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Te affez de lumiere pour en connoître l'abus; mais fi je fuis innocent de ce côté-là, j'avoue que je ne fuis pas fans fcrupule de les avoir gardez fi long

tems.

On ne fçait point quelle impreffion fit ce difcours fur ceux qui l'entendirent; mais il eft certain qu'il en fit beaucoup fur l'efprit de celuy qui l'avoit tenu. Depuis ce tems-là l'Abbé de Rancé fongea à fatisfaire à fa confcience fur la pluralité de fes Benefices; il en reconnoiffoit l'abus, & il avoit l'efprit trop droit pour ne se pas rendre à la verité, lorfqu'il l'avoit une fois connuë.

CHAPITRE VIII.

De quelques qualitez naturelles de l'Abbé de Rancé, dont Dieu fe Servit pour fa conversion.

N

On peut dire que le respect & cet

amour pour la verité que Dieu avoit mis dans le cœur de l'Abbé de Rancé dés fa plus tendre jeuneffe, a été une de fes difpofitions qui a le plus contribué à attirer fur luy cette abondance de mifericordes, dont on verra

les effets dans la fuite de cette Hiftoire. Il avoit une antipathie naturelle pour la diffimulation & pour le menfonge. On en étoit fi perfuadé qu'on fe fioit plus à fa feule parole qu'aux fermens d'un autre. Quoique la verité luy fûr fouvent contraire, qu'elle condamnât fa conduite, qu'elle troublât cette funefte paix que le pecheur cherche en fuivant les defirs de fon cœur ; il l'aimoit, il l'écoutoit volontiers, il faifoit plus, il la cherchoit, & s'il ne la fuivoit pas toûjours avec une égale fidelité, ce n'étoit jamais fans de grands fcrupules & fans fe faire violence. Je n'en citeray qu'un exemple, qui marque trop bien le caractere de fon efprit pour ne le pas rapporter.

Un jour que dans fes premiers fenti❤ mens de converfion il s'entretenoit avec Gilbert de Choifeul, Evêque de Comminge, fur le fujet de la pluralité des Benefices, ce Prélat luy dit qu'il loüoit la délicateffe de fa confcience fur un point dont tant d'autres faifoient fi peu de fcrupule; mais qu'il ne faifoit pas reflexion que dans l'origine des chofes tous les Abbez étoient foûmis à la Regle, dont on faifoit profeffion dans les Monafteres, obligez de la faire prati

quer, de la pratiquer eux-mêmes, & d'en donner l'exemple. Que les Fondaeurs l'avoient ainfi prétendu ; qu'on ne trouveroit pas un feul exemple contraire, & que c'étoit s'abufer de s'imaginer que les Fondateurs euffent donné aux Monafteres de fi grands biens, fouvent au préjudice de leurs heritiers, s'ils euffent feulement foupçonné qu'on en fift l'ufage qu'en faifoient la plus-part des Abbez Commendataires. L'Abbé de Rancé répondit que les Commendes étoient fanciennes, qu'on en voyoit des exemples dans les premiers fiecles de l'Eglife. L'Evêque en convint, mais il fit remarquer à l'Abbé qu'il s'agiffoit alors des Commendes pour un tems toûjours pour l'utilité des Eglifes, & nullement pour celles des Commendataires; mais que les perpetuelles & à vie, qui étoient celles dont il s'agiffoit, ne pouvoient pas paffer pour anciennes, & que l'état d'Abbé Regulier étoit affurément plus parfait que celuy d'Abbé Commendataire, L'Abbé furpris de cette remarque, répondit qu'il étudiereit cette matiere, & que fi les chofes étoient comme il les luy difoit, ou qu'il quitteroit fes Abbayes, ou que, quelque averfion qu'il eût pour le froc, il fe

feroit Moine dés le lendemain. L'Evêque répondit que la matiere meritoit bien qu'il s'en inftruisît à fond, & qu'il prît fur cela confeil de perfon nes éclairées & defintereffées; mais que pour luy il ne vouloit rien décider. Cette reflexion de l'Evêque de Comminge ne fit pas alors une plus forte impreffion fur fon efprit, mais le même Evêque l'ayant depuis appuyée plus fortement, il prit enfin la refolution qu'on verra dans la fuite de cette Histoire.

Sa droiture & fon amour pour l'é quité ont encore été, au fentiment de ceux qui l'ont connu, une des principales caufes de fa converfion. On raconte fur cela, qu'ayant été deputé avec un Archevêque d'une habileté diftinguée au Cardinal Mazarin, pour luy reprefen→ ter quelque chofe d'important au Clergé de France, l'Archevêque accommo→ da ce qu'il avoit à reprefenter aux intentions de ce Miniftre; & trahissant les interêts & les fentimens du Corps qui l'avoit deputé, il dît toute autre chofe que ce que portoit fa commiffion. L'Abbé de Rance, qui n'étoit pas char. gé de porter la parole, eût pû diffimuler cette infidelité; il ne pouvoit pas même la relever fans fe faire un enne

mi de l'Archevêque, fans offenfer le Miniftre, & fans nuire à fa fortune, qui dépendoit abfolument du Cardinal. Ĉes confiderations ne furent pas capables de le porter à diffimuler une prevarication fi honteufe. Il avertit l'Archevêque qu'il s'acquittoit mal de fa commiffion. Ce Prelat en fut offenfé au dernier point, & le Cardinal ne put diffimuler que cette liberté luy avoit déplû. Cependant, comme le caractere de la vertu eft de forcer les ennemis mêmes à l'eftimer, le Cardinal ayant fait reflexion à la droiture qui paroif foit dans l'action de l'Abbé de Rancé, il l'en estima davantage, & luy fit demander fon amitié. De pareils traits de fermeté & d'amour pour la juftice ne font jamais fans recompenfe de la part de Dieu. Heureux qui s'attire par de pareilles actions une auffi grande grace que celle d'une parfaite converfion.

A ces difpofitions j'en ajoûteray une autre qui tient un des premiers rangs entre les vertus humaines; c'eft le defintereffement, & une certaine grandeur d'ame qui eft fi rare parmi les hommes. Ce fut un des principaux caracteres de l'Abbé de Rancé ; il avoit fes veuës, il fongeoit à s'élever: mais ce ne fut ja

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