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fang pour une liqueur imparfaite, laquelle femblable au moût auroit eu befoin de le dépurer par le temps & la fermentation. Toutes ces idées empruntées des liqueurs fermentatives, telle qu'eft encore la bierre, n'ont fervy qu'à embarraffer la phyfique de levains & de fermens auffi peu réels qu'inutiles. On a donc efté contraint de reconnoiftre que le fang eftoit une liqueur qui eft parfaite d'abord, fimple, douce, laiteufe & incompatible avec les fels dont on le croyoit compofé. L'alkali qu'on y trouve n'y vient que par l'action du feu qui en eft l'auteur & le pere; & l'acide qu'on y a cherché avec tant de foin, ne s'y trouve jamais; ce fut une prétention creufe & fyftématique, qui a paffé pour un ridicule dans le monde littéraire, & que les meilleurs obfervateurs ont confondue 4. Le fang eft une liqueur non falée naturellement, qui s'exhale & s'évapore fans laiffer que trespeu de terreftreitez ou de teftes mortes; le peu qui en refte par l'analyfe chymique, eft une créature du feu. La tranfpiration journaliere qui fe fait du fang, en eft une preuve incontestable; car cette forte d'analyse & de diftillation, où le feu n'a point de part, le fait évaporer fans qu'il en refte rien.

On s'eft mieux trouvé de comparer le fang au lait, & de le comprendre fous l'idée d'une liqueur douce, chyleufe, en quoy on s'eft confirmé, parce que tout ce qui eft doux & laiteux nourrit davantage & plus utilement que le chyle luy-même eft un lait, puifque le lait des nourrices n'est qu'un chyle, & que la lymphe fine & fpiritueufe qui remplit les nerfs, eft douce, exemte de tout fel, telle enfin que le feu

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à Cockburn. œcon. p. 31. b Louver. biblioth. anatom. tom. z p. 91. Cockburn. p. 37. d Pitearn. differt. p. ult. Boyl. hifts Langu. p. 19.

ne peut la coaguler; mais fi peu reffemblante un efprit ardent, que l'efprit de vin la coaguleroit peut-eftre, comme il paroift le faire dans les gouteux, & comme on le voit fixer & coaguler le fang luy-même.

Le vin donc & tout ce qui luy reffemble, eft moins favorable qu'on ne penfe aux befoins de la vie; le plaifir plûtoft que la néceffité luy a fait un fi gros party dans le monde, le palais féduit par la douceur de ce fuc enchanteur, a perfuadé les hommes, naturellement fenfuels,. qu'une boiffon pour eftre utile devroit eftre flateufe & piquante; & l'on a crû que ce n'eftoit pas boire, fi on ne bûvoit quelque chofe qui aga çât le gout & piquât la langue: Noftrorum hominum palato nullus fapor nifi acer & mordax placet, ut nifi puncti fint, bibiffe fe nefciant".

Mais cela ne répond ni à l'intention de la nature, ni à la pratique de nos peres, qui don noient la préférence à l'eau; en effet on apperçoit en elle un principe de fécondité, qui devroit la juftifier dans l'efprit de ceux qui la croyent fans force & fans action. C'eft dans les eaux que naiffent les plus grands des animaux, & la terre ne produit pas tant de prodigieux arbres & de fi nombreufes plantes, que dans les endroits où les eaux l'arrofent, ou la pénétrent. Pour appliquer à préfent ce principe aux befoins de la vie, jamais elle ne fut plus longue ni plus faine, que dans les fiecles où on ne bûvoit que de l'eau ; & jamais les hommes ne furent fi vigoureux & fi puiffans, qu'avant la découverte ou l'ufage ordinaire du vin . Ce n'eft pas qu'on ne s'en foit fervy il y a long-temps, mais on en ufoit peu & rarement, plûtoft comme d'un remede que comme d'une boiffon ; & il feroit a Bellin. opufcul. 6 Boyl. hift. fangu. p. 12. 21. © Turnebus, de vino, p. 22. & Ibid. paffim. e Baccias, de vinis, p. 13. 15 Turneb. de vin. p. 26,

