Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Le torrent dont l'eau tenoit lieu de vin au prophete s'étant feché, Dieu voulut bien lui procurer une autre retraite fort differente de celle-là, mais où néanmoins il ne fut, ni moins caché, ni moins feul, afin de nous apprendre que nous ne devons jamais abandonner la folitude où Dieu nous a mis, qu'il ne nous en retire lui-même ; & que quand il veut nous en procurer une autre, nous ne devons avoir aucune peine à abandonner la premiere. Ce ne fut point Elic qui demanda de changer de demeure quoiqu'il n'y eût plus d'eau dans fon terrein, ce fut Dieu même qui le fit changer : & quand Elie eut reçu de lui ordre d'aller ailleurs, il n'eut point d'autre penfée que de le fuivre. Il fe plaifoit affez dans fa premiere folitude pour s'y tenir affis, c'eft-à-dire, pour s'y tenir en repos, & pour y louer Dieu avec joie; mais il ne s'y plaifoit pas tant qu'il y demeurât attaché, & qu'il ne fût toujours prêt à en fortir quand il plairoit à Dieu de l'appeller, ou de l'envoyer ailleurs.

Si l'on demande pourquoi Dieu ne le mit pas d'abord chez la veuve où il devoit demeurer fi long-temps,on peut

répondre que c'étoit pour nous faire connoître, admirer & imiter la vertu de fon prophete. Un folitaire infidele auroit commencé de s'étonner quand il auroit vû que le torrent commençoit de fe fecher; mais Elie n'en eut aucune peine, parce qu'il avoit de la foi, & qu'il fe confioit en Dieu : il ne lui reprefenta point non plus, comme auroient fait beaucoup d'autres, qu'il pouvoit lui faire apporter de l'eau par le corbeau, ou empêcher que le torrent ne fe fechât, parce qu'il étoit parfaitement humble & foumis; il mettoit toute fa vertu à laiffer faire Dieu, & à le louer également de tout, fans avoir d'autre vûe que de lui obéir avec joie. Dieu eût pû lui donner à manger par une voie naturelle, comme il fe fervoit d'une voie toute naturelle pour lui donner de l'eau, ou lui donner de l'eau par une voye extraordinaire, comme il fe fervoit d'une voie extraordinaire pour lui donner à manger; mais il vouloit nous montrer qu'il a toute forte de moyens de nous nourrir dans la folitude, afin que nous demeurions en paix, à quelque neceffité que nous puiffions nous y trouver reduits: car fans nous envoyer des

corbeaux, ni nous adreffer à des perfonnes charitables, felon la conduite qu'il a tenue envers Elie, il peut nous fournir tout ce qui nous fera neceffaire en une infinité d'autres manieres, pourvû que nous nous abandonnions à fa fainte providence, s'il lui plaît de nous foûtenir par des moyens or dinaires & communs, nous en devons être contens, & ce fera comme le torrent qui avoit une fource natu→ relle: s'il veut fe fervir de moyens extraordinaires, afin de nous faire voir fa bonté & fa puiffance, ce fera comme le corbeau qui nourriffoit Elie, & nous n'avons qu'à le laiffer faire. II faut feulement que nous dui ouvrions nos mains, en le remerciant de ce qu'il lui plaira d'y mettre, en quelque maniere qu'il le faffe: & nous pouvons nous affurer qu'il ne les laiffera point vuides. Comme il a une entiere volonté de nous communiquer fes graces, il n'y a que notre infidelité & notre mauvaise difpofition qui l'empêche de nous en combler.

Quant à ce qui regarde le prophête Elie, Dieu fubftitua en fa faveur à la folitude du torrent, qui vint enfin à fe fécher, celle de la maifon d'une

[ocr errors]

pauvre veuve, pour nous apprendre que la veritable folitude eft infeparable de la pauvreté; & qu'il eft impoffible de la rencontrer dans les maifons de plaifir & de joie. En effet on ne fçauroit demeurer caché chez les riches,non plus que conferver l'efprit de la folitude fans l'efprit de gemiffement qu'on eft en grand danger de perdre quand on eft heureux felon le monde. Le fage qui nous dit, qu'il vaut mieux aller dans une maifon de larmes, tolle qu'eft la maifon des veuves, que dans une maifon de divertiffement & de feftin, nous marque affez par ces paroles, où nous devons chercher la folitude, & que nous nous trompons fi nous la cherchons ailleurs que dans les lieux de penitence.

[ocr errors]

L'entrée d'Elie chez la pauvre veuve de Sarepte, & tout ce qui s'y palla, contient prefque autant de myfteres que de paroles; mais comme ce n'est pas ici le lieu d'en parler, & que nous ne confiderons préfentement chez cette fainte femme que la folitude du prophète, il fuffit de remarquer qu'il y demeura long-temps dans un grand fecret & dans une grande pauvreté ; car l'Ecriture témoigne qu'il ne reftoit

Ff iiij

à cette veuve qu'un peu de farine & d'huile, & qu'elle n'avoit pas même autant de bois qu'il en falloit pour faire cuire un petit pain, qui devoit être fon unique & derniere nourriture; que fi la farine fut multipliée avec l'huile par un miracle continuel, il ne fit aucun tort à la pauvreté de la folitude prophetique, puisqu'il empêcha feulement que la farine & l'huile ne diminuaffent depuis qu'elles furent confacrées à la charité, & qu'il n'en augmenta point la quantité, ni ne les rendit plus abondantes.

Le prophete ne lui ayant demandé qu'un petit pain: Panem parvulum, & la farine ne diminuant point par l'emploi qu'en faifoit la veuve, ils curent autant de pain les jours fuivans que le premier & comme auffi la farine n'augmenta point dans la fuite, ils n'en eurent jamais davantage. Le repas que firent d'abord trois perfonnes d'une pinfée de farine partagée en trois, ne peut pas avoir été fort grand, non plus que ceux des jours fuivans, dont la frugalité doit avoir été d'autant plus égale à celle du premier, que la conduite de ce grand homme étoit reglée, & qu'il n'étoit pas moins

« AnteriorContinuar »