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que fans comter les Brachmannes d'aujourd'huy, qui font les preftres des Indiens, tant de milliers de moines, de folitaires, de religieux, de religieufes, & de gens de tout fexe & de toute condition, gardent étroitement l'abftinence de la viande on conviendra fans peine qu'il y a au moins autant de perfonnes qui vivent & fe portent bien fans vivre de viande, qu'il y en a qui la croyent nécessaire.

Enfin fans vouloir icy faire un parallele injufte & odieux, on prie de remarquer que parmy cette effroyable quantité d'animaux de quelque efpece qu'ils foient, il en eft peu dans l'air, dans l'eau & fur la terre, qui fe nourriffent de chair, prefque tous vivent d'herbes & de grains, Paliment fans doute le plus naturel & le plus indifpenfable, puifqu'il eft prouvé qu'il ne feroit pas difficile de nourrir de légumes les animaux qui vivent de viandes, mais qu'il eft impoflible de nourrir de viandes tous ceux qui vivent ordinairement de légumes.

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CHAPITRE VI I I.

Que les hommes d'apréfent ne font pas moins forts, ni les fruits ou légumes d'aujourd'huy moins bons qu'avant le déluge.

C

'EST icy le dernier retranchement de ceux qui fe déclarent pour la néceflité qu'ont les hommes de manger de la viande : ils conviennent qu'avant le déluge la terre comme baignante encore dans les fucs gras & féconds dont le créa teur venoit de la remplir, fourniffoit abondamment de quoy produire d'excellens fruits; mais depuis ce defaftre de la nature la terre trop détrempée, femblable à ces terres des chymiftes

qu'une leffive abondante à dépouillée de fes fels & de ce qu'elle avoit de plus actif, n'a plus efté en état de fournir que des liqueurs mortes, ou des fucs affadis. Par là, difent-ils, les arbres ont dû perdre la force de leur féve, & les plantes celles de leur fuc; celles-cy par conféquent n'ont pû fe nourrir que d'un phlegme infipide ou de liqueurs ufées, & ceux-là n'ont pû fe groffir que d'une féve maigre ou de fucs appauvris. L'air d'ailleurs de même trop humide & moins élastique, n'a pû fournir pour la vie de l'homme, qu'un efprit groffier plus propre à rallentir la circulation du fang, qu'à l'entretenir. C'eft ainfi que le tempérament des hommes a dû s'affoiblir, & que les productions de la terre ont dû s'alterer. Auffi, ajoûtent-ils, le monde a-t-il changé de face, l'homme a moins vécu dans la fuite, fa force s'eft diminuée, les corps font devenus moins puiffans, & infenfiblement les derniers temps ne nous ont prefque plus confervé que le nom ou quelques exemples de ces geans qui compofoient des nations entieres dans les commencemens du monde. Les fruits font auffi déchûs de leur groffeur; & à en juger par ceux que les efpions de Moyfe apporterent du pays de Chanaam, quoiqu'ils ne duffent eftre déflors que de foibles reffemblances de ceux des premiers fiecles, nous devons concevoir que ceux d'aujourd'huy ne font pas même les ombres des anciens La nature donc, difent-ils, & des hommes & des légumes eftant à préfent déchûe, ce qui eftoit vray avant le déluge ne l'eft plus aujourd'huy.

Mais il eft à croire que cette pensée eft de la nature de celles que l'amour propre à inventées & que le préjugé autorife. Les hommes cherchant prefque naturellement dans les anciens temps de quoy excufer leurs foibleffes, en ema Voyez Burnet tellur, theor, face. 1. 2. c. 43.

pruntent les moyens de juftifier leurs penchans: c'eft pourquoy on préfére ce qui vient de loin, & on aime à croire que les temps paffez valoient mieux que le nôtre. Le Sage cependant nous avertit que cette penfée eft folle & infenfée; on ne doit donc luy donner d'autorité qu'autant qu'elle fe trouve autorifée par l'Ecriture, ou du moins folidement établie par le témoignage des meilleurs auteurs. Or il eft étrange que les livres faints qui ont eu fi grand foin de nous conferver la mémoire du péché du premier homme & du déluge, ne difent rien de cette fuite fi naturelle & fi néceffaire, comme on croit, de l'affoibliffement de la nature.

