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CHAPITRE V.

Où l'on continue à rechercher l'origine des Fables.

T

les eaux

peu

Huitiéme

tablissement

des Arts.

Ous les hommes s'étant trouvés fubmergés par du Déluge, excepté Noé & fa famille, le monde fource. L'éput être repeuplé que très long-temps après: on ne peut des Colonies pas douter auffi, comme nous le dirons bien-tôt, que les Pays & l'invention les plus voifins du lieu où l'Arche s'arrêta, n'ayent été plés les premiers; ainfi la Syrie, la Palestine, l'Arabie, & 'Egypte, furent habitées long-temps avant les Climats d'Occident. Ceux qui arriverent les premiers dans la Grece, y vêcurent dans une ignorance & dans une groffiereté étonnantes, fans arts, fans coûtumes, fans loix, fe couvrant de feuilles, & broutant l'herbe des Champs; les Rochers & les Cavernes leur fervoient de demeure, & tout leur foin étoit de se défendre des bêtes feroces, dont les bois étoient remplis : ils n'avoient gueres d'autre commodités que celles qu'ils fe procuroient par la guerre qu'ils faifoient aux animaux. Pour peu qu'on fçache l'Antiquité & qu'on ait lû les Poëtes, on reconnoit aisément à cette peinture les premiers habitans de la Grece (1).

(1) Voyez Diod. de Sicil

Quand les étrangers, Egyptiens ou Pheniciens, gens po- 110 lis & fçavans eu égard à ces temps-là, y arrivoient, ils tâchoient d'adoucir l'humeur feroce de ce peuple barbare, foit pour découvrir par ce moyen les richeffes de leur pays, foir pour les obliger à fouffrir qu'ils y laiffaffent quelques Colonies pour entretenir le Commerce. Enfuite ils leur firent part de leurs Coûtumes, de leur maniere de s'habiller & de fe nourrir; ils leur apprirent à manger des châtaignes fauvages & d'autres fruits, au lieu de l'herbe dont ils fe nourriffoient, fouvent avec beaucoup de danger pour leur vie; voilà, pour le dire en paffant, l'origine de la Fable, qui portoit qu'on leur avoit appris à manger du gland; ce qui eft faux, le gland n'étant en aucune maniere propre à nourrir l'homme; cependant cette fiction fe trouve dans toutes les anciennes traditions

la

Ces mêmes peuples leur apprirent enfuite à fe couvrir de peau des animaux qu'ils tuoient ils leur faifoient voir que la terre pouvoit porter, fi elle étoit cultivée, des fruits plus propres à les nourrir, que ceux qu'elle portoit fans qu'on en prît foin; ainfi ils les accoûtumerent peu à peu à labourer, & à femer du bled. Aux maifons répandues dans la campagne, fuccederent les Villages, & enfuite les Villes: on renonça à la brutale coûtume de vivre fans Loix dans le mariage, & l'on regla les devoirs de cet état; la néceffité de reconnoître ses champs, en fixa les limites; la maniere de se vétir de peaux parut trop groffiere, on en détacha la laine pour la mettre en œuvre. Cette réforme parut fi admirable, qu'on crut ne pouvoir porter trop loin la reconnoiffance à l'égard de ceux qui avoient contribué à l'établir: on les prit pour des hommes envoyés du Ciel; & on les regarda comme des Dieux.

dit

boue

Tels furent fans doute les premiers Dieux des Grecs : delà font venues toutes les Fables des Lycaons, des Phoronées, des Cecrops, & de tant d'autres, comme nous le dirons quand il fera temps de les expliquer; & pour en donner dès à prefent quelques exemples, c'eft ce qui a donné lieu à celle qui que Promethée avoit formé l'homme en détrempant de la , parce que veritablement il cultiva & donna des Loix à un peuple barbare & groffier; hyperbole permise en cette occafion, puifque c'étoit veritablement avoir fait l'homme, que de l'avoir rendu raifonnable. De même, parce qu'Apol lon excella dans la Mufique & dans la Medecine, il fut regardé comme le Dieu de ces deux Arts. Mercure fut celui de l'éloquence, Cerès la Deeffe du bled, Minerve, des Manufactures de laine, ainfi des autres.

Comme on s'étoit fait un fyftéme de Religion accommodé aux inclinations & à tous les penchans du cœur, on ne fe faifoit pas une grande affaire d'y changer, d'y ajouter, & d'y retrancher. Les Ceremonies nouvelles ne coûtoient rien à établir, & les raifons qu'on en rendoit étoient toutes fabuleufes. Des Hiftoires forgées par les Prêtres, donnoient lieu de changer un culte fterile, en un autre qui fût plus lucratif, & on n'a jamais été trop fcrupuleux fur cet article. Dès qu'on

découvroit quelque nouvelle Divinité, c'étoit à qui lui éleveroit plus d'Autels, & qui en même temps en publieroit plus de merveilles; & comme un Dieu compatriote donnoit beaucoup de crédit au lieu de fa naiffance, chacun le faisoit naître chez foi: on fuppofoit des Mémoires remplis de Fables; des Impofteurs appuyoient des apparitions prétendues que les Prêtres avoient inventées, & que les Poëtes inferoient dans leurs Ouvrages: delà ce fyftéme monstrueux & fi rempli de Fables, que nous offre la Theologie Payenne.

vie d'avoir

tres.

