine & la fin.

C ii

Tremblans & pleins d'effroi nous nus habillons

vîte,

D'un pas precipité nous quittons notre gîte;
Nous trouvons fur nos pas le client éperdu,
Ah! c'en eft fait, dit-il, Meffieurs, je fuis perda ?
Sçachez que ma Partie a fourni des repliques,
Que contre mes griefs il a rendu publiques.
Donnez-moi donc vos foins & vos attentions,
Employons, mes amis, force Salvations ;
Je vous fatisferai, j'en jure en confcience.
Eh de
grace, Monfieur, donnez-vous patience.
Tous les Clercs de ceans defirent votre bien;
Au refte,croyez-nous, ne precipitez rien.
Pendant tous ces propos la chandelle s'allume
Le Procureur defcend, nous prenons tous la plumes
Et le plaideur tenant ce qu'il vouloit avoir,
Nous fommes affurez de ne le plus revoir.

Mais quand on laifferoit en paix notre demeure, La nuit n'en feroit pas pour nous beaucoup meilleure,

Car notre Procureur qui dort moins qu'un jaloux Pour nous faire lever cft fans ceffe aprés nous. Encore s'il tardoit quelque tems à defcendre, Nous pourrions à loifir baailler & nous étendre, Ou nous ferions rouler la converfation

Qu

Sur les dés-agrémens de la Profeffion.
Mais lorfqu'au faut du lit fa pantoufte il remuë,
que
fur l'efcalier il touffe, il éternuë,
Nous faifons tous filence, & d'un esprit craintif
Chacun fait femblant d'être à l'ouvrage attentif,
Alors tel qui ne peut jetter jufte la vûë
Sur l'endroit dans lequel il faut qu'il continuë,
Craint que le Procureur ne le trouve en défaut,
Et reprenant plus haut ou plus bas qu'il ne faut,
Fait naître quelquefois une méprife énorme
Qui peut rendre le fonds vicieux par la forme
Un autre n'ofant pas faire un coup fi hardi,
Suppofe quelque mal qui le rend étourdi
Mais pour un Procureur ces tours font peu de mife
Ainfi foit qu'il s'emporte, ou qu'exprés il déguife,
Ce que par fon abfence il a fait differer
Par fa prefence au double if fçait le reparer.
Eh quoi ! dit-il, Meffieurs, fuis-je donc votre dupe?
Je prérens que chez moi tout le monde s'occupe,
Dût l'ouvrage manquer ; feignez de copier,
Plûtôt que d'être oififs barboüillez du papier:
Car fouvent un Plaideur jugeant par l'apparence,,
Quand il voit que des Clercs vivent dans l'indo-

Croit

lence,

que fon Procureur peu chargé de procés Ne pourra pas au fien donner un bon fuccés

[ocr errors]

Souvenez-vous qu'un Clerc eft fait pour l'écriture.
Ainfi tous ces faquins amateurs de lecture,

Qui toûjours ont le nez fourré dans les Romans,
Et qui perdent en vain tant de rares momens ;
Qu'ils emportent d'ici leurs livres d'amourettes,
Et s'en aillent ailleurs mediter leurs fornettes.
Le Procureur encor a la précaution,
Pour nous rendre affidus fans interruption,
De ne fouffrir placets, ni chaifes dans l'Etude,
De peur que pour caufer, plus que par laffitude
Un client dés-œuvré venant s'y reposer,

Ne nous tienne un difcours propre à nous amuser.
Sous les yeux clairvoyans notre troupe gênéc
A feffer le cahier paffe la matinée,

Et femble demander avec empreffement
D'un fuccint déjeuner le fortuné moment.
Sur les dix heures donc la cuifine eft ouverte :
A l'inftant chaque Clerc s'y rend d'un pas à l'ertes
Et pour leur portion tous prennent fans choisir
Un morceau de pain bis qui commence à moifir.
La Procureufe a beau compter fur fa fervante,
A notre déjeuner elle.eft toûjours presente,
Soit pour examiner fi parmi les morceaux
Il n'en eft point qui foient trop tendres ou trop gros
voir fi rodant autour de la marmite

Soit

pour Les Clercs n'en tirent point la chair à moitić cuite,

[ocr errors]
« AnteriorContinuar »