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Ce que les anciens nous ont laiffé fur une queftion affez femblable à celle-cy, n'eft pas favorable à l'opinion commune; au contraire un auteur célebre & entendu, s'il en fut, en agriculture b a étably le contraire dès il y a 1700. ans, en répondant à fon amy qui l'avoit confulté là-deffus. Ce maître en agriculture répond agréablement que la terre, cette mere commune de tous les eftres créez, ne doit pas eftre comparée aux autres meres que l'âge & le temps épuifent, ou rendent ftériles; que l'efprit au contraire dont le créateur l'a imprégnée d'abord, a dû la rendre féconde auffi long-temps qu'elle devoit durer, puifqu'un efprit auffi divin ne pouvoit jamais vieillir d; d'où il conclud que la terre eftoit encore auffi féconde qu'elle fut jamais. Namque parens hominum æternam fortita juventam ɔ Non fenio tellus, non deficit ubere partu: Sed facili vires, & fertilitatis honorem Reftituit cultu. Nos contrà, cùm femel annis

a An longo ævi fitu, longique temporis exercitatione fati gata & effoeta humus confenuerit. Columel. de re ruftic. 1. 1. c. I. p. 24. b Columel. 1. 1. c. I. 1. 2. c. 1. L. 11. G. 2 • Columel, 1 1, C1 © Zhid, 1, 17, C. 22

Invafit nulla reparabilis arte fenectus,
-In pejus ruimus, nec habet natura regreffum "

Ce n'eft donc au plus qu'une conjecture que ce qu'on nous dit de la décadence du monde', ou de l'épuisement de la terre: mais pourquoy établir cette conjecture fur le déluge, par lequel il ne paroît pas que Dieu ait porté de malédiction fur la terre? Si donc on avoit à reconnoître cette malédiction, on feroit mieux fondé en l'attribuant moins au déluge qu'au péché du premier homme, qui attira en effet la malédiction fur la terre, Maledicta terra in opere tuo, d'autant plus que les marques de cette malédiction fuivirent. Car y en eut-il jamais de plus fenfible que celle que l'Ecriture elle-même rapporte, & peuton imaginer des preuves plus inconteftables que la terre auroit perdu de fa force, & que les fucs feroient déchûs de leur fécondité, que de la voir, elle qui produifoit par elle-même & de fon propre fond des fruits capables prefque de préferver de la mort; de la voir, dis-je, condamnée à ne produire qu'à force de travail & de fueur des épines & des ronces, ou tout au plus quelques foibles légumes, au lieu de ces fruits délicieux ? Mais l'homme affujetti, comme il eft, à fes fens, croit bien plus volontiers qu'un déluge d'eau aura appauvri toute la nature, que la parole de Dieu ne Paura rendue ftérile ou moins féconde. Cependant pour peu qu'on y penfe, on trouvera que comme la feule parole du créateur ordonna lá fécondité de la terre, elle feule auffi en a comme prononcé l'anathéme. Puis donc que ce fut après le péché de l'homme que Dieu déclara que la terre feroit maudite, plus propre par conféquent à devenir dans la fuite l'inftrument de la pénitence de l'homme, que l'objet de fon plaifir ou de fon occupation, ce feroit plûa Facob. Vanierii è Soc. Feju, præd, rust. p. ro

tot du temps de la prévarication du premier hom me que de celuy du déluge, qu'il faudroit prendre l'époque du déchet de la nature, fi c'eftoit par le vice ou le défaut des alimens que la vie de l'homme fût devenue plus courte. Mais puifqu'on reconnoît que la terre & fes productions eftoient encore dans toute leur bonté, même après le péché du premier homme, on doit auffi reconnoître que Dieu n'ayant point prononcé de nouveaux anathémes fur la terre en envoyant le déluge, elle produit d'auffi bons fruits aujourd'huy qu'avant le déluge.

Il ne paroît pas même que l'intention de Dieu dans le déluge ait efté d'alterer la nature, il a voulu la punir & non pas l'affoiblir ou la perdre, il en eut pitié au contraire ; & touché pour ainfi dire de fa foibleffe, il promit qu'il ne maudiroit plus la terre à l'avenir, c'eft-à-dire qu'il ne l'affligeroit plus par un déluge, comme s'il luy avoit voulu faire entendre qu'elle ne fe reffentiroit pas dans la fuite des impreffions de ce fleau: il fe prefcrivit même un figne exprès dans le ciel pour fervir comme de gage à l'homme, qu'il n'y auroit plus à l'avenir de déluge fur la terre. Pourquoy donc vouloir aujourd'huy faire durer ou revivre un châtiment contre lequel Dieu même raffure toute la nature ?

Cependant on ne peut difconvenir que cette abondance d'eau n'ait d'abord comme noyé tous les principes de végétation que l'air & la terre renfermoient; mais on fait par l'Ecriture même que les plantes ne furent pas corrompues dans le tempsmême du déluge, puifque l'olivier, par exem ple, fe conferva fous les eaux. Il n'eft pas plusvray que ni les femences, ni les principes de leur végétation ayent dû en eftre corrompus. 1. Ce n'eftoit point aux plantes que Dieu en vouloit, ce n'eftoit point elles qu'il vouloit per

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