Ajoutez à cela que la manie la plus ordinaire des grands Neuviéme hommes de ce temps - là, étoit de vouloir defcendre des fource. L'enDieux: il falloit abfolument pour être Heros, avoir Jupiter des Dieux ou Apollon pour ancêtres; & comme apparemment il n'étoit pour Ancêpas difficile de trouver alors des Genéalogistes auffi complaifants qu'ils le font à prefent, on n'avoit pas beaucoup de peine à faire dreffer des titres, où la fouche étoit quelque Dieu auffi prefque toutes les Genéalogies anciennes étoient à peu près de la forte; le chef étoit Jupiter, après lui venoit Hercule, &c.

fource. L'E

Un grand nombre de Sçavans du dernier fiecle, & quel- Dixiéme ques-uns de celui-ci, ont prétendu que la plufpart des Fables criture Sainte tiroient leur origine de l'Ecriture Sainte mal entenduë, & mal entendue, que les traditions du Peuple de Dieu confervées dans la Phenicie, l'Egypte, & les autres pays voisins, alterées dans la fuite, avoient donné lieu à un grand nombre de Fables. Ces Sçavans ajoutent que les Colonies forties des pays voifins de la Palestine, pour aller s'établir dans les Ifles de la Mediterranée & dans la Grece, y avoient porté ces traditions ainfi défigurées, & que les Poëtes avoient encore plus cor

rompues dans la fuite , par les nouvelles fictions qu'ils y

avoient ajoutées; enfin que les Patriarches, fur-tout ceux qui vécurent après le Déluge, Abraham, Jacob, Esaü, Moïse & quelques autres, étoient les premiers Dieux du monde payen; & que leurs belles actions, leurs conquêtes & leurs Loix, avoient engagé les Peuples à les déifier. Parmi ces Sçavans on peut compter le célebre Bochart, Gerard Voffius, M. Huet, le Pere Thomaffin, &c.

feulement en Egypte & en Phenicie; mais auffi dans plufieurs autres pays; que le dernier fur-tout, ayant pouffé fes conquêtes bien avant dans la Palestine, porta fi fort l'épouvante fur les côtes de Syrie, que l'on croit qu'il y eut plufieurs perfonnes, qui pour éviter de tomber fous fa domination, s'embarquerent avec leurs richeffes pour aller s'établir dans des pays éloignés qu'il y en eut même qui allerent fur le bord de l'Ocean, où l'on affure qu'ils firent élever des Colonnes avec cette Infcription (a). Nos hi fumus qui fugerunt à facie Jofue filii Nava prædonis; C'eft nous qui fommes venus ici pour nous mettre à couvert des poursuites de Jofué le voleur, fils de Navé. (b) Il eft für auffi qu'Inachus, Cecrops, Danaüs, Cadmus, & quelques autres, étoient fortis d'Egypte & de Phenicie, pour aller conduire leurs Colonies dans la Grece & dans les Ifles voifines; & il y a apparence que remplis du fouvenir des belles actions de ces grands hommes, ils les raconterent aux habitans du Pays, & que les Grecs grands amateurs du fublime & du furnaturel, ne manquerent pas d'en embellir dans la fuite l'Hiftoire de leurs Heros; que celles d'Hercule fur-tout & de Bacchus, laiffent entrevoir beaucoup de reffemblance avec ces fameux Ifraëlites. On ne manque pas de faire des paralléles fort recherchés: un célebre Prélat eft même allé fi loin, qu'il confond tous les Heros de la Fable avec ceux de la Bible, & qu'il trouve dans le feul Moïfe l'original d'Apollon, de Priape, d'Efculape, de Promethée, de Tirefias, de Typhon, de Perfée, d'Orphée, de Janus, d'Adonis, & d'une infinité d'autres ; & dans Sephora, femme de Moïfe, ou dans Marie fa fœur, prefque toutes les Déeffes, comme Aftarté, Venus, Cybele, Cerès, Diane, les Muses, (1) Lifez la les Parques, &c. (1) & un autre Sçavant, prétend mêmẹ qu'Homere dans fes Poëmes, a fait l'Hiftoire des Heros de Evang. de M. l'Ecriture, fous des noms supposes (2),

Prop. 4. de la Demont.

Huet.

(2) Voyez le

Enfin depuis quelques années ce fentiment, d'ailleurs trèsLivre intitulé, ancien, a été renouvellé par deux Auteurs qui l'ont encore plus

Homere He

braïfant,

(a) Procope in Vandal. Les Critiques trouvent dans cette Infcription, plufieurs marques de fuppofition.

(b) Voyez i. Bochart Geogr. Sacra. 2. Voff. de Idolol 3. Huet Demonft. 4. le P. Thomaffin, Lect. des Poëtes,

étendu

étendu que ceux que je viens de nommer. Le premier eft M. de Lavaux, dans un Ouvrage, qui a pour titre Conference de la Fable avec l'Hiftoire Sainte; lequel pour donner plus de poids à fon opinion, cite ceux des Peres, & des Ecrivains Ecclefiaftiques, qui l'avoient foutenu avant lui: Tels font, S. Juftin, Origene, Tertullien, Minutius Felix, S. Cyrille, Arnobe, Lactance, S. Auguftin, Theodoret, S. Athanafe, Philon, Jofephe, & quelques autres. Le fecond eft M. Fourmont, de l'Academie des Belles-Lettres, dans fes Reflexions Critiques fur les Hiftoires des anciens Peuples. Comme ce fçavant Academicien poffede à fond les Langues anciennes, il eft celui de tous qui s'eft le plus étendu fur cette matiere: & il a appliqué avec tant de jufteffe aux Patriarches les idées que Sanchoniathon nous a données des premiers hommes; il trouve dans leurs noms tant de rapports avec ceux que l'Ecriture leur donne, & dans leur caractere & leurs actions tant de reffemblance, avec ce que Moyfe en a écrit