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fait des propres mains de Jefus Christ, comme l'Evangélifte S. Luc le mar- Liv. VI. que plus ouvertement que les autres? Dirons-nous que ceux qui mangent Cн. V. cette chair & boivent ce fang avec un cœur hypocrite, ou qui après avoir mangé cette chair & bu ce fang tombent dans l'apoftafie, demeurent en Jefus Chrift, & que Jefus Chrift demeure en eux ? Mais c'eft qu'il y a une certaine maniere de manger cette chair & de boire ce fang, dont il eft vrai de dire, que celui qui la mange & qui le boit, demeure en Jefus Chrift & Jefus Chrift en lui. Il n'est donc pas vrai que tous ceux qui mangent la chair de Jefus Chrift & boivent fon fang, demeurent en lui, & lui en eux, de quelque maniere qu'ils le faffent; & cela n'est vrai qu'à l'égard de ceux qui le font d'une certaine maniere qu'il avoit en vue.

Toutes les chicaneries par lefquelles Aubertin prétend obscurcir la clarté de ce paffage font détruites par avance. On a fait voir dans le fecond Tome Perp. t. 2. 1. 4. C. II. de cet ouvrage, que ces paroles: Ipfam carnem manducant & ipfum fanguinem bibunt, ne pouvoient s'entendre que du corps même & du fang même de Jefus Chrift, & non d'une figure de Jefus Chrift Et par conféquent, ce corps même étant reçu par ceux mêmes qui n'ont pas la foi, felon S. Auguftin, il ne peut l'être que corporellement.

Les Miniftres prétendront-ils que quand S. Auguftin dit, que Jefus Chrift demeure dans ceux qui reçoivent fa chair d'une certaine maniere, il n'entend pas la chair véritable de Jefus Chrift? Si cela eft, il faut donc qu'ils lui attribuent d'avoir cru qu'il n'y avoit dans ce Chapitre de S. Jean aucun commandement de manger la chair même de Jefus Chrift. Car s'il ne le reconnoît pas même à l'égard des bons, il ne le reconnoît à l'égard de perfonne. Mais quelle apparence d'attribuer à ce Pere une pensée fi extravagante; quelle apparence, dis-je, qu'il ait cru que Jefus Chrift recommandant dans tout ce Chapitre, en tant de manieres différentes, de manger fa chair & de boire fon fang, & ne parlant en aucune forte de manger les fignes de fa chair & de fon fang, ne nous ait voulu néanmoins obliger que de manger ces fignes dont il ne parle point, & ne nous ait rien commandé à l'égard de fa chair même dont il parle inceffamment. Eft-ce-là expliquer les Peres, que leur imputer des pensées fi peu raisonnables pour les accommoder à nos fentiments?

Que fi l'on avoue que c'eft la vraie chair de Jefus Chrift qui eft reçue par les bons ou fpirituellement ou corporellement (car ce n'eft pas fur quoi j'infifte préfentement) peut-on nier que ce ne foit cette même chair qui eft reçue par les méchants, puifque S. Auguftin ne les diftingue pas des bons, en ce que les bons mangent la chair de Jefus Chrift, & que les méchants ne la mangent pas; mais en ce que les bons la mangent d'une Perpétuité de la Foi. Tome III.

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LIV. VI. certaine maniere qui n'eft pas commune aux méchants. La différence n'est CH. V. pas dans la chose même, felon S. Auguftin; elle n'eft que dans la maniere. Et par conféquent il y a une maniere de manger la chair même de Jefus Chrift, qui eft commune aux bons & aux méchants.

Aubertin oppose à cela, que S. Auguftin fait affez voir ce qu'il entend par cette chair même que les méchants reçoivent, puifque dans ce même paffage i exprime la même chofe en ces termes, que Judas reçut le promier Sacrement que Jefus Chrift fit de ses propres mains; qu'ainfi cette chair dont parle S. Augustin n'est autre chofe que le Sacrement de la chair. Et il croit cette réponse fi jufte & fi folide, qu'il l'applique encore à un paffage du premier Livre contre Crefconius, où S. Auguftin parle ainfi: Que dirons-nous du corps MÊME & du fang MÊME de Notre Seigneur Jesus Chrift, l'unique facrifice pour notre falut? Car encore que le Seigneur affure que celui qui ne mangera point fa chair, & ne boira point son sang, n'aura pas la vie, l'Apôtre ne nous affure-t-il pas qu'il eft pernicieux à ceux qui en ufent mal? Tout cela ne veut rien dire, felon Aubertin, finon que les méchants reçoivent le Sacrement de la chair de Jefus Chrift, parce. qu'il fe trouve un endroit où S. Auguftin explique les mots de chair même, par ceux de Sacrement de la chair.

