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Le paradis étoit le quatrième en montant. Acha-
moth étoit du deffus de tous: mais au-deffous du
pleroma, dans une region moyenne. L'auteur du
monde ne connoiffoit point les chofes fpirituel-
les, ni tout ce qui étoit au-deffus de lui. C'est pour-
quoi il fe croyoit le feul Dieu, & difoit
par les
prophetes: Jefuis Dieu, & il n'y en a point d'autre
que moi. Il étoit le créateur du Cofmocrator, ou
prince de ce monde, c'est-à-dire du diable : & de
tous les efprits malins, qui étoient formez de la
trifteffe d'Achamoth. Le Cofmocrator habitoit
notre monde, & parce qu'il étoit spirituel, il con-
noifloit ce qui étoit au-deffus de lui.

Le Demiourgue ayant fait le monde, fit auffi l'homme materiel ou choïque, d'une matiere invifible: puis lui inspira l'ame, le faisant ainsi à son image & à fa reffemblance: à fon image, en tant que materiel : à sa reffemblance, en tant qu'animal. Enfuite il le revêtit de la tunique de peau, c'est-à-dire de cette chair sensible. L'homme receut de plus la semence spirituelle, qu'Achamoth avoit receuë des anges, & qu'elle avoit déposée dans l'auteur du monde, fans que lui-même s'en apperceût afin qu'il la femât dans l'ame & dans le corps materiel, où elle devoit germer & croître. Cette femence fpirituelle étoit ce qu'ils appelloient l'eglife : image de l'église superieure, qui étoit dans le pleroma. Le Sauveur avoit pris les prémices de ce qu'il devoit fauver. D'Achamoth il avoit receu le fpirituel : l'auteur du mon de l'aTome I.

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Ifa. XLV. 6.

voit revêtu du Chrift animal : en forte que fon corps même étoit pfychique, invifible, & impaffible. Mais il n'avoit rien pris de materiel: parce que la matiere étoit incapable de falut. Il y en avoit qui difoient, que l'auteur du monde avoit produit un Chrift de même nature que lui, quiavoit paffé par Marie, comme l'eau par un canal: & que le Sauveur forti du pleroma avec les perfections de tous les Eones, étoit defcendu en ce Chrift à fon baptême. Mais qu'il s'étoit retiré quand il fut prefenté à Pilate, & qu'il n'y avoit que le Chrift animal qui eût fouffert. La fin de toutes chofes fera, difoient- ils, quand tous les hommes fpirituels feront formez ou perfectionnez par la gnose ou vraye science. Alors toute la femence fpirituelle ayant receû sa fection: Achamoth leur mere paffera de la region moyenne dans le pleroma, & sera mariée au Sauveur formé de tous les Eones. Voilà l'époux & l'époufe. Les hommes fpirituels dépouillez de leurs ames & devenus purs efprits entreront auffi dans le pleroma & feront les époufes des anges qui environnent le Sauveur. L'auteur du monde passera à la région moyenne, où étoit sa mere: & fera fuivi des ames des juftes: mais rien d'animal n'entrera dans le pleroma. Alors le feu qui eft caché dans le monde paroîtra, s'allumera, confumera toute la matiere, & fe confumera avec elle jufques à s'anéantir.

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Telle étoit la fable entiere de la théologie des

Valentiniens. Je l'ai rapportée un peu au long: parceque plufieurs herefiesfameufes en ont depuis confervé ou renouvellé les principales parties.Et j'ai cru qu'il étoit bon de montrer une fois, jufques où les plus beaux efprits se font égarez: quand ils ont fuivi leurs penfées dans l'explication de l'écriture: méprifant la régle infaillible de la tradition apoftolique & de l'autorité de l'églife. Aurefte, il n'étoit pas facile de réfuter les Valentiniens; parce qu'il n'étoit prefque pas poffible de penetrer le fecret de leur doctrine. Un profond filence la couvroit aux profanes: c'eft-à-dire à tous ceux qui n'étoient pas de la fecte. Si quelqu'un Tertull. in valent. vouloit y entrer, il y avoit bien des portes à paf- .... fer, & bien des rideaux à tirer avant que d'ar river à ce fanctuaire. Leurs docteurs fe faifoient beaucoup prier, & même payer cherement, pour enfeigner aux curieux des myfteres fi fublimes. Il en coutoit au moins bien du temps & de la peine.

