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Surpris en même tems des foins & des précautions que les Chinois prenoient pour la compofition de ce grand ouvrage, ils ont conçu la plus haute idée de l'Hiftoire de la Chine, qu'ils ont regardée comme la plus authentique & la plus fuivie qui exiftât; & la Chronologie Chinoise leur a paru ne devoir fouffrir aucune atteinte. En conféquence celle du texte Hébreu, qui fe trouvoit trop courte, a été abandonnée, & on a eu recours à celle des Septante ou du texte Samaritain qui donnent un efpace de tems beaucoup plus long. Ce préjugé, paffé en Europe, a été adopté par plufieurs Ecrivains qui, à la faveur de la Chronologie Chinoife, ont prétendu attaquer celle de l'Ecriture-Sainte. Tels ont été les fruits de cet enthousiasme. On a jugé de l'ancien Empire Chinois par ce qu'il eft aujourd'hui, & nous avons M. de Vol- vu des Ecrivains modernes avancer que Fo-hi régnoit fur les quinze provinces de la Chine: de forte que cet Empire auroit dû commencer bien avant le Déluge, peut-être même avant l'époque de la Création. Cependant il eft certain, par l'Hiftoire Chinoife même, que du tems de Jefus-Chrift il y avoit encore des Provinces qui n'étoient ni policées, ni foumises à l'Empire.

taire.

On n'avoit prefque point encore confulté de livres Chinois, on admettoit la durée des régnes telle qu'elle étoit donnée par le premier des ouvrages qui s'étoit présenté, & l'on ignoroit s'il exiftoit différens fentimens chez les Chinois fur leur Chronologie. Quelques Miffionnaires dans la suite, principalement le P. Gaubil, l'ont examinée avec foin, mais leurs ouvrages n'ont point été imprimés, & quelques-uns de nos Ecrivains s'en font toujours tenus aux premieres impreffions.

Cependant cette Hiftoire que l'on admire, n'est détaillée que depuis 200 ans avant Jefus-Chrift; elle est décharnée avant l'an 400, elle ne contient, pour ainfi dire, que la fucceffion des Princes, & les événemens y font indiqués fans détails. Hérodote renferme beaucoup plus de faits que toute l'Histoire Chinoise, depuis la fondation de l'Empire jusqu'à l'an 400 avant Jesus-Chrift; & il feroit à defirer que ces

anciennes annales fuffent auffi étendues que les écrits de l'Auteur Grec.

Malgré cette briéveté des annales, elles mériteroient encore la plus grande attention, fi la durée des régnes y étoit certaine; mais lorsque l'on voit les Chinois continuellement partagés entre eux; lorfque, fuivant les uns, un Prince régne 13 ans; fuivant d'autres, 7; un autre, 18 ou 58; un autre, 21 ou 8; un autre, 19 ou 7; un autre, 25 ou 6, &c. fuivant les Auteurs différens; lorfque l'on voit des interrégnes de 2, de 3 & de 26 ans, où d'autres n'en mettent point; lorfqu'un Prince, pour régner 75 ans, auroit dû vivre 104 ans; lorfque l'on donne 30 années de régne à un Prince que l'on dit être contemporain d'un autre, & que pour trouver cette contemporanéité, il faut y fubftituer un cycle de 60 ans ; lorfque deux Princes, defcendus l'un & l'autre du même ancêtre, le premier à la treizieme génération, le fecond à la feizieme, font cependant éloignés l'un de l'autre d'environ 600 ans ; lorfque Chun, defcendu de Tchuenhio à la fixieme génération, régne avant Yu qui defcend du même Prince à la quatrieme génération; lorfqu'enfin, pour la certitude historique, on ne remonte guères au-delà de l'époque de la fondation de Rome, c'eft-à-dire, vers l'an 8c0 avant Jefus-Chrift, & que l'hiftoire de tout ce qui eft antérieur à cette époque, c'est-à-dire, ce qui s'eft paffé pendant 12 ou 15 fiécles, peut être renfermé dans une brochure affez peu confidérable, je ne puis m'empêcher de conclure que rien n'eft fi incertain qu'une pareille Chronologie, & je fuis encore plus confirmé dans ce fentiment lorsque je vois que les Chinois ont pris chez les autres nations des événemens finguliers qu'ils ont attribués à leurs propres Princes. C'eft M. de Vol en vain que l'on m'objectera les obfervations des éclypfes qui femblent déterminer le régne des Princes. C'eft en vain que l'on prétendroit que les Chinois ont joint l'Hiftoire du "Ciel à celle de la Terre, & ont ainfi juftifié l'une par l'au

