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Flandres fuivit de près la mort de mon oncle. A peine le Roi fut-il de retour à Paris, que mon pere me rappella auprès de lui: mais je ne vous ai jamais dit les raifons qu'il en avoit. Le plaifir que je devois fentir de voir un pere, dont à peine je confervois l'idée des traits, fut prefque étouffé par le chagrin que j'eus de m'éloigner de la Cour. J'obéis cependant, fans montrer la moindre répugnance: mon respect pour celui à qui je devois le jour, m'en auroit fait un crime. J'arrive à Rethel ; j'eus la fatisfaction fecrete, malgré la retenue de mon pere, de m'appercevoir que je lui laiffois peu de chofes à defirer; mais un jugement dicté par la nature, & l'amour paternel, fi aifé à féduire par les apparences, n'étoient pas capables de m'aveugler affez, pour être

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auffi content de moi-même que mon pere le paroiffoit. Il avoit fouvent de longues converfations avec moi; la Cour en étoit le fujet. Quelles qualitez, mon fils, me difoit-il un jour, croïez-vous les plus propres pour réuffir à la Cour? J'y vois, lui répondis-je, des gens, d'un caractere bien pofé, arriver au but que leur ambition leur a marqué. Mais, reprit mon pere, quel eft celui que vous voudriez avoir ? Celui d'Enguerrand de Couci, lui disje fans balancer. Eh bien! me repartit-il, prenez-le pour modéle, il eft bon. Cependant, ajouta-t-il, faites-moi connoître les Courtifans, peignez-les moi chacun en particulier, & tels que vous les croïez. Je lui dis.ce que je penfois des différens caracteres des uns & des autres. Je blâmois celui qui immoloit à la

faveur, une droiture, qui n'eft pas toujours un écueil, quand un grand génie la foutient : j'en donnois pour exemple, Robert Clément du Mez, le refpectable Abbé Suger, & Enguerrand de Couci. Mon pere paroiffoit fatisfait; mes idées fe trouvoient fouvent conformes aux fiennes. Vous fçavez que depuis bien des années, il s'eft banni volontairement d'un féjour qui lui convenoit peu. La petiteffe des plus grands Seigneurs auprès de leur Souverain, l'avoit choqué; fon amour propre s'en étoit révolté, & lui avoit fait prendre le parti de la retraite; mais il connoiffoit à merveille ce païs de politique, de rufes, d'élévation & de renversement de fortune, où celui qui croit en connoître le mieux les détours, doit toujours craindre de s'égarer. Le commerce

qu'il avoit entretenu avec mon oncle, qui m'avoit prefque arraché de fes bras pour fe charger du foin de mon éducation, & pour me mener à la Cour, le mettoit en état de juger fi j'avois pris des idées juftes de la fituation où elle étoit alors. Et de votre Roi, me dit-il un jour qu'en pensez-vous? Je lui dis tout ce que vous fçavez comme moi, mon cher Raoul; je lui vantai cet heureux naturel qui a fçû l'affranchir de l'ivreffe trop dangereufe de la jeuneffe, pour le faire homme dès fon adolefcence: j'ajoutai qu'il étoit fage, prudent, modéré dans fes plaifirs; difcret, toujours maître de lui; humain, affable fans rien perdre de cette dignité majeftueufe qui le fait aimer & refpecter en même-tems; qu'enfin je l'admirois en tout, & qu'aïant

quelques années plus que ce Prince, j'avois fouvent rougi d'être fi imparfait, aïant toujours eu devant les yeux un fi parfait modéle.

Dans toutes ces converfations, & même dans les actions les plus indifférentes, je voïois mon pere m'étudier & m'examiner. Le caractére de droiture & de vérité qu'il me trouvoit, le charmoit: il avoit craint que ces qualitez fi effentielles n'euffent été les victimes des premieres impreffions que j'avois prifes à la Cour. Séduit en ma faveur, par la tendreffe qu'il a pour moi, il me dit un jour : Mon fils, que vous me donnez de fatisfaction! Je vous trouve auffi honnête-homme, que fi vous aviez été élevé dans mon fein. Mon frere n'a point trahi ma confiance, ni démenti la haute

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