XXIX. Morale des Va

De leur doctrine ils tiroient ces conclusions morales. Les pfychiques, tels qu'étoient fe- lentiniens. lon eux les catholiques; étant incapables d'arriver à la science parfaite, ne fe peuvent fauver que par la foi fimple & les œuvres : & il n'y a qu'eux à qui les œuvres foient utiles. C'est à eux que convient la continence & le martyre. Les charnels ne feront jamais fauvez, quoiqu'ils fasfent: les fpirituels n'ont point besoin d'œuvres: puifqu'ils font bons par nature, & proprietaires

Iren. I. c. I.

Tertull. Scorp..

C. I.

Pf. 49.

de la grace: enforte qu'elle ne peut leur être ôtée. C'est comme l'or, qui ne fe gâte point dans la bouë. Delà vient, qu'ils mangeoient indifféremment des viandes immolées & prenoient part aux fêtes des payens, & aux fpectacles mêmes des gladiateurs. Quelques-uns s'abandonnoient sans mesure aux plaifirs les plus infames:. difant, qu'il falloit rendre à la chair ce qui appartient à la chair, & à l'efprit ce qui appartient à l'efprit. Plufieurs femmes converties à la foi catholique, confeffoient qu'ils les avoient corrompués. Ils fe moquoient des catholiques, qui craignoient les pechez de paroles & même de penfées: les traitant de fimples & d'ignorans. Sur tout ils condamnoient le martyre: & difoient que c'étoit une folie de mourir pour Dieu. Le Christ eft mort une fois pour nous, difoient-ils, il a été tué une fois, afin que nous ne foyons pastuez. S'il demande la pareille, eft-ce qu'il at tend d'être fauvé par ma mort? Dieu veut-il le fang des hommes, lui qui refufe le fang des taureaux & des boucs? Il aime mieux la pénitence que la mort du pécheur : c'eft pitié de voir traiter fi mal une fecte qui ne fait mal à perfonne, & de voir tant d'innocens périr fans fujet.

Pour initier à leurs myfteres, il y en avoit qui préparoient une chambre nuptiale, & avec de. certaines paroles celebroient un mariage, qu'ils, nommoient fpirituel à l'imitation de l'union des Eones. D'autres amenoient leurs difciples a

l'eau, & les baptifoient au nom de l'inconnu pere de tout; & en la verité mere de tout: & en celui qui eft defcendu en JESUS: en l'union, la redemption & la communauté des puissances. D'autres difoient que le baptême d'eau étoit fuperflu : & fe contentoient de jetter fur la tête de l'huile & de l'eau mêlée, & d'oindre de baume. D'autres rejettoient toutes les ceremonies exterieures: difant que le myftere de la vertu invisible & ineffable ne fe pouvoit accomplir, par des créatures senfibles & corruptibles: que la redemption étoit toute fpirituelle & s'accompliffoit interieurement, par la connoiffance parfaite. Valentin vint à Rome du temps du pape Hygin, & y demeura fous Pie, fous Anicet, & jufques au temps d'Eleuthere fon fucceffeur.

ques.

39.

XXX.

Il y eut dans la fuite plufieurs fortes de Valentiniens; entre lefquels on comptoit trois fectes Autres Heretiassez obscures : mais fingulieres par leur extrava- Iren. 1. c. 34. 35. gance. Les Séthiens, qui honoroient particuliere- Epiph. har. 37. 38. ment Seth, & vouloient que J. C. ne fût que Seth même. Les Caïnites, qui tenoient pour faints & pour parfaits ceux que l'écriture condamne:Caïn, Coré, les Sodomites, & fur tout Judas le traître. Les Ophites, qui difoient que la fageffe s'étoit fait ferpent: & adoroient un ferpent pour J. C.. Cerdon autre heretique vint auffi à Rome, fous, Iren. I c. 28. & l'e pape Hygin, & y féjourna long-temps: tantôt 111. c. 4. Cypr. ep. enfeignant fon herefie en cachette, tantôt reve- Epiph. har. 41. nant à l'églife, & faifant penitence en apparence.

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74. ad Pompei.

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