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fer des mots ou même des membres de phrafes, non-feulement pour être plus clair, ou plus énergique, mais encore pour attraper un tour harmonieux. Il conclut qu'une phrase bien cadencée eft un tiffu de fyllabes bien choifies & mifes dans un tel ordre, qu'il n'en réfulte rien de dur, rien de lâche, rien de trop long, rien de trop court, rien de pelant, ni rien de sautillant.

[2.] Thrafimaque fut le premier chez les Grecs qui inventa le nombre & la cadence. Mais Ifocrate en perfectionna l'art par fes préceptes & par fes exemples.

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CHAPITRE XXV.

De l'origine du Nombre & de l'harmonie dans le Difcours.

177.

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Eux qui admirent le plus Ifocrate, le louent principalement de ce qu'il a été le premier qui a introduit le nombre dans la Profe; comme il vit, difent-ils, que l'on écoutoit les Orateurs avec un air ferieux, & les Poëtes avec plaifir, il travailla à rendre le discours nombreux, non-feulement dans la vûe d'y jetter plus d'agrément, mais encore dans le deffein de faire fervir la varieté de préservatif à l'ennui.

178. Ce qu'ils difent eft vrai en partie, mais non pas en tout. Car quoiqu'Ifocrate foit celui de tous les Rhéteurs qui a été le plus verfé dans la fcience des Nombres, toutefois il eft certain qu'il n'en eft pas l'inventeur. Cette gloire eft dûe à Trafimaque qui eft même exceffif en ce genre, & qui prodigue le nombre dans tous fes ouvrages.

Pour ce qui eft des antithefes, des confonances, & de ces figures qui confiftent dans un rapport de paroles qui placées avec fymetrie fe répondent les unes aux autres, Gorgias en eft le premier Auteur. Elles conftituent le fecond genre des trois parties de l'arrangement des mots. Ce font celles dont j'ai déja parlé & dont j'ai dit qu'elles forment d'elles-mêmes une jufte cadence, fans que l'Orateur paroiffe y faire attention. Mais il faut convenir que Gorgias s'y abandonnoit fans aucun ménagement.

Ces deux Auteurs ont précedé Ifocrate, & s'ils ont fur lui la gloire de l'invention, il a remporté fur eux l'avantage de la retenue & de la fobriété. Car il n'étoit pas moins refervé dans l'ufage des nombres, que dans celui

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des métaphores & des mots nouveaux, Gorgias au contraire étoit fi avide de toutes ces gentilleffes, pour me fervir de fes termes, qu'il s'y livroit fans garder ni bornes ni mesures; au lieu qu'Ifocrate tout jeune qu'il étoit, lorfqu'il fe mit en Theffalie fous la discipline du vieillard Gorgias, crut qu'il· n'en devoit ufer qu'avec moderation, A mesure même qu'il avançoit en âge: (or il a vécu près de cent ans,) il diminuoit toujours quelque chofe de fon grand attachement aux nombres & en fecouoit peu à peu le joug, comme il le déclare dans le Livre qu'il compofa étant déja fort vieux, & qu'il adreffa à Philippe Roy de Macedoine. Ainfi non-feulement il corrigea ceux qui l'avoient précedé, mais il fe corrigea lui-même. Voilà quels ont été le principaux Auteurs du nombre, & quelle en a été l'origine. Cherchons-en à préfent les causes.

***

CHAPITRE XXVI.

Des caufes du Nombre.

179. A cause du nombre fe maLnifefte avec tant d'évidence,

qu'il eft furprenant, que les Anciens n'en ayent point été frapés : d'autant plus que le hazard amenoit fouvent la cadence dans le difcours, & que ces chûtes fortuites qui flatoient leurs oreilles & qui charmoient leur efprit, auroient dû les rendre attentifs à la maniere dont elles étoient conftruites, & les porter à s'imiter euxmêmes. En effet l'oreille, ou plutôt [1] l'ame à qui l'oreille fait fon rapport, a, pour ainfi dire, dans foi-même la mefure de tous les fons; elle juge de ce qui eft trop long, ou de ce qui eft trop court; elle attend toujours quelque chofe de parfait, & qui ait une jufte proportion. Si on ne lui prefente que des nombres tronqués & mutilés, elle s'en offense, comme fi on vouloit la fruftrer de ce qui lui eft naturellement dû. Mais elle est encore plus bleffée de certaines phrases

trop étendues & pouffées au-delà des juftes bornes. Car le trop qui choque par tout où il fe trouve, choque encore plus dans le difcours oratoire, que le trop peu.

Comme donc les vers doivent leur naissance aux observations des gens de goût qui guidés par les fentimens de l'oreille, en ont déterminé la mefure; ainfi le nombre profaïque a été trouvé de la même maniere; les hommes inftruits par les avertiffemens de la nature ayant remarqué, qu'il y avoit dans le difcours une certaine fuite de paroles terminées par des chûtes harmonieufes, en ont fait un art, mais qui n'a parû que long-tems après la découverte de la verfification.

NOTES

Sur le vingt-fixiéme Chapitre de l'Orateur,

[1] Il y a dans le texte aures enim vel animus aurium nuncio, &c. Cicéron après s'être fervi du mot d'aures fe corrige auffi-tôt & ajoute vel animus aurium nuncio, pour montrer qu'à proprement parler ce n'eft point l'oreille qui entend & qui juge de la mesure des longues & des breves; en effet le corps eft incapable de penfer & de fentir. Cette faculté n'appartient qu'à l'efprit qui voit & qui entend

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