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tent tout ce que l'on dit contr'eux pour les recufer. Ainfi un fuperieur, après avoir reçû les rapports qu'on a · de coûtume de lui faire, doit examiner ferieufement quelle eft la vertu de celui qui accuse fes freres, quel eft le caractere de fon efprit ;s'il n'est point prévenu ou intereffé, s'il ne voit point les chofes de travers, s'il n'eft point aveuglé par quelque paffion, s'il eft ami ou ennemi de celui dont il parle; s'il n'a point de differend qui l'anime contre lui; s'il n'agit point par la fuggeftion d'un autre, par animofité,ou par quelque autre emportement

XIV.

Il ferá cet examen le plus fecrètement qu'il pourra, fans que celui qui parle s'en apperçoive, & fans lui faire paroître qu'il ne défere pas entierement à fes paroles, afin de lui conferver toujours la même liberté de lu dire ce qu'il jugera à propos, auffi bien que pour ne le pas blefler,& pour ne luipas faire même injuftice; car quoique les hommes ayent des foibleffes & des paffions, & qu'ils fe trompent fouvent, nous n'avons pas droit néanmoins de croire qu'ils fe trompent Tome II. Cc

toujours, & qu'ils n'agiffent que par les mauvaifes impreffions, dont ils font capables.

Comme nous ne devons

pas non

plus juger que les perfonnes les plus exactes & les plus éclairées ne fe trompent jamais.

XV.

Mais on verra mieux par l'exemple que je vais propofer, que par les plus fortes raifons, combien il eft dangereux à un fuperieur de donner une entiere créance aux rapports d'une perfonne particuliere, quelque vertueufe qu'elle paroiffe. J'ai connu un religieux qui ayant paffé d'un monaftere à un autre, fut d'abord eftimé fi plein de vertu & d'efprit, qu'on ne crut pas qu'il eût befoin des exercices dont on fe fert pour éprouver les novices. O le trouva digne en peu de temps des principaux emplois de la maifon & il paroiffoit y agir fi bien, que tous les fuperieurs en étoient également contens.Sa réputation croiffant de plus en plus, on croyoit abfolument tout ce qu'il difoit des autres ; il n'y avoit point de bons fujets que ceux qu'il approuvoit, & ceux qu'il condamnoit étoient condamnez de tout le

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monde. Comme il paffoit pour avoir une vertu extraordinaire, on juftifioit par cette bonne opinion les défauts qu'on remarquoit en lui, ou plûtôt on faifoit fcrupule de remar quer des défauts dans une perfonne qu'on eftimoit fi parfaire : & fi quelqu'un étoit affez hardi pour en parler librement, on lui impofoit auffi-tôt filence, comme à un calomniateur. Pour fe rendre encore plus admirable, il commença à debiter fes vifions comme des operations de Dieu; id les compofoit avec beaucoup d'adreffe & il les ajuftoit fi bien aux temps & aux perfonnes, qu'on n'ofoit douter qu'elles ne fuffent très-vraies. Comme il fe faifoit malade quand il vouloit,il fe gueriffoit auffi quand il vouloit, & il faifoit paffer ces guerifons fubites pour des miracles. Pendant qu'il regnoit ainfi dans l'efprit des fuperieurs, plufieurs étoient obligez de fouffrir qu'on n'eût d'eux que l'opinion qu'il lui plaifoit d'infpirer; & il falloit pour avoir la paix, que tous les autres fouffriffent de paffer pour coupables autant de fois qu'il les accufoit; mais comme l'hypocrifie ne peut pas toujours durer, il arriva enfin que fes

fuperieurs commencerent à le connoître, & ils n'eurent plus pour lui tant de confiance. Il s'en apperçut auffi-tôt, & tâcha de rentrer dans fon premier pofte par des larmes, par des humiliations feintes & par toute forte d'adreffes. Enfin voyant que cette voie ne lui réuffiffoit pas, le dépit & la fureur s'emparerent en telle forte de fon cœur, qu'il fe lia avec les ennemis de la maifon, confpira avec eux dans le deffein de la ruiner entierement, & eft demeuré déterminément dans le mê me deffein jufqu'à la mort.

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DES PLAINTES:

Ous les hommes font naturellement portez à fe plaindre; tantôt ils fe plaignent d'eux-mêmes tantôt ils fe plaignent de

Dieu; & enfin ils fe plaignent les uns des autres.

par

I.

Les pauvres fe plaignent de la faim; de la foif, du froid, de leurs peines de leurs travaux, & de la maniere fi peu charitable dont ils font traitez les riches. Les malades portent avec impatience les douleurs qu'ils fouffrent, auffi bien que la privation des fecours dont ils croyent avoir befoin; & ceux-mêmes qui ont dans leurs maux tous les foulagemens que la nature peut defirer, trouvent encore qu'on ne s'empreffe pas affez à les fervir.

II.

Les riches fe plaignent de n'avoir

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