Mais qui ne voit que ce Miniftre raifonne abfolument contre le bon fens, & qu'au lieu de conclure de ce que S. Auguftin appelle en un endroit Sacrement de la chair, ce qu'il appelle en d'autres la chair même, que cette chair même n'eft donc qu'un pur Sacrement; il faut conclure au contraire que par ce Sacrement de la chair, il entend la chair même ? Car les mots de chair même, d'unique facrifice de notre falut, ne peuvent jamais fignifier un pur figne. Mais les mots de Sacrement de la chair de Jefus Chrift, peuvent fort naturellement fignifier la chair même de Jefus Christ, ou un Sacrement qui la contient; puifque le mot de Sacrement eft un de ces termes généraux, & de ces idées confufes auxquelles l'on fupplée d'ordinaire felon les fujets auxquels on les applique, comme nous voyons que tous les Catholiques le font à l'égard de ce mot même. Et par conféquent ce terme étant très-capable d'un fens plus étendu que celui qu'il a naturellement; & S. Auguftin marquant dans ce paffage même. de quelle maniere il y suppléoit, la raison oblige d'entendre, & dans ce lieu & dans tous les autres, par le mot de Sacrement du corps de Jefus Chrift, ce que tous les Catholiques entendent par ceux de Sacrement de l'Autel ou de S. Sacrement; c'est-à-dire, un Sacrement qui contient le corps même: de Jefus Chrift.

J'ai quelque honte de m'arrêter ici à un fophifme dont Aubertin fe. fert fur le fujet de ce même paffage; mais il le répete fi fouvent qu'on

de verb.

eft obligé, malgré qu'on en ait, d'y faire quelque réflexion. Il est fondé Liv. VI fur ce que S. Auguftin dit, que Judas reçut le premier Sacrement du corps Cн. V• &du fang de Jefus Chrift, que Jefus Chrift avoit fait de fes propres mains: Serm. 11. d'où Aubertin conclut que ce ne pouvoit être le corps même de Jefus Domin. Chrift, & que le Sacrement eft là diftingué de Jefus Chrift, en ce qu'il eft dit que Jefus Chrift l'a fait: Abfurdiffimum autem effet dicere Dominum proprium corpus fuum, manibus fuis confeciffe. Sacramentum ergo corporis & fanguinis ejus, corpus ipfius & fanguis non eft.

Mais cette conclufion eft vaine & fophiftique, comme nous l'avons montré ailleurs für un pareil argument. Car qui ne fait qu'une même Perp. t. 2. chofe, felon différents états & felon les différentes manieres dont on la 448. regarde, peut être conçue par différentes idées, qui font qu'on la diftingue en quelque forte d'elle-même ?

Qui ne fait encore que quoiqu'une chofe ne puiffe être caufe de foimême abfolument, elle le peut néanmoins être à l'égard d'un certain état; c'est-à-dire, qu'elle peut être caufe de ce qu'elle eft en cet état? Car c'est ainsi que S. Paul dit, que Jefus Chrift a apparu par fon hoftie, & qu'il a offert une feule hoftie, quoique cette hoftie ne fût autre chofe que luimême offert en facrifice à fon Pere.

C'est encore ainfi que S. Cyrille d'Alexandrie parlant de l'Eucharistie, l'appelle un pain qui eft donné par Jefus Chrift, quoiqu'il entende que c'est fon véritable corps. Il paroît, dit-il, par une preuve indubitable, que le pain In Joan. qui nous eft donné par Jefus Christ, c'est-à-dire, fon corps, eft un pain du ciel, puifqu'il fait vivre éternellement ceux qui le mangent.

C'est donc auffi de cette forte que S. Auguftin dit, que Jefus Chrift fit le Sacrement de fon corps; c'est-à-dire, qu'il mit fon corps fous le voile du Sacrement. Ce Sacrement eft le même en effet

que le corps de Jefus Chrift, ou plutôt il le renferme, mais l'idée en eft différente. Elle eft plus confuse, & comprend même quelque chofe de plus que Jefus Chrift. Et ainfi l'esprit ne fauroit s'empêcher de la diftinguer de Jesus Christ conçu d'une autre maniere, & il fe porte naturellement à dire que Jefus Chrift eft caufe de l'Euchariftie & fait l'Euchariftie, parce que c'est lui-même qui se met en l'état où nous le concevons par ces idées confufes de Sacrement du corps de Jefus Chrift & d'Euchariftie.

On pourroit rapporter quantité d'autres paffages, où ce Pere enfeigne que les bons & les méchants reçoivent le corps & le fang de Jefus Christ. Aubertin reconnoît lui-même qu'ils font en très-grand nombre à l'égard Aubert. des méchants. Mais pour ne groffir pas inutilement ce Livre, je remarquerai feulement ici, que tous ces paffages font décififs, en y joignant quatre remarques déja prouvées.

P. 729.

Liv. VI.

1°. Que ces termes font déterminés à fignifier le vrai corps & le vrai CH. VI. fang de Jefus Chrift, par l'ufage conftant de toute l'Eglife du temps de S. Auguftin, que nous avons prouvé dans le fecond Tome de cet ouvrage. 2°. Qu'ils y font déterminés par le confentement de tous les Chré tiens qui ont vécu après S. Auguftin, comme nous l'avons encore prouvé dans le premier volume de cet ouvrage, & par la Réponse générale.

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3°. Qu'ils y font déterminés, parce que les fens de figure & de vertu font des chimeres abfolument inconnues aux Peres: ce qui eft encore prouvé par tout le fecond Tome.