Que diroit-on d'un Ecrivain, qui en voulant donner l'Hiftoire des Affyriens ou des Perfes, calculeroit à préfent les éclypfes qui ont dû arriver fous le régne de chaque Prince, & les y rapporteroit? Je ne prétens pas cependant

taire.

que toutes les éclypfes ou obfervations indiquées par les Chinois, aient été fuppofées de cette maniere; mais il y en a beaucoup qui n'ont été placées qu'après coup, principalement les plus anciennes.

En effet ces obfervations ne paroiffent avoir été faites que dans des tems bien poftérieurs à ceux où on les indique, & fur des traditions incertaines, puifque prefque tous les monumens ont été détruits par Thin-chi-hoang. Si elles font vraies, il faut néceffairement rapprocher de nous le régne des Princes fous lefquels on prétend qu'elles ont été faites. Je ne fuis point Aftronome, ni en état de décider à qui l'on doit ajouter plus de foi, ou à M. Caffini, ou aux Miffionnaires qui ont cultivé l'Aftronomie à la Chine. Cependant j'ai toujours été frappé des remarques du premier fur une obfervation ancienne d'un folftice d'hiver faite à la Chine, que l'on place à la vingtieme d'Yao, l'an 2347 avant J. C. & que cet Aftronome met en 1852, ce qui fait une différence de 497 ans, c'est-à-dire, environ cinq fiècles. Je fuis encore frappé de trouver cinq fiécles de différence entre M. Caf fini & la Chronologie Chinoise pour le concours de cinq planetes dans la conftellation Che, & de la conclufion qu'il rapporte à l'occasion des conftellations Chinoifes. Cer accord, dit-il, des nombres de ces tables Chinoifes avec celles de Tycho, à peu près dans la même minute, nous donne lieu de juger que ces tables ont été calculées par les Peres Jéfuites qui depuis un fiècle font allés à la Chine, & non par les Chinois. Car quelle apparence y a-t-il que fans être tirées des tables de Tycho elles y fuffent fi conformes? Nos Aftronomes de ce fiécle ont de la peine à s'accorder dans la même minute dans le lieu des étoiles fixes: & l'on fait qu'entre le Catalogue de Tycho & celui du Landgrave de Heffe, faits en même tems par d'excellens Aftronomes, il y a une différence de plufieurs minutes. Ceft pourquoi il n'est pas vraisemblable que les obfervations des Chinois s'accordent prefque toujours avec les obfervations de Tycho dans la même minute (a).

Les Chinois ont beaucoup cultivé l'Aftronomie ; je n'ai jamais cru cependant qu'ils y euffent fait des progrès bien (a) Mémoires de l'Académie des Sciences, Tome VIII, pag. 300 & fuiv,

confidérables, puifqu'autrefois ils avoient appellé les Aftronomes Arabes dont ils ont tiré de grands fecours, puisqu'on lit plufieurs fois dans leurs annales qu'ils fe font trompés en annonçant des éclypfes. Je les crois encore moins ha biles, après ce jugement qu'en porte le célebre Aftronome que je viens de citer.

