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parmi les Anciens l'explique de la même forte dans des notes fur Denis le Géographe.

Examinons légèrement ces différentes opinions, le Lecteur pourra juger enfuite quelle eft la mieux fondée. Quelque différentes & extravagantes que foient, au moins en apparence, les relations des Auteurs, tant de l'allée que du retour des Argonautes, on prétend tirer de l'exiftence réelle de ces lieux qu'on leur fait parcourir une preuve de la réalité de cette expédition. De graves Hiftoriens les ont en conféquence adoptées en tout ou en partie, tels qu'Hétacée de Milet, Timagete, Timée, &c. Strabon même, qui n'y ajoute pas foi, fait mention des monumens trouvés dans les lieux cités par les Poëtes. Mais ne fait-on pas qu'une fiction, un roman, n'ont de grace qu'autant que ce qu'ils mettent fur la fcene approche du vrai? Le vraisemblable les fait prendre pour des hiftoires; fans cette qualité, on n'y verroit qu'une fable pure, auffi puérile & auffi infipide que les Contes des Fées. L'exiftence réelle des lieux de ces pays-là ne fauroit d'ailleurs former une preuve, pas même une préfomption pour établir la réalité de cette hiftoire ; puifque Diodore de Sicile (a) affure pofitivement que la plupart des lieux de la Grece ont tiré leurs noms de la doctrine de Mufée, d'Orphée, &c. Or la doctrine de ces Poëtes étoit celle qu'ils apprirent des Prêtres d'Egypte; & l'on a vu ci-devant que celles des Prêtres d'Egypte étoit la Philofophie d'Hermès, ou l'Art facerdotal, appelé depuis l'Art Hermétique.

́ ́(a) Liv. 2. ch. 6.

Mais ce qui prouve clairement que l'hiftoire des Argonautes n'eft pas véritable, c'est que le temps, les perfonnes, & leurs actions, jointes aux circonstances qu'on en rapporte, ne font point du tout conformes à la vérité. Si l'on fait attention au temps, il fera aifé de voir combien fe font trompés ceux qui ont voulu en déterminer l'époque. Les Savans ont trouvé un si grand embarras à ce fujet, qu'ils n'ont pu s'accorder entr'eux. Prefque tous ont pris pour point fixe l'événement de la guerre de Troye, parce qu'Homere dans fon Iliade nomme quelques-uns de ces guerriers, ou leurs fils, ou leurs petits-fils comme ayant affiftés à cette feconde expédition. Mais pour avoir un pôle fixe, avec lequel on pût faire comparaifon, il eût fallu que l'époque même de la guerre de Troye fût déterminée; ce qui n'eft pas, comme nous le démontrerons dans le fixieme livre. Ces deux époques étant donc auffi incertaines l'une que l'autre, elles ne peuvent se fervir de preuves réciproques; & tous les raifonnemens que nos Savans font en conféquence, tombent d'eux-mêmes. Toute l'érudition que l'on étale à ce fujet, n'eft que de la poudre que l'on nous jette devant les yeux, Que Caftor & Pollux, Philoctete, Euryalus, Neftor, Afcalaphus, Jalmenus & quelques autres foient fuppofés s'être trouvés aux deux expéditions, on prouveroit tout au plus par-là qu'elles ne furent pas beaucoup éloignées l'une de l'autre ; mais cela n'en détermineroit pas l'époque précife. Les uns, avec Eufebe, mettent entre ces deux événemens une distance de 96 ans; les autres, avec

Scaliger, en comptent feulement 20; &M. l'abbé Banier, pour partager le différend, ne met qu'environ 35 ans.