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encore tel, fi la coutume n'en avoit corrompų Pufage. Les Grecs furent grands & puiffans, tant qu'ils ne bûrent que de l'eau ; & les François d'aujourd'huy feroient auffi hauts & auffi grands que les auteurs nous les décrivent, fi comme alors ils ne bûvoient que de l'eau. Les Gaulois furent tels tant qu'il n'y eut en France ni pommiers ni vignes, c'est-à-dire jufqu'à Jules Céfar. On y en planta peu de temps après luy : eh plût à Dieu que l'édit de Domitien, qui les fit arracher des bords de la feine, eût fubfifté! Mais l'empereur Probus les permit, & on en vit à Paris fous Julien l'apoftat, qui fut d'a-bord proconful des Gaules, puis proclamé enfuite empereur f. Jufques-là cependant le mal n'eftoit qu'à demy fait, car on fut encore quelque temps fans faire du vin en France; & les François ou leurs voifins paffoient toujours pour de puiffans corps d'hommes, témoins les Bourguignons, qu'un auteur appelle des hommes de fept pieds". Mais le vin devenu enfin journalier, diminua du volume des corps, à mefure, qu'il affoiblit les fantez, & qu'il abbrégea la vie. Les enfans partageant les vices des peres & expiant leurs fautes, devinrent moins grands, parce que le vin durciffant les os & defféchant les nerfs, arrétoit leur croiffance & avançoit leur vieilleffe. Ce fut un feu fecret, plus capable d'avaneer les corps, que de les perfectionner, femblables à ces fruits précoces que le feu fait paroiftre avant que de les meurir. Les paffions s'allumérent donc avant le temps, l'incontinence forma les mariages, & les fexes trop avancez fe prefferent trop de peupler le monde ; mais ce ne furent plus que des ébauches de corps, fi on a Homer. paffim. b Cafar. Tit. Liv, Ammian. c Turneb. de vino, p. 22. did. ibid. e Traité de la police, p. 70. 72. 75. 76, Įbid. en 360. $ Turneb. de vino. 22, b Septipedes, Sidon,

ofe le dire, que ces productions prématurées, fi on les compare aux enfans de ces anciens Gaulois, dont la raifon plûtoft que l'incontinence, & la réfléxion plûtoft que le crime, faifoit des peres. On voit encore aujourd'huy parmy les nations qui fe paffent de vin, que les enfans ne deviennent pas fi-toft peres, mais qu'ils demeurent plus long-temps jeunes : Apud Germanos vini ignaros fera juvenum venus eft, & inexhaufta pubertas. Il ne faut pas s'étonner après cela, fi on a ofé avancer qu'il n'eft pas de vin innocent, Ego vinum nullum innocens puto; & que de fages loix devroient en reprimer l'abus , parce que c'eft un ennemy domeftique, & un poifon familier qui va à déranger la raifon, Vinum noftrum obumbrat prudentiam,& à alterer la fanté. En effet fans fe borner au goût qu'il enchante, il paffe plus loin; car il faifit infenfiblement l'efprit, & furprend le coeur. C'est même une forte de poifon qui mene à la fureur: car c'en eft une que la paffion d'aujourd'huy avec laquelle on boit le vin, plûtoft ce femble pour allumer fes fens, que pour foulager fes ennuis: Quòd venenum vir num fit arguunt infanie f. Dira-t-on qu'on en boira fobrement Mais c'eft fouvent un excès de s'accorder peu une chofe qu'il faudroit peuteftre s'interdire pour toujours: Ecquis lineas non tranfilit in eo, cujus quotidie cyathum guftasse propè nimium fits? Puis donc que le vin ett fi peu néceffaire, & moins encore naturel à l'homme, puifqu'il eft même contraire à fa fanté, qui ne s'accommode que de ce qui eft doux,

Nil..... committere venis

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Nil nifi lene decet ".

refte à conclure qu'il eft encore moins conve nable à l'efprit du jeufne & de la pénitence. a Turnebus, de vino paffim. b Id. p. 21. c Traité de la police, p. 580. &c. d Turneb. de vino, p. 21. e Athen. p. 43. § Turneb, de vin. 27. Ibid. p.22. Horat

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CHAPITRE IX.

De l'usage du thé.

IL femble fe foit tout
L femble qu'on fe foit tout permis pour fe don

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pren.

dre à tout ce qui pouvoit y attirer; & la crainte même de s'empoilonner ou de prendre des boif fons mortelles ou dangereufes, n'a pû fur ce fus jet retenir les hommes: Alia irritamenta excogitantur ac bibendi etiam causâ venena conficiuntur C'est ce que la multiplicité des boiffons, que le luxe des Romains avoit introduit, fit dire à Pline, qui comtoit déja de fon temps au moins 195. fortes de boiffons différentes: Quantò in potu ingeniofior vita apparebit, ad bibendum generibus centum nonaginta quinque excogitatis? Seroit-on moins bien fondé aujourd'huy à faire les mêmes plaintes contre cette variété dangereufe, de tant de liqueurs ardentes, auffi mortelles & autant multipliées qu'autrefois, dont on s'empoifonne aujourd'huy? Ce n'est pourtant point de celles-là qu'on entreprend de parler icy, car outre qu'on veut croire qu'on s'interdira, du moins en Carême, ces boiffons autant contraires à la fanté, que funeftes à la vertu, on fe renferme à ne traitter que de celles que la mode a mifes de tous les repas, & que des gens fages & reglez d'ailleurs, s'accordent journellement.

C'eft du thé, du café & du chocolate qu'on va parler de ces liqueurs barbares ou étrange, res, que la coutume toute feule a naturalisées. Car le monde toujours & par tout féducteur, n'offre pas moins au Méxique & à la Chine qu'en Europe, des pieges à la fanté, & des écueils à la ver a Plin. 1. 14. p. 158. b Ibid. p. 161,

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