4°. Qu'ils y font déterminés enfin par ces lieux de S. Auguftin & des autres Peres, que nous avons rapportés dans ce volume ici. De forte que les Miniftres ne fauroient nous ôter le droit de les prendre en ce fens, qu'en répondant folidement à toutes ces preuves: ce qu'ils ne feront affurément jamais.

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Que les Peres, en fuivant la doctrine de la préfence réelle, ont di dire que l'on mange & que l'on ne mange pas Jefus Chrift.

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Na vu jusques ici que la doctrine de la préfence réelle a porté les Peres à toutes les expreffions propres à faire entendre, que nous recevons réellement le corps & le fang de Jefus Chrift par la bouche du corps. Mais ce feroit mal connoître l'efprit des hommes, ou juger mal de celui des Peres, que de prétendre qu'on n'en dût trouver que de cette forte dans leurs Ecrits. S'il eft vrai en un fens que nous mangeons ce di vin corps, parce qu'il entre réellement dans les nôtres, il eft vrai en un autre fens que nous ne le mangeons pas; & même cela eft vrai dans le fens le plus ordinaire du mot de manger, qui, mettant devant les yeux de l'efprit toutes les actions qui s'exercent fur les aliments, ne peut convenir à la maniere dont nous recevons le corps de Jefus Chrift.

Car encore qu'il femble que quelques Grecs aient cru qu'on le divifoit actuellement, ce n'eft pas néanmoins la doctrine des autres Peres, & leur fentiment au contraire eft, qu'il demeure tout entier, quelque divifion qui arrive aux fymboles.

Il n'eft pas vrai non plus que l'on goûte proprement le corps de Jefus Christ; il n'est pas vrai que l'on le digere. Et comme divifer l'aliment, le goûter, le digérer, eft ordinairement ce qu'on appelle manger, il est certain que l'on ne mange pas le corps de Jefus Chrift en ce fens-là.

Les Peres ont été d'autant plus obligés d'exprimer cette vérité, & d'é- Liv. VI. loigner par-là ces idées baffes & groffieres de l'efprit des Chrétiens, que CH. VI. c'eft ce qui fcandalifa les Carphanaïtes & quelques-uns des difciples de Jefus Chrift, & qui leur fit dire, du difcours que Jefus Chrift leur avoit fait pour les exhorter à manger fa chair & à boire fon fang, que ces paroles étoient dures; durus eft hic fermo.

Les Peres nous déclarent en plufieurs endroits, que c'étoit-là la caufe de leur fcandale.

Myft.

Les Juifs, dit S. Cyrille de Jerufalem, n'entendant pas felon l'efprit ce Catech. 4que Jefus Chrift leur avoit dit de manger fa chair & de boire fon fang, en furent fcandalifes, & fe retirerent en arriere; parce qu'ils crurent que Jefus Chrift les vouloit porter à manger.de la chair bumaine; voμílovTES OTI πpòs σαρκοφαγιαν αὐτῆς προτρέπεται. Ainfi ce Pere condamne comme une pente judaïque ce qu'il appelle farcophagie; c'est-à-dire proprement, la maniere de manger la chair humaine que concevoient les Carphanaïtes.

P. 374.

Quelques-uns des Difciples du Seigneur, dit S. Cyrille d'Alexandrie, fu- In Joan. rent scandalifes de ce qu'ils lui avoient oui dire, que fi on ne mangeoit fa chair & qu'on ne but fon feng, on n'auroit point la vie. Ils crurent par-là que Jefus Chrift les invitoit à une cruauté de bétes féroces, & qu'il leur commandoit de manger inhumainement de la chair & de boire du fang, & de faire d'autres actions dont on ne fauroit parler fans horreur.

C'étoient-là, felon ce Saint, les imaginations de ces Juifs; & en les leur attribuant il les condamne, & les rejette.

S. Auguftin explique de la même forte l'idée qui fit foulever les Juifs contre ce que Jefus Chrift leur enfeignoit: Ils concurent, dit-il, ce que In Pfal. 98. Jefus Chrift leur difoit d'une maniere infenfée; ils s'en formerent une idée toute charnelle, & ils crurent que Notre Seigneur devoit couper des petites parties de fon corps, & les leur donner à manger. C'est ce qui leur fit dire: Ce difcours eft dur.

Ils ne concevoient pas, dit-il en un autre lieu, qu'il y eût rien de grand Tract. 27. dans ce que Jefus Chrift leur difoit, ni que ces paroles couvriffent quel in Joan. que grace qu'il leur vouloit faire. Ils les entendirent comme ils voulurent, & à la façon des hommes: ils crurent que Jefus Chrift pouvoit, & avoit deffein de diftribuer fa chair coupée par morceaux à ceux qui croyoient en lui.

Ils conçurent, dit-il encore au même lieu, qu'il devoit couper fa chair Ibid. par morceaux comme on coupe celle des corps morts, & comme on expofe la viande dans le marché; & non pas qu'il la leur dût donner vivante & animée par fon efprit. Sic intellexerunt quomodo in cadavere dilaniatur aut in macello venditur, non quomodo fpiritu vegetatur.

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