Apollodore fait mourir Hercule 53 ans avant la guerre de Troye (a). Hérodore ne compte qu'environ 400 ans depuis Homere jusqu'à lui, & près de soo depuis Hercule jufqu'à Homere, quoiqu'il ne mette qu'environ 160 ans d'inter valle entre ce dernier & le fiége de Troye. Hercule, fuivant Hérodote, feroit mort plus de 300 ans avant ce fiége; il faut donc en conclure qu'Hercule ayant été du nombre des Argonautes, cette expédition doit avoir précédé de 300 ans la prife de Troye. Mais, fuivant ce calcul comment quelques-uns des Argonautes, ou leurs fils auroient-ils pu fe trouver à cette derniere expédition? Hélene, qu'on dit en avoir été le sujet, eût été alors une beauté bien furannée, & peu capable d'être la récompenfe du jugement de Pâris. Cette difficulté a paru fi difficile à lever, que quelques Anciens, pour fe tirer d'embarras, ont imaginé qu'Hélene, comme fille de Jupi ter, étoit immortelle. Tous les Argonautes étant fils de quelque Dieu, ou defcendus d'eux, ne pouvoient-ils pas avoir eu le même privilege? Hérodote parle à la vérité de ce fiége de Troye; mais les difficultés & les objections qu'il fe fait à lui-même fur fa réalité, & les réponses qu'il y donne, prouvent affez qu'il ne le croyoit pas véritable. Nous difeuterons tout cela dans le fixieme livre.

(a) Clem. d'Alex. Strom, 1. 1.

Une autre difficulté non moins difficile à ré foudre, fe préfente dans Théfée & fa mere Æthra. Théfée avoit enlevé Ariadne, & l'abandonna dans l'Ile de Naxo, où Bacchus l'ayant épousée, en eut Thoas, qui devint Roi de Lemnos & pere d'Hypfiphile, qui reçut Jafon dans cette lle; Théfée eut donc pu alors avoir été l'ayeul d'Hyp fiphile, thra fa bifayeule. Comment celle-ci aura-t-elle pu fe trouver efclave d'Hélene dans le temps de la prife de Troye? Il n'eft pas poffible d'accorder tous ces faits, en n'admettant même avec M. l'Abbé Banier que 35 ans de distance entre ces deux événemens.

Thétée avoit au moins 30 ans, lorfqu'il entreprit le voyage de l'ifle de Crete, pour délivrer fa patrie du tribut qu'elle payoit à Minos; puisqu'il avoit déja fait prefque toutes les grandes actions qu'on lui attribue; & qu'il avoit été reconnu Roi d'Athenes. Athra devoit par conféquent en avoir au moins 45. Depuis ce voyage de Théfée jufqu'à celui des Argonautes, il doit s'être écoulé environ 40 ans; puifque Thoas naquit d'Ariadne, devint grand, regna même dans Ile de Lemnos, & eut entr'autres enfans Hypfiphile, qui regnoit dans cette Ifle, lorfque Jafon y aborda. Les Auteurs difent même que Jafon racontoit à Hypfiphile l'histoire de Théfée, comme une hiftoire du vieux temps.

Nouvelle difficulté. Toute l'Antiquité con vient que Théfée, âgé au moins de cinquante ans, & déja célebre par mille belles actions, ayant appris des nouvelles de la beauté d'Hélene, réfolut de l'enlever. Il falloit bien qu'elle für

nubile, puifque d'anciens Auteurs affurent que Théfée, après l'avoir enlevée, la laiffa groffe entre les mains de fa mere Ethra; d'où elle fut enfuite retirée par fes freres Caftor & Pollux. Ce fait doit avoir néceffairement précédé la conquête de la Toifon d'or, à laquelle ces deux freres affifterent. Que nos Mythologues levent toutes ces difficultés, & tant d'autres qu'il feroit aifé de leur faire. Et quand même ils en viendroient à bout d'une maniere à fatisfaire les efprits les plus difficiles, pourroient-ils fe flatter d'avoir déterminé l'époque précife du voyage des Argonautes ? Loin que M. l'Abbé Banier dans fes Mémoires présentés à l'Académie des Belles-Lettres, & dans fa Mythologie, ait touché le but à cet égard, il femble n'avoir écrit que pour rendre cet événement plus douteux.

Venons à la chofe même. Peut-on regarder comme une hiftoire véritable, un événement qui ne femble avoir été imaginé que pour amufer des enfans? Perfuadera-t-on à des gens fenfés que l'on ait conftruit un vaiffeau de chênes parlans; que des Taureaux jettent des tourbillons de feu par la bouche & les natines; que des dents d'un Dragon femées dans un champ labouré, il en naiffe auffi-tôt des hommes armés qui s'entretuent pour une pierre jetée au milieu d'eux; enfin tant d'autres puérilités qui font fans exception toutes les circonftances de cette célebre expédition Y en a-t-il une feule en effet qui ne foit marquée au coin de la Fable, & d'une Fable même affez mal concertée, & très-infipide, fi l'on ne l'envisage pas dans un point de vue allé.

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