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LETTRE

DU P. DUCROS

MISSIONNAIRE

DE LA COMPAGNIE DE JESUS.
A Monfieur l'Abbé RAGUET,
Directeur de la Compagnie
des.Indes.

A Ariancoupan près de
Pondicheri. Ce 17
Octobre 1725.

MONSIEUR,

La paix de N.S.

JE me garderai bien de manquer à la parole que je vous XVIII. Rec.

A

donnai,lorfqu'à mon départ pour les Indes, vous m'engageâtes à vous communiquer mes réflexions fur les Payis par où je pafferois. Pouvois - je ne pas m'acquitter d'un devoir auffi effentiel, n'y eût-il aucune promeffe de ma part?

Par le choix, & fous la direc. tion d'un des plus grands Prélats qu'ait jamais eu l'Eglife de France, vous avez eu le bonheur, Monfieur, de contribuer à l'inftruction de notre jeune Monarque. Quelque loin que nous portions, avec les lumieres de l'Evangile, la nouvelle des beaux commencemens de fon regne, le coin de la terre où nous fommes, ne lui eft pas inconnu. Louis fcait fixer les Etats de chaque Couronne, diftinguer les rivages Chrétiens d'avec les rivages Maures, ou abfolument

Idolatres : & ces connoiffances fi neceffaires à un Roy, lequel a dans tout l'univers des fujets qui lui obeiffent, font l'heureux effet de vos leçons. Il eft donc bien jufte que les découvertes & les obfervations que nous faifons dans nos voyages, vous reviennent; vous en meritez le tribut.

Mais le petit hommage que j'ai le plaifir de vous rendre, eft encore fondé fur d'autres motifs; une reconnoiffance fincere m'en fournit de très-preffants. Je fuis peut-être le premier Miffionnaire qui ait été honoré de vos inftructions, depuis que Sa Majesté vous a chargé des affaires de la Religion dans votre célebre Compagnie. Tous les difcours que vous me tintes quand je pris congé de vous, Monfieur, portoient un

caractere de bonté, dont l'impreffion ne s'effacera jamais dans mon cœur. Vous prévîtes les fatigues que j'aurois à effuyer dans la Miffion du Carnate; vous me les dépeignîtes, mais en même tems vous m'animâtes à les fupporter avec courage, & vous m'en fuggerâtes les moïens. Je profite à présent de ces exhortations fi pleines de zele & d'amitié, & je sens déja que les difficultez aufqulles vous m'aviez préparé, commencent à s'évanouïr.

Je partis du Port de l'Orient le 11 Octobre 1724, dans le vaiffeau de la Compagnie appellé la Sirene. M. le Chevalier d'Albret qui le commandoit, s'y fit, pour ainfi dire, adorer pendant tout le voyage par fa douceur, & admirer par fa vigilance & fon extrême habileté dans l'art de naviger.

Etant arrivé à Cadis,après avoir fouffert une tempête affreuse, nous trouvâmes cette Ville & toute l'Espagne en pleurs. Elle venoit de perdre le Roy Louis I. M. Partyet Conful de France, & plufieurs Négocians de notre Nation m'engagerent à contribuer à la magnificence du Service qu'ils étoient dans le deffein de faire pour ce Prince. Ils me chargerent des Emblêmes, des Devifes, des Infcriptions, en un mot, de toute l'ordonnance de la pompe funebre. Ce trifte travail m'occupa pendant tout le tems de la relâche. Quoique la douleur des Efpagnols fut vive, elle étoit adoucie par la confolation qu'ils avoient de révoir Philippe V. fur le Thrône. J'avois célebré à Paris, par des vers, fon abdication, mais j'étois bien éloigné alors de penser que je

T

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