mieux diffimuler de petites injures, que de s'attirer une guerre ouverte & déclarée. Jugurtha après l'avoir harcelé quelque tems fans le pouvoir engager à prendre les armes, méprife enfin fa foibleffe; & fans chercher davantage le fecours des prétextes, il entre dans fes Etats à la tête d'une puissante armée, affiege & prend les principales places, & fe rend maître de la plûpart des Provinces.

Après cela il ne reftoit d'autre parti à Adherbal que celui d'abandonner une feconde fois fes Etats; ou il falloit, malgré l'inégalité des forces, fe réfoudre à les défendre genereufement les armes à la main. Ce jeune Prince par le confeil de fes Miniftres fe détermine à oppofer la force à la violence. Il affemble fes troupes,' fait de nouvelles levées, & met enfin une armée sur pied, mais plus confiderable par le nombre que par le courage. Il marche enfuite à l'ennemi pour s'opposer aux progrès de fes armes.

Jugurtha qui avoit fes deffeins, laiffe camper Adherbal fans l'in quieter. Il feint même de fe défier

de fes propres forces pour augmenter fa confiance. Les premiers jours fe paffent fans combattre ; mais à la faveur des tenebres d'une nuit obfcure, Jugurtha s'approche fans bruit du camp d'Adherbal, l'attaque de tous côtez, emporte les retranchemens, & taille en pieces tout ce qui lui fait réfiftance. Il cherche de tous côtez Adherbal qu'il vouloit faire périr pour terminer tout d'un coup la guerre: Mais ce Prince fut affez heureux dans fa difgrace pour échaper à la fureur de fon ennemi. Il ne vit pas plutôt fon camp forcé, qu'il fe jetta dans Cirthe, capitale de fes Etats, où il s'enferma avec les débris de fon armée, d'où il dépêcha des Ambaffadeurs à Rome pour implorer de nouveau le fecours de la République.

Jugurtha qui regardoit fa mort comme le premier fruit de la victoire, le fuit, arrive devant Cirthe avec toute fon armée; investit la place; la ferre de près, & jure de ne pas partir du pied de fes murailles, qu'il ne fe foit rendu maître & de la ville; & de la perfonne d'Adherbal. Ce malheureux Prince qui fe voit à la

veille de tomber entre les mains d'un ennemi inexorable, dépêche couriers fur couriers à Rome. Le Senat obfedé par les partifans de Jugurtha, femble douter du rapport des Ambaffadeurs, & fe contente d'envoyer en Affrique trois jeunes Romains pour reconnoître ce qui s'y paffe; & en cas de guerre, ordonne aux deux Princes Numides de mettre les armes bas. Jugurtha à leur arrivée les amufe d'abord par des ambaffades continuelles, les féduit enfuite, & les corrompt par des fommes confiderables, déguifées fous le titre de préfens. Ses Agens dans l'audience qu'on leur donna, foutinrent qu'Âdherbal avoit attaqué à force ouverte, & même par des voyes indignes & détournées, la vie de leur maître, qui n'avoit pris les armes que par là neceffité d'une jufte défenfe. Les envoyez gagnez par ces raifons que l'argent du Numide fit trouver juftes, s'en retournerent à Rome pendant que Jugurtha pouffoit le fiege avec une nouvelle ardeur.

Adherbal réduit à l'extrêmité,

écrit de nouveau au Senat, & il conjure les Romains par les fervices de Mafiniffa fon aycul, de lui fauver au moins la vie. Difpofez comme il vous plaira du Royaume de Numidie, leur dit ce foible Prince dans fa Lettre, mais ne permettez pas que je tombe dans les mains d'un tyran du meurtrier de ma maison.

Les plus honnêtes gens du Senat, & ceux qui n'avoient point été corrompus par l'argent de Jugurtha, vouloient qu'on ne differât pas davantage à faire paffer une armée en Affrique pour faire lever le fiege de Cirthe, & pour punir Jugurtha de n'avoir pas déferé aux premiers ordres qu'on lui avoit envoyez Mais fes partifans empêcherent par leurs brigues que cet avis ne paflat, fous prétexte que cet armement engageroit à une dépenfe inutile. Ils propoferent feulement d'envoyer en Affriquedenouveaux Commiffaires pour regler les differends des deux Rois, & ce dernier avis l'emporta fur l'honneur & la gloire de la République. Æmilius Scaurus fut mis à la tête de cette commiffion :

il étoit Prince du Senat, c'est-à-dire, celui que le Cenfeur lifant publiquement la lifte des Senateurs, avoit nommé le premier: ce qui dépendoit du choix de ce Magiftrat des moeurs. On ne déferoit ordinairement ce titre honorable qu'à un ancien Senateur, qui eût déja été honoré du Confulat ou de la Cenfure; & il joüiffoit toute fa vie de cette prérogative.

Scaurus illuftre par fa naiffance, & habile Magiftrat, mais également ambitieux & avare, avoit jufqu'alors caché fes défauts fous l'apparence des vertus contraires. Quoique l'avarice fût fa paffion dominante, il avoit fçu refufer l'or des Agens de Jugurtha, parce qu'ils le diftribuoient trop publiquement. Cette conduite adroite, fon âge, fa dignité, ses services,le firent nommer pour chef de cette commiffion. Il paffa auffi-tôt en Affrique avec, fes Collegues, & débarqua à Utique, d'où il fit fignifier à Jugurtha fa commiffion, & les ordres du Senat, de lever inceffamment le fiege de devant Cirthe.

Jugurtha laiffe fes troupes au fie

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