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gloire qui demeure après nous, ce n'eft pas ce talent qui tranfmet un nom à la poftérité. Il ne donne au petit nombre de ceux qui le connoiffent, qu'un amusement paffager, dont la mémoire s'évanouit bien tôt, tandis que l'eftime, la reconnoiffance, l'admiration de tous les fiècles eft réservée à ces hommes célèbres dont les ouvrages immortels joignent l'agréable à l'utile, dont les profondes recherches ont dévoilé les fecrets les plus curieux des fciences, dont la fageffe & la capacité ont honoré les places qu'ils occupoient pour l'avantage de l'état & des citoyens. Indépendamment de cette fumée de gloire, qu'un efprit folide peut méprifer avec juftice, fi le choix des talens dépendoit de nous, qui n'aime

roit mieux, à juger fainement, être grand poëte, grand orateur, grand philofophe, grand théologien, grand homme d'état, qu'être feulement homme aimable dans le commerce? Cependant on trouveroit aujourd'hui parmi nous plus d'une perfonne qui choifiroit autrement, & qui facrifieroit volontiers les graces inimitables du ftyle de la Fontaine, la hauteur incomparable du génie de Corneille, l'érudition d'un Petau, d'un Mabillon, &, fi on ofoit le dire, l'habileté dans le gouvernement & dans les affaires d'un Sully, d'un Doffat, d'un Colbert, la fcience militaire d'un Turenne & d'un Catinat, à cette légèreté de converfation que ces illuftres perfonnages n'avoient pas, ou peut-être

qu'ils dédaignoient. C'est le goût du frivole, tant reproché à notre nation, & qui fait partie en quelques-uns de nos beaux efprits de cette philofophie fingulière dont ils fe vantent, c'eft, dis-je, ce goût infenfé qui dicte un fi faux jugement. On ne veut vivre que pour s'amufer. On érige en fageffe l'art de varier & de perpétuer les amusemens. Dans ce fommeil de la raifon, on perd toutes les idées du vrai, du grand & du beau. On n'eftime plus que ce qui entretient les douces rêveries dont on craint de fortir. Tel eft l'égarement qui décrédite dans le fein même de la France tout ce qui en fait, aux yeux des autres peuples, l'ornement le plus précieux. Egarement funefte non feulement aux mœurs, mais

encore aux talens, qui s'énervent & qui s'aviliffent dans la diffipation d'une vie oifive & voluptucufe.

Quelques progrès que puiffe faire cet égarement déplorable, il ne preferira jamais contre la raifon, & il reftera dans le monde affez de lumières pour conferver aux talens les plus eftimables leur jufte fupériorité. Ce ne feroit donc pas pour la dévotion un aveu fort humiliant, que de fe reconnoître incompatible avec l'efprit de fociété. Elle pourroit fe confoler de cette perte, fi c'en étoit une pour elle, par les avantages qui lui font affûrés dans tous les autres genres d'efprit. Mais il n'eft pas jufte de nous arrêter fur le point de terminer notre carrière. La B b iij

dévotion, justifiée des reproches plus importans, n'a pas même à craindre les plus légères accufations. Plaire dans la fociété, eft un genre d'efprit, quoique ce foit le moindre; & dans ce qu'il a de réellement eftimable, il s'accorde avec la dévotion.

Il eft des fociétés où la dévotion ne fauroit paroître, & où, quelque efprit qu'elle pût avoir, elle feroit néceffairement ridicule. Ce font les fociétés où l'impiété dominante s'élève contre la religion, où la pudeur a fans ceffe à rougir des difcours que tient le libertinage. Quelle part la dévotion peut-elle prendre à de pareils entretiens? Applaudir ou conniver par le filence? C'est ce qu'il eft impoffible qu'elle faffe, perfuadée,

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