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quand je voudrois fur les cinq heures du foir, parce que fes maîtres fortoient à cette heure, j'y couru avec une joye inconcevable le premier jour de congé, & ai continué de la voir ainfi quelque tems. Elle m'a dit la femaine derniere qu'il manquoit à fon Maître un domestique; cette occafion me paroiffant favorable pour la poffeder tout à fait, j'ai de concert avec-elle forti du College en fecret, & me fuis fait préfenter à Monfieur de Luffac par de pauvres gens qui m'ont fait paffer pour leur fils. Il m'a reçu avant-hier. Je croiois jouir fans peine du fruit de mon ftratageme, mais mon fort change bien car comme j'allois aujourd'hui faire une commiffion, mon pere qui pafsoit à côté de moi m'a reconnu malgré mon

déguisement dont il a été indigné. Il a tiré auffi-tôt son épée, ce qui m'a obligé de fuir & d'entrer ici, où vous m'avés fervi d'Ange tutelaire. La Marquife & le Baron qui entrerent dans ma chambre m'ôterent la liberté de lui répondre, & j'eus le déplaifir de voir emmener ce malheureux ami par fon perc, à qui la Marquise l'avoit permis, à condition qu'il oublicroit cette faute. Je ne l'ai jamais vû depuis. J'ai cependant fçû que le Baron, contre fa parole, l'avoit fait févérement puni, mais qu'il avoit toujours conftamment aimé Jeannette & l'avoit enfin épousé, fon pere étant mort quatre ans après cette avanture. Je penfois bien que la Marquife qui m'avoit entendu nommer par le fils du Baron,me queftionneroit là-def

fus; mais j'étois bien éloigné de croire qu'il m'en dût coûter la place que j'occupois chez-elle. Cela toutesfois arriva, & cette femme trop fcrupuleufe me remercia le lendemain matin après m'avoir payé mes gages, qui n'étant pas confidérables s'évanouirent en peu de tems; je vendis donc une feconde fois mon habit, & me couvris de lambeaux. Ne pouvant paroître en ce mauvais équipage dans Paris,où j'étois un peu connu, je me retirai dans la campagne & pris le chemin de la Normandie demandant ma fubfiftance. J'étois aux portes de Mantes, lorfqu'une avanture finguliére m'arriva : je vis à tra vers l'obfcurité ( car il étoit nuit) fortir d'une des broffailles un homme qui vint droit à moi,& qui me demandad'un ton

peлaffûré, fi je n'avois pas laiffé la Marêchauffée derriere moi: je lui dis qu'oui ; en effet, je l'avois vû à un quart de licue de-là, prête à fe détacher pour découvrir apparemment cet homme, qui paya ma réponse d'une bourse pleine d'or, & me pria enfuite, comme un autre Neron en me préfentant un piftolet, de lui caffer la cervel le. Cette priere me fit trembler & jettant le piftolet aux pieds de ce malheureux, je me mis à fuir promptement & entrai dans Mantes refpirant à peine. Helas s'il m'eut été poffible de prévoir les fuites fâcheufes que devoit avoir cette fatale rencontre, j'aurois paffé outre. J'entrai dans une hôtellerie où mes guenilles donnerent une mauvaise opinion de moi: on me regarda d'un air de mépris

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mêlé de défiance qui me défefpéra, & me fis faire une action dont je repentis prefque auffi-tôt; car aïant tiré ma bourfe où il y avoit foixante louis je la vuidai fur la table, pour montrer que j'avois de quoi payer ce que je dépenferois : mais loin que cela éblouît ces gens, le maître de l'hôtellerie me dit effrontément que j'étois un fripon, qu'affûrément j'avois volé cet argent, & qu'il m'alloit faire mettre en lieu de fûreté. Il m'enferma dans une chambre & alla avertir la Juftice, qui fans perdre de tems vint me chercher & me conduifit en prison pour y paffer la nuit. Quel fut mon défelpoir, quand je me vis dans ce lieu plein d'horreurs, quoiqu'innocent! Je maudis mille fois l'heure que j'avois accepté la bour

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