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LIVRE

CINQUIE ME,

De la Nature des Dieux; de leur divifion en plufieurs

Claffes.

OUT ce qu'on vient de voir dans les deux Livres précédents, regarde l'Idolâtrie en general, fon origine, fes progrès. On a parlé dans le troifiéme du culte que le Paganisme rendoit à fes fauffes Divinités; de tout ce qui fervoit à ce culte, Temples, Autels, Bois facrés, Sacrifices, Prêtres, Victimes, &c. dans le quatriéme, on a parcouru toutes les fortes de Divination; Oracles, Sibylles, Arufpices, Augures, &c. Il me reste maintenant à examiner quelle étoit la nature de ces Dieux, qui ont été pendant tant de fiécles l'objet du culte de prefque toute la terre; quels étoient ceux qu'on regardoit comme leurs enfans; enfin à les divifer en differentes Claffes. C'eft dans ce Livre qu'après avoir rapporté les fentimens des Philofophes anciens fur la Divinité, je prouverai par tout ce que l'Antiquité a de plus refpectable, que malgré leurs raffinemens, on a cru toujours que la plupart des Dieux avoient été des hommes, fujets à la mort comme ceux qui les adoroient; & j'efpere que cet article de la Theologie payenne fera prouvé d'une maniere qui ne fouffrira point de replique.

CHAPITRE I.

De la Nature des Dieux.

L n'y a rien au monde fur quoi les anciens Philolofophes ayent tant raisonné, que fur la nature des Dieux; mais nous ne connoiffons que très-imparfaitement leurs Syftêmes, & fans Diogene Laerce & Ciceron qui nous ont confervé l'hiftoire de leurs opinions, l'un dans les vies des Philofophes, l'autre dans fes trois Livres de la Nature des Dieux, nous les ignorerions entierement. Il eft vrai qu'on doit mettre une grande difference entre ces deux Auteurs, & que le premier eft un guide beaucoup moins für que le fecond, qui paroît parfaitement inftruit de fa matiere: mais comme il la traite en Academicien, on a fouvent de la peine à demêler quel eft fon fentiment. Ce fçavant Auteur introduit dans fon Ouvrage trois Philofophes de Sectes oppofées, un Epicurien, un Stoïcien, & un Academicien, qui difputent fur la Nature des Dieux. Quant aux deux premiers, ils ont chacun leurs dogmes, & fe croyent à l'exclufion l'un de l'autre en poffeffion de la verité; mais l'Academicien, qui ne veut fe rendre qu'à l'évidence, les arrête tour à tour, leur découvre l'illufion de leurs préjugés, & ne fonge lui-même à fe garantir de l'erreur, qu'en n'affirmant rien de pofitif.

On voit d'abord que ce n'eft point dans leurs fyftêmes qu'il faut efperer de trouver une idée jufte de la Divinité, & s'ils fe font égarés dans leurs vaines fpeculations, comme l'Apôtre le leur reproche, c'eft fur-tout lorfqu'ils ont voulu parler des Dieux. Ils n'avoient même fecoué le joug de l'Idolâtrie groffiere de la Grece & de Rome, que pour la remplacer par de vaines fubtilités, ou fouvent même en imaginant des fyftêmes pires que le Polytheïsme. En effet, qu'on parcoure tout l'Ouvrage de Ciceron; qu'on examine les fentimens des Philofophes qu'il a rapportés avec tant de connoiffance, on verra que ceux qui font les plus orthodoxes; c'est-à-dire, ceux qui fuppofent un Etre independant de la matiere, une Intelligence

infinie & éternelle, un premier moteur qui donne au monde l'ordre que nous lui voyons, fuppofent en même temps l'éternité de cette matiere, & qu'aucun d'eux n'a ni compris, ni admis la création, ainsi que nous l'avons dit dans une autre occafion. C'eft, fi on ne veut point fe faire illufion, à quoi se rapportent les opinions de tous les Philofophes.

Il faut obferver encore que les Philofophes n'ont étudié la nature des Dieux, que par rapport aux chofes fenfibles, dont ils cherchoient à connoître l'origine & la formation ; & qu'aulieu de foumettre la Phyfique à la Theologie, ils ne fondoient leur Theologie que fur la Phyfique. Ainfi les differentes manieres dont ils concevoient l'arrangement de l'Univers, faifoient leurs differentes croyances fur la Divinité. Car que l'on dife avec Thalès que l'eau eft le principe de toutes chofes, & que Dieu eft cette Intelligence par qui tout eft formé de l'eau ; on lui repondra que cette Intelligence n'a pas formé l'eau dont elle fe fert. Si quelqu'un prétendoit avec Anaximandre que les Dieux reçoivent l'être, qu'ils naiffent & meurent de loin à loin, & que ce font des mondes innombrables; (1) De Nat. n'auroit-on pas raifon de lui dire avec Ciceron (1); Peut-on admettre un Dieu qui ne foit pas éternel?

Deor. L. 1.

(2) Loc. cit.

Si un Difciple d'Anaximene prétendoit que l'air eft Dieu, qu'il eft produit, qu'il eft immenfe & infini, qu'il est toujours en mouvement: mais l'air, lui diroit-on, n'ayant point de forme, comment pourroit-il être Dieu, puifque Dieu en doit avoir une, & même une très-belle? Outre cela, dire qu'il eft produit, c'eft dire qu'il eft periffable. Anaxagore, Eleve d'Anaximene, étoit fans doute plus raifonnable, puifqu'il foutenoit que le fyftême & l'arrangement de l'Univers, étoient l'ouvrage de la puiffance & de la fageffe d'un Etre infini; mais cet Etre, fi fage & fi puiffant, n'avoit pas fait cet Univers auquel il donne l'arrangement.

