Par-tout ailleurs je rampe, & ne fuis plus moi-mê
Mais là j'ai quelque nom, là quelquefois on m'ai
Là ce même génie ofe de temps en temps Tracer de ton portrait quelques traits éclatans. Par eux de l'Androméde il fçut ouvrir la scéne * On y vit le Soleil inftruire Melpomene, Et lui dire qu'un jour Alexandre & Céfar Sembleroient des vaincus attachés à ton char. Ton front le promettoit, & tes premiers miracles Ont rempli hautement la foi de mes oracles. A peine tu paroisles armes à la main, Que tu ternis les noms du Grec & du Romain. Tout tremble, tout fléchit fous tes jeunes années, Tu portes en toi feul toutes les destinées. Rien n'eft en fûreté s'il ne vit fous ta loi;
On t'offre, ou pour mieux dire, on prend la paix de toi:
Et ceux qui fe font craindre aux deux bouts de la
Pour ne te craindre plus renoncent à la guerre.
Ton Hymen eft le fceau de cette illuftre paix. Sur ces grands incidens tout parle, & je me tais; Et fans me hazarder à ces nobles amorces, J'attends l'occafion qui s'arrête à mes forces."
Dans l'édition in-4°. ces trois Vers étoient ainfi ; On y voit le Soleil prédire à Melpomene Que nous verrions un jour Alexandre & Cefar Ainfi que des vaincus attachés à ten char.
Je la trouve, & j'en prends le glorieux emploi, Afin d'ouvrir ma fcéne encore un coup pour J'y mers la Toifon d'or, mais avant qu'on la voie, La paix vient elle-même y préparer la joie ; L'Hymen l'y fait defcendre, & de Mars en courroux, Par ta digne moitié j'y romps les derniers coups. On te voyoit dès-lors à toi feul comparable Faire éclater par-tout ta conduite adorable: Remplir les bons d'amour & les méchans d'effroi. Jufques-là toutefois tout n'étoit pas à toi,
Et quelque doux effets qu'eût produit ta Victoire, Les confeils du grand Jule* avoient part à ta gloire. Maintenant qu'on te voit en digne Potentat
Réunir en ta main les rénes de l'Etat ; Que tu gouvernes feul, & que par ta prudence Tu rappelles des Rois l'augufte indépendance, Il eft temps que d'un air encor plus élevé
Je peigne en ta perfonne un Monarque achevé: Que j'en laiffe un medéle aux Rois qu'on verra naî-
Et qu'en toi pour régner je leur préfente un maître.
C'eft-là que je fçaurai fortement exprimer L'art de te faire craindre & de te faire aimer : Cet accès libre à tous, cet accueil favorable, Qu'ainfi qu'au plus heureux tu fais au misérable. Je te peindrai vaillant, jufte, bon, libéral, Invincible à la guerre, en la paix fans égal; Je peindrai cette ardeur conftante & magnanime De retrancher le luxe & d'extirper le crime;
Ce foin toujours actif pour les nobles projets, Toujours infatigable au bien de tes Sujets ; · Ce choix de ferviteurs fidéles, intrépides, Qui foulagent tes foins, mais fur qui tu préfides; Et dont tout le pouvoir qui fait tant de jaloux, N'eft qu'un écoulement de tes ordres fur nous. Je rendrai de ton nom l'Univers idolâtre; Mais pour ce grand chef-d'œuvre il faut un grand Théatre.
Ouvre-moi donc, grand Roi, ce prodige des Arts Que n'égala jamais la pompe des Céfars; Ce merveilleux Sallon, où ta magnificence Fait briller un rayon de fa toute-puiffance: Et peut-être animé par tes yeux de plus près, J'y ferai plus encor que je ne te promets. Parle, & je reprendrai ma vigueur épuisée, Jufques à démentir les ans qui l'ont usée. Vois comme elle renaît dès que je pense à toi, Comme elle s'applaudit d'efperer en mon Roi; Le plus pénible effort n'a rien qui la rebute, Commande, & j'entréprens ; ordonne, & j'exécuto.
SUR SON RETOUR DE FLANDRE.*
U reviens, ô mon Roi, tout couvert de lau- riers,
Les palmes à la main tu nous rends nos guerriers : Ettes Peuples furpris & charmés de leur gloire Mélent un peu d'envie à leurs chants de victoire. Ils voudroient avoir vû comme eux aux champs de Mars
Ton augufte fierté guider tes étendarts:
Avoir dompté comme eux l'Espagne en fa milice, Réduit comme eux la Flandre à te faire justice; Et fçu mieux prendre part à tant de murs forcés, Que par des feux de joie & des vœux éxaucés.
Nos Mufes à leur tour de même ardeur faifies Vont redoubler pour toi leurs nobles jaloufies; Et ta France en va voir les merveilleux efforts Déployer à l'envi leurs plus rares trésors. Elles diront quels foins, quels rudes exercices, Quels travaux affidus étoient lors tes délices, Quels fecours aux bleffés prodiguoit ta bonté, ** Quels exemples donnoit ton intrépidité;
* Imprimés en 1667. in-42, & réimprimés la mêmeannée & en 1669, avec le Poëme fur les Victoires du Roi, in-12.
Ce Vers dans l'édition in-4°, est après le suivant.
Quels rapides fuccès ont accru ton Empire, Et le diront bien mieux que je ne le puis dire: C'eft à moi de m'en taire, & ne pas avilir L'honneur de ces lauriers que tu viens de cueillir, De mon génie ufé la chaleur amortie A leur gloire immortelle est trop mal afsortie; Et défigureroit tes grandes actions
Par l'indigne attentat de fes expreffions.
Que ne peuvent, grand Roi, tes hautes defti
Me rendre la vigueur de mes jeunes années! Qu'ainfi qu'au temps du Cid je ferois de jaloux ! Mais j'ai beau rappeller un fouvenir fi doux. Ma veine qui charmoit alors tant de baluftres, N'eft plus qu'un vieux torrent qu'ont tari douze luftres;
Et ce feroit en vain qu'aux miracles du temps Je voudrois oppofer l'acquis de quarante ans.. Au bout d'une carriere & fi longue & fi rude, On a trop peu d'haleine & trop de laffitude: A force de vieillir un Auteur perd fon rang, On croit fes vers glacés par la froideur du fang; Leur dureté rebute, & leur poids incommode, Et la feule tendreffe eft toujours à la mode.
Ce dégoût toutefois, ni ma propre langueur, Ne me font pas encor tout-à-fait perdre cœur : Et dès que je vois jour fur la fcéne à te peindre, Il rallume auffi-tôt ce feu prêt à s'éteindre. Mais comme au vif éclat de tes faits inouis Soudain mes foibles yeux demeurent éblouis;
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