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vôtre époufe dans une fanté fi vigoureufe qu'il n'y avoit point de fujer de craindre frtôt un fi funefte accident; l'efperance de la revoir quelque jour, encore qu'elle fût éloignée, ne laiffoit pas de me donner de la joye, & je fongeois à lui rendre compte de mon nouveau ménage. C'eft ainfi que Dieu dans les confeils profonds de fa fageffe fe mocque de nos penfees. Que pouvez-vous faire autre chofe, que les adorer, & que vous y foumettre? vous vous y foumettez fans doute,& vous ne laiffez pas de baifer fa main, quoi qu'elle vous ait touché bien rudement. C'eft maintenant que ces baifers, s'ils ne font pas doux, font chaftes, & que s'ils ne témoignent vôtre contentement, ils témoignent vôtre fidelité. Qui n'iroit aprés Jefus-Chrift lorfqu'il entre en triomphe dans Jerufalem, tout le peuple fe preffe à fa fuite dans cette rencontre, on arrache les rameaux des arbres, & on étend fes habits fous fes pieds mais il n'y a que Marie, Jean, Magdeleine & quelque petit nombre de femmes qui l'accompagnent au Calvaire ; & c'eftlà cependant qu'il repofe en fon midi; c'eftlà où il fe montre à nous dans les ardeurs de fa charité; c'eft-là qu'il fe plaît & qu'il trouve fes delices à converfer parmi les enfans des hommes. Vôtre femme vous a abandonné, là il porte l'abandonnement & la feparation de fon Pere: mais il la porte

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en sainteté,& nous merite grace pour supporter tous les états, qui aprochent en quelque façon que ce foit de celui-là. En la vûë de l'oblation qu'il lui fait de foi-même, feroitil poffible que nous ne nous eftimaffions pas heureux de lui en faire une de tout ce que nous fommes, & de tout ce que nous poffedons ; & fi le courage nous manque pour la commencer ; du moins ne devons-nous pas confentir de bon cœur qu'il nous prenne ce que nous differons à lui offrir : L'Ecriture dit particulierement que c'eft lui qui donne une bonne femme; mais en la donnant il fe referve le droit de l'ôter, & fi un mari eft réconnoiffant, il faut qu'il le remercie de ce qu'il la reçuë de la main,& non pas qu'il fe plaigne, de ce qu'il l'en prive. Celle que vous pleurez étoit fans doute de ce nombre, & je vous confeffe, que fa bonté m'empêchoit de vous estimer malheureux, lorfque je voyois la fortune fi ennemie de votre vertu D'abord il femble que cette confideration vous doit rendre moins capable d'être confolé, mais il cft tres-vrai, que c'eft celle qui vous doit faire recevoir plus aifement la confolation, parce qu'elle cft une plus ferme affurance du bonheur, dont elle joüit maintenant; & quelle meilleure preuve d'amour lui pouvez vous donner, que de vous réjouir non feulement de fa liberté, mais encore de fon triomphe ? la chaîne qui l'uniffoit avec

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la

vous, lui étoit fans doute bien agreable mais celle qui attachoit foname à fon corps, ne pouvoit que lui être fort pefante : & ne fçavez-vous pas, qu'à tout moment par corruption de la nature elle pouvoit offenfer celui, de l'honneur duquel vous devez ê re plus jaloux que de vôtre contentement ? de foy l'homme n'a que le peché & n'est que peché. Il y a en tout ce qui eft en nous une malheureuse oppofition à Dieu & une déplorable neceffité de l'offenfer fans le fecours de fa grace. Cette fource de venin eft bouchée dans plufieurs, mais elle n'eft tarie en perfonne. Quelquefois elle fe deborde lorfque l'on y penfe le moins, & on fe trouve plutôt noyé, que l'on ne s'eft apperçû du torrent. Les Prophetes deviennent homicides & adulteres, les Etoiles tombent du Ciel, & les plus pures fources ou le troublent ou font empoifonnées. Mais quand la mort nous unit à Jesus-Christ, c'eft d'une union qui ne fe peut plus rompre, & nous entrons dans la participation de l'immutabilité divine, qui fait que nous fommes des colomnes dans la maifon du Dieu vivant; ô qu'une feule minute en cette fainte mailon eft preferable aux fiecles, qui fe paffent en la terre ! que bienheureux font ceux, qui l'habitent, & que nous aurions fujet d'envier leur condition. C'eft de cette fainte demeure que vôtre chere

femme vous regarde,avec plus d'amour fans doute, qu'elle ne faifoit ici, puifque ce n'est plus avec les yeux propres, mais avec ceux de Jefus-Chrift: car vous fçavez qu'il eft tout en tous les bienheureux, & qu'ils peuvent véritablement dire, ce n'eft plus nous, qui vivons, qui regardons, mais Jefus nôtre vie vit, & regarde en nous. C'eft à lui, Monfieur, c'eft à l'onction interieure de fon Efprit à vous confoler parfaitement, & tout ce que je vous écris eft plutôt pour le remede de ma douleur, que de la vôtre. Au faint Autel je lui ai demandé ce matin, & je lui demanderai encore plufieurs jours que cette perte vous foit un nouveau degré de grace, car l'affliction eft un talent, qu'il donne pour negocier, & c'eft avec cette forte de commerce que l'on achete ces biens qui ne tombent point fous le commerce des hommes. Croyez que perfonne n'eft plus que moi. Votre &c

A Aix ce 6. Septembre. 1637.

LETTRE XIII.

A Monfieur Bouchard, fur differentes nouvelles de Litterature, & particulierement fur la Pucelle de Chappelain, fur M. Peyrefc,& fur l' Hiftoire du Concile de Trente de FraPaolo.

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Ce feroit affez de vos Lettres pour me faire riche, mais vous y voulez toûjours ajoûter d'autres tréfors: j'appelle ainfi la Piece que vous m'avez envoyée, dont j'ay fait part Monfieur Chapelain ; vous fçavez qu'il eft un grand Maître en ces matieres pour le fujet, foit pour l'expreffion. Il travaille tout de bon à fa Pucelle, & je penfe qu'il eft au troifiéme Livre ou au quatriéme. L'embarras de Paris & fa reputation lui dérobent beaucoup de tems, & il auroit befoin d'une auffi profonde folitude que la mienne, pour achever un Ouvrage qui doit à mon avis ôter à la France la jufte jaloufie que le Taffe lui avoit donnée. Les Mules, pour y être févéres, ne paroîtront pas moins aimables, toutes leurs chaînes feront d'or & de diamans, & elles ne perdront que ce qui n'eft pas feant à des vierges & à des Déeffes. Ce n'eft pas que je ne vouluffè que

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