Si Pythagore croyoit, comme le rapporte Ciceron (2), que Dicu étoit cette ame repandue dans tous les Etres de la nature, & dont les ames humaines étoient tirées; outre que ce fyftême ne fera autre chofe que le pur materialisme de Straton & de quelques autres, il fera aifé de triompher avec Ciceron, en lui objectant que fi cela étoit, Dieu feroit déchiré & mis

en

en piéces, quand ces ames s'en détachent ; qu'il fouffriroit: Or un Dieu n'eft pas capable de fouffrir. Pourquoi d'ailleurs l'efprit de l'homme ignore-t'il quelque chofe s'il eft Dieu ?

Si Parmenide s'offre fur les rangs pour prouver que Dieu est semblable à une Couronne, à un Cercle lumineux & non interrompu, qui environne le Ciel on lui demandera avec Ciceron, où il prend dans ce Cercle la figure divine, & comment il fe peut faire qu'il y ait du fentiment ? Si le même Philofophe divinife la guerre, la difcorde, la cupidité, mille autres chofes, qui bien-loin d'être immortelles, font detruites par la maladie, par le fommeil, par l'oubli, par le temps feul; on aura raifon de traiter de chimeres & de vilions, de femblables hypotheses.

Si Democrite donne la qualité de Dieu, & aux images des objets qui nous frappent, & à la nature qui fournit, qui envoye ces images, & aux idées dont elles nous rempliffent l'efprit; qu'après cela il affûre que rien n'eft éternel, parce que rien ne demeure éternellement dans le même état n'eft-ce pas, lui dira-t'on avec le même Ciceron, detruire & renverser d'un feul coup l'existence des Dieux, & toutes les opinions qui l'établissent?

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Pour ce qui regarde Platon, dit le même Auteur (1), il (1) Loc. cin faudroit un long difcours pour expofer fes variations fur

» cette matiere. Dans le Timée, il dit que le Pere de ce monde ne fçauroit être nommé; & dans fes Livres des Loix, qu'il ne faut pas être curieux de fçavoir proprement » ce que c'eft que Dieu. Quand il prétend que Dieu eft incorporel, c'eft nous parler d'un Etre incompréhensible, & qui ne pourroit avoir ni fentiment, ni fageffe, ni plaisir ; attributs effentiels aux Dieux. Il dit auffi, & dans leTimée & » dans les Loix, que le Monde, le Ciel, les Aftres, la Terre, les Ames, les Divinités qui nous enfeignent la Religion de » nos Peres, il dit que tout cela eft Dieu; opinions, conti»nue toujours le même Auteur, qui prifes en particulier, font évidemment fauffes, & prifes toutes ensemble, fe contredifent prodigieufement

D

D

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Xenocrate, dit encore Ciceron (2), qui avoit eu le même (2) Ibid. Maître qu'Ariftote, ne raisonne pas mieux que lui fur cette

Tome I.

Fff

matiere, puifqu'il admet huit Dieux, dont les Planetes en font cinq: mais j'ai affez parlé ailleurs de cette opinion qui mettoit les Aftres au nombre des Dieux. Pour celle des Stoïciens qui y ajoutoient les Hommes illuftres, je la reserve pour le Chapitre fuivant. Je ne dirai rien non plus de celles des autres Philofophes, puifqu'il fuffit de fçavoir qu'elles fe reduifent toutes à trois Claffes. La premiere eft celle des Philofophes materialiftes, qui croyoient que la matiere toute feule, privée de fentiment & de raison, avoit pu former le monde; foit que l'un des Elemens produisît tous les autres, comme Thalès l'affûroit de l'eau ; foit que la matiere étant partagée en une infinités d'Atomes, ces Atomes, à force de voltiger fortuitement dans le vuide, ayent pris enfin des formes regulieres, ainfi que l'a cru Epicure.

La feconde eft celle de ces Philofophes plus éclairés, qui s'éleverent jufqu'à certe notion, qu'il y a dans le monde un trop bel ordre, pour n'être pas l'effet d'une caufe intelligente; mais ne concevant rien qui ne fût materiel, ils crurent que l'Intelligence faifoit partie de la matiere; & ils attribuerent cette perfection au feu de l'Ether, ou de la matiere la plus fubtile & la plus agitée. La troisième enfin, eft celle de ces Philofophes qui comprenant que l'Intelligence ne pouvoit être materielle, conclurent qu'il falloit la diftinguer abfolument de tout ce qui eft corps: mais en même temps ils crurent, comme on l'a déja dit, que les corps exiftoient independamment de cette Intelligence, dont le pouvoir se bornoit à les mettre en ordre & à les animer.

Je n'ajoute rien ici à ce que j'ai dit ailleurs de ces anciens Philofophes Egyptiens, qui fous le nom de Cneph comprenoient un premier Etre, de la bouche duquel fortoit l'oeuf primitif, dont les autres êtres étoient émanés. Je ne m'étendrai pas même davantage fur cette matiere, qui regarde plus l'Hiftoire de la Philofophie, que celle de la Religion. Ceux qui voudroit s'inftruire plus particuliérement des opinions des Philofophes fur la Divinité, pourront confulter, outre Diogene Laerce & Ciceron, l'Hiftoire de la Philofophie, par Stanley, & l'Ouvrage intitulé, Syftême Intellectuel, par Cudword venons à quelque chofe de plus particulier à la Mythologie.

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