Peut-on en conféquence s'appuyer beaucoup fur les obfervations aftronomiques pour établir l'Hiftoire & la Chronologie Chinoife, & ne feroit-ce pas en impofer que de vouloir la faire regarder comme une Hiftoite inconteftable, & la feule qui foit fondée fur des obfervations céleftes ? Le Tchun-tchieou, compofé par Confucius, contient trente-six éclypfes, mais il ne remonte pas au-delà de l'an 722 avant Jefus-Chrift. Quelle obfcurité & quelle confufion dans tout ce qui précede cette époque, & à quels monumens peuton avoir recours? Il n'en exifte aucun. Le Chou-king qui eft plus ancien, ne contient que quelques événemens détachés & fans chronologie. Le Tfou-chou dont l'autorité eft contestée par les Chinois eux-mêmes, & qui a été composé vers l'an 300 avant Jefus-Chrift, n'eft, pour ainsi dire, qu'une table chronologique; le Tchun-tchicou de Confucius n'eft qu'une petite chronique fort feche; le Chi-pen eft très-court. Voilà tous les monumens Chinois (a). De-là il réfultera toujours une grande variété dans les fentimens des Chronologiftes fur la durée de l'Empire Chinois, & il est évident qu'on ne peut en établir une qui foit véritable. Les Chinois font affez fages pour en convenir eux-mêmes.

Si l'ancienne Hiftoire de la Chine n'eft pas plus certaine, ni plus détaillée, on doit s'attendre qu'elle parle fort fuperficiellement des Etrangers. Elle fe contente en effet d'indiquer qu'en telle année ils ont fait une incurfion. J'en ai mar qué plufieurs; mais ennuyé de m'arrêter fur des faits fi pew intéreffans & fi peu certains, j'ai dit que l'Hiftoire ne nous avoit confervé que l'époque de plufieurs de ces invasions faites par les Tartares en général.

(a) Tous ces ouvrages ne font guères plus anciens qu'Herodote, regardé chez nous comme le pere de l'Hiftoire, & qui fleurifloit vers l'an 480 avant Jesus

Chrift. Se-ma-tfien, pere de l'Histoire Chinoife, n'écrivoit que vers l'an 97 avant Jefus-Chrift.

II. Cependant les Journalistes m'indiquent une fource où j'aurois pû trouver de grands détails. Il paroît, difent ils que M. Deguignes n'a point connu le Livre qui fut compofe fous les Han Orientaux, & qui eft intitulé Si-kiang-tchouen. C'eft-là que font renfermées toutes les traditions fur les nations étrangeres.

Il me fuffiroit de répondre ici que ce Livre n'étant pas à la Bibliothéque du Roi, il m'étoit impoffible de pouvoir le confulter. Mais entrons dans un plus grand détail, & examinons ce que la privation de cet ouvrage m'a fait perdre.

1o. Son titre, Si-kiang-tchouen, n'indique point que ce Livre ait aucun rapport à l'Hiftoire que je donne, puifqu'il ne fignifie que, Hiftoire des Peuples Occidentaux appellés Kiang. C'est par ce nom que les Chinois défignent toutes les Nations Thibétanes, entiérement différentes des Huns.

2o. Dans les grandes Annales de la Chine, c'eft-à-dire, dans l'immense Recueil intitulé, Nien-y-fe, que nous avons à la Bibliotheque du Roi, & qui contient l'hiftoire de chaque Dynastie impériale, les Auteurs de ces différentes Hiftoires ont toujours eu foin de rapporter, dans un article féparé, tout ce qu'ils ont pu fçavoir des Etrangers & des Peuples voifins, pendant le régne de la Dynaftie dont ils par lent. Dans le Sé-ki, compofé par Sé-ma-tsien, qui a raffemblé dans fon ouvrage tous les fragmens de l'ancienne Hiftoire Chinoife, parce qu'il eft le premier & le plus ancien Ecrivain de cette Nation, on trouve les premiers mémoires, c'est-à-dire, les Tchouen ou Hiftoire des Peuples voifins, d'une maniere très-abrégée, parce que cet Auteur ne remonte guère, pour ces Peuples, au-delà des Han, c'eftà-dire, avant l'an 210 avant Jefus-Chrift; s'il parle de quelques événemens antérieurs à cette époque, il le fait dans trois ou quatre lignes. Dans le Han-chou, ou l'Hiftoire des Han qui fuit immédiatement le Sé-ki, on a ajouté la continuation de l'Hiftoire des Barbares; mais on ne remonte pas au-delà du tems où Sé-ma-tfien a commencé ses Mémoires. On a fuivi ce plan dans l'Hiftoire de toutes les autres Dynafties; de forte que fi l'on veut avoir les plus grands détails fur tous les Barbares, il faut confulter ce Recueil dont

j'ai

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