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fait, Pertharité lui dit, je vous fuis Serviteur, & fçachant que vous êtes très-Chretien & ami de piété, bien que je pûffe vivre entre les Payens, néanmoins me confiant en votre douceur & débonnaireté, me fuis venu rendre à vos pieds. Lors Grimoald ufant de fes fermens accoûtumés lui promit, difant, par celui qui m'a fait naître, puifque vous avez recours à ma foi, vous ne fouffrirez mal aucun en chofe qui foit, & donnerai ordre que vous pourrez honnêtement vivre. Ce dit, lui ayant fait donner un bon logis, commanda qu'il fût entretenu félon fà qualité, & que toutes chofes à lui néceffaires lui fuffent abondamment baillées. Or comme Pertharite eut prins congé du Roi, & fe fut retiré en fon logis, advint que foudain les Citoyens de Pavie à grandes troupes accoururent pour le voir & le faluer comme l'ayant auparavant connu & honoré. Mais voici de combien peut nuire une mauvaise langue. Quelques Flatteurs malins ayant pris garde aux careffes faites par le Peuple à Pertharite, vinrent trouver Grimoald, & lui firent entendre que fi bien-tôt il ne faifoit tuer Pertharite, il étoit en branle de perdre le Royaume & la vie, lui affûrant qu'à cette fin tous ceux de la Ville lui faifoient la cour. Grimoald, homme facile à croire & bien fouvent trop de leger, s'étonna aucunement & atteint de défiance, ayant mis en oubli fa promeffe, s'enflamma fubitement de co

lere, & dès-lors jura la mort de l'innocent Pertharite, commençant à prendre avis en foi par quel moyen & en quelle forte il lui pourroit le lendemain ôter la vie, pour ce que lors étoit trop tard; & à ce foir lui envoya diverfes fortes de viandes & vins des plus. friands en grande abondance pour le faire enyvrer, afin que par trop boire & manger, & étant enfeveli en vin & à dormir, il ne pût penfer aucunement à fon falut. Mais un Gentil-homme qui avoit jadis été ferviteur du pére de Pertharite, qui lui portoit de la viande de la part du Roi, baiffant la tête fous la table: comme s'il lui eût voulu faire la révérence, &: embraffer le genoüil, lui fit fçavoir secrétement que Grimoald avoit délibéré de le faire mourir. Dont Pertharite commanda à l'inftant à fon Echanfon qu'il ne lui verfât autre breuvage durant le repas, qu'un peu d'eau dans fa coupe d'argent. Tellement qu'étant Pertharite invité par les Courtifans qui lui préfentoient les viandes de diverfes fortes, de faire brindes & ne laiffer rien dans fa coupe pour l'amour du Roi; hii pour l'honneur & révérence de Grimoald promettoit de la vuider du tout, & toutefois ce n'étoit qu'eau qu'il buvoit. Les Gentils-hommes & Serviteurs rapporterent à Grimoald comme Pertharite hauffoit le gobelet, buvoit à fa bonne grace démefurément. Dequoi fe réjoififlant Grimoald, dit en riant, cet yvro

gne boive fon faoul feulement, car demain il rendra le vin mêlé avec fon fang. Le foir même il envoya fes Gardes entourrer la maifon de Pertharite, afin qu'il ne s'en pût fuir. Lequel après qu'il eût foupé, & que tous furent fortis de la chambre, lui demeuré feul avec Unulphe & le Page qui avoit accoutumé le vêtir, & lefquels étoient tous les deux plus fidéles Serviteurs qu'il eût, leur découvrit comme Grimoald avoit entrepris de le faire mourir pour à quoi obvier, Unulphe lui chargea fur les épaules les couvertes d'un lit, une coutre & une peau d'Ours qui lui couvroit le dos & le vifage. Et comme fi c'eût été quelque ruftique ou faquin, commença de grar de affection à le chaffer à grands coups de bâton hors de la chambre, & à lui faire pluficurs outrages & vilainies; tellement que chaffé & ainfi battu il fe laiffoit choir fouvent en terre. Ce que voyant les Gardes de Grimoald qui étoient en fentinelle à l'entour de la maifon, demandant à Unulphe que c'étoit : c'eft, répondit-il, un maraut de valet que j'ai, qui, outre mon commandement, m'avoit dreffé mon lit er: la chambre de cet yvrogne Pertharite, lequel eft tellement rempli de vin qu'il dort comme mort, & partant je le frappe. Eux entendant ces paroles, les croyant véritables fe réjouirent tous, & penfant que Pertharite fût ce valet, lui firent place & à Unulphe, & les laifferent aller. La

même nuit Pertharite arriva en la Ville d'Aft, & de-là paffa les monts & vint en France. Or comme il fut forti, & Unulphe après, le fidéle Page avoit diligemment fermé la porte après lui, & demeuré feul dedans la chambre, là où le lendemain les meffagers du Roi vinrent pour mener Pertharite au Palais, &ayant frappé à l'huis, le Page prioit d'attendre, difant, pour Dieu, ayez pitié de lui', & laiffez-le achever de dormir car étant encore laffé du chemin il dort de profond fommeil. Ce que lui ayant accordé, le rapporte rent à Grimoald, lequel lui dit que tant mieux, & commanda que quoique ce fût, on y retournât,& qu'ils l'amenaffent. Auquel commandement les foldats revindrent heurter de plus fort à l'huis de la chambre, & le Page les pria de permettre qu'il repofat encore un peu:mais ils crioient & tempeftoient de tant plus, difant, n'aura meshuy dormi affez cet yvrogne? Et en un même-temps rompirent à coups de pied la porte, & entrés dedans chercherent Pertharite dans le lit, mais ne le trouvant point, demanderent au Page où il étoit, lequel leur dit qu'il s'en étoit fui. Lors ils prindrent le Page par les cheveux & le menerent en grande furie au Palais, & comme ils furent devant le Roi, dirent que Pertharite avoit fait vie, à quoi le Page avoit tenu la main, dont il méritoit la mort. Grimoald demanda par ordre, par quel moyen Pertha

rite s'étoit fauvé, & le Page lui conta le fait de la forte qu'il étoit advenu. Grimoald connoiffant la fidélité de ce jeune homme, voulut qu'il fût un de fes Pages, l'exhortant à garder cette foi qu'il avoit à Pertharite, lui promettant en outre de lui faire beaucoup de bien. Il fit venir en après Unulphe devant lui, auquel il pardonna de même, lui recommandant fa foi & fa prudence. Quelques jours après il lui demanda s'il ne vouloit pas être bien-tôt avec Pertharite, à quoi Unulphe avec ferment répondit, que plûtôt il auroit voulu mourir avec Pertharite, que vivre en tout autre lieu en tout plaifir & délices. Le Roi fit pareille demande au Page, à fçavoir s'il trouvoit meilleur de demeurer avec foi au Palais, que de vivre avec Pertharité en exil: mais le Page lui ayant répondu comme Unulphe avoit fait; le Roi prenant en bonne part leurs paroles,& loüant la foi de tous deux, commanda à Unulphe de demander tout ce qu'il voudroit de fa maison, & qu'il s'en allât en toute fûreté trouver Pertharite. Il licentia & donna congé de même au Page, lequel avec Unulphe partans avec eux par la courtoifie & libéralité du Roi,, ce qui leur étoit de befoin pour leur voyage, s'en allerent en France trouver leur defiré Seigneur Pertharite.

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