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traître ? & comme perfonne ne répondoit il ajoûta : Où eft l'archevêque? Thomas defcendant des degrez qu'il avoit montez, répondit: Me voici. Et il ajoûta: Renaud, Renaud, je t'ai fait beaucoup de bien & tu viens armé me chercher dans l'église. Renaud prenant le pallium de l'archevêque dit : Tu le vas voir. Sors, tu mourras tout à l'heure. Thomas retira le pallium de fes mains, & dit : Je ne fortirai point; mais fi vous me cherchez, je vous défens de la part de Dieu, fous peine d'anathême de faire aucun mal aux miens.

AN. 1170.

Renaud recula un peu, & voyant que fes com- .18, pagnons étoient venus, il voulut donner un grand coup d'épée sur la tête de l'archevêque, mais un clerc nommé Edouard Grim étendit le bras pour recevoir le coup, dont il eut le bras prefque emporté. Le refte du coup porta fur le prelat, abatit fon bonnet & le bleffa à la tête. Alors Renaud s'écria: Frapez, frapez, Thomas baissa la tête pour prier & dit: Je me recommande & la caufe de l'églife à Dieu, à la fainte Vierge, aux faints patrons de cette église & au martyr faint Denis ; & ce furent fes dernières paroles. Alors il fe mit à genoux devant l'autel, les mains jointes, & levant les yeux il attendit le fecond coup, qui entra plus avant jusques au cerveau, & fit tomber le prelat profterné comme en priere. Le troifiéme acheva de lui couper le teft, qui tomba en devant fur fon vifage: enfin un nommé Hugues Mauclerc enfonça la pointe de fon épée dans la tête ouverte & repandit la cervelle fur le pavé: puis il s'écria: Il est mort

6. 22.

fortons d'ici. Ainfi mourut Thomas archevêque AN. 1170. de Cantorberi dans la cinquante troisième année de fon âge, le mardi vingt-neuviéme Decembre, 1170. fur les cinq heures du foir. Il reçut tous ces coups fans parler & fans faire aucun mouvement des pieds ni des mains.

6. 19.

€. 21.

G. 22.

A

Pendant qu'on le maffacroit dans l'églife, d'autres pilloient fon palais. Ils rompirent les portes & les ferrures, enleverent fes chevaux, battirent fes domeftiques, ouvrirent fes coffres, partagerent entre eux l'argent, les habits & les autres meubles. Ils emporterent même les titres de l'église de Cantorberi, & les 'donnerent à Renoul de Broc pour les porter au roi en Normandie, afin qu'il pût fuprimer ceux qu'il trouveroit contraires à fes préten

tions.

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A la nouvelle de ce meurtre toute la ville de Cantorberi fut confternée mais les riches faifis de crainte demeurerent dans leurs maifons; il n'y eut que les pauvres qui accoururent auffi-tôt à Féglife pleurer leur pere. Ils lui baifoient les mains & les piés, ils ramaffoient fon fang dont ils fe frottoient les yeux, & y trempoient des morceaux de leurs habits. Ce qui en demeura fur le pavé, fut recueilli foigneufement, & mis dans un vafe trés net pour le garder dans l'églife. Les moines mirent le corps fur un brancard devant l'autel, & pafferent la nuit auprés en larmes & en prieres. Mais le lendemain matin on leur vint dire qu'il y avoit hors de la ville une grande troupe de gens armez, qui vouloient enlever le corps du

י,

par

Saint prelat pour le traîner les rues à la queue AN. 1170. des chevaux, le pendre au gibet, ou le mettre en pieces & le jetter en quelque bourbier. Les moines alarmez de ce bruit refolurent de l'enterrer promptement. Ils fermerent les portes de l'églife & porterent le corps dans la chapelle foûterraine où l'aïant depoüillé ils trouverent que fous fon habit monaftique il portoit un rude cilice, & ce qui étoit fans exemple des femoraux de même étofe. Ce fpectacle attira de nouveau des torens de larmes; car on avoit ignoré jufques-là qu'il pratiquât cette aufterité. On le revêtit pardeffus de fes habits pontificaux, on le mit dans un tombeau de marbre tout neuf qui fe trouva dans cette chapelle, & on en ferma les portes foigneufement. L'églife demeura interdite pendant prés d'une année: on couvrit les croix & on dépouilla les autels comme au vendredi faint, & le moines reciterent l'office dans leur chapitre fans chanter.

Le roi d'Angleterre aïant apris la mort de Thomas, envoïa peu de jours aprés de fes clercs, qui étant arrivez à Cantorberi affemblerent les moines de la cathedrale, & leur dirent: Le malheur qui eft arrivé chez vous, mes freres, a tellement affligé le roi, que pendant trois jours il s'eft abftenu d'entrer dans l'églife, & n'a pris autre nourriture que du lait d'amandes. Il n'a point reçû de confolation & n'a point paru en public: fachant le tort fait à fa reputation cette cruelle action des Lens; & qu'on ne fe perfuadera pas aifement qu'il n'ait point defiré la mort d'un homme, dont il s'eft

que

X XXIII. Action du roi d'Angleterre.

Gefta post. mart.4.1.

AN. 1170. plaint fi fouvent comme du feul qui s'opofoit à fes volontes. L'action eft déteftable & innouie, & la conduite que le roi a tenuë jufques ici le juftifie affez de n'en être pas complice: mais ce qui lui donne quelques remors, c'eft qu'aïant appris l'excommunication de tous ceux qui avoient affifté au facre de fon fils, lorfqu'il croïoit tous les reffentimens étoufez par la paix: il ne pût diffimuler fa douleur, ni s'empêcher de s'en plaindre à fes confidens. Ceux ci compatiffant à fon reffentiment, & d'au tant plus animez que le prelat lui avoit plus d'obligation: il s'en trouva quatre qui fe retirerent fecretement, & vinrent commettre ce crime croïant plaire au roi. Or comme il les connoiffoit pour les plus emportez & les plus méchans de fon roïaume, il envoïa en diligence aprés eux, pour prevenir ce malheur mais ils étoient déja paffez & firent leur coup le jour que le roi croïoit les avoir auprés de lui. Voilà, mes freres, ce que nous avons charge de vous dire, afin que vous n'aïez aucun mauvais foupçon du roi ; & que vous demandiez à Dieu le pardon de la faute qu'il peut avoir faite, en donnant par fes difcours occafion à ce crime. Donnez au corps une fepulture honorable, le roi n'a plus de reffentiment contre le mort. Ainfi parlerent les envoïez du roi d'Angleterre.

Sape.

X X XIV.

Cependant deux docteurs Alexandre le Gallois & Deputations au Gonthier Flamen, qui avoient été auprés de Thomas Vep. 78.80.81. jusques à fa mort, allerent en porter la nouvelle au pape, chargez de plufieurs lettres de recommanda. tion du roi de France, de Thibaut comte de Blois,

& de Guillaume archevêque de Sens: qui tous AN. 1171. demandoient juftice au pape de ce meurtre, traitant le faint prelat de martyr, & témoignant, qu'il fe faifoit déja des miracles à fon tombeau. Le roi d'Angleterre envoïa au pape de fon côté, & Arnoul évêque de Lifieux un de plus éloquens prelats de fon obeiffance, écrivit en fa faveur une lettre, où il represente la douleur du roi fi violente, que l'on craignoit même pour fa vie ; & prie le pape de punir les coupables fuivant l'énormité de leur crime, mais d'avoir égard à l'innocence de ce prince. La lettre étoit au nom de tous les évêques d'Angleterre.

cp.79%

Jean de Cumin étoit déja en cour de Rome, v. ep. 84. chargé de poursuivre l'abfolution des évêques excommuniez; & aprés avoir beaucoup follicité, & promis cinq cens marcs d'argent, il eut audiance avec les clercs de l'archevêque d'Yorc, & le député de l'évêque de Durham; & aparemment ils auroient obtenu l'abfolution, fans la nouvelle de la mort de l'archevêque de Cantorberi. Car le pape en fût tellement troublé, que pendant prés de huit jours le fiens même ne pûrent lui parler; il y eut une défense generale de donner aux Anglois aucun accés auprés de lui, & toutes leurs affaires demeurerent en fufpens. C'eft que le pape fe reprochoit d'avoir mal foutenu la caufe de l'églife, pour laquelle Thomas avoit tant fouffert pendant fix ans, & d'avoir enfin livré ce prelat entre les mains de fes prefecuteur.

Ceux que le roi d'Angleterre envoïa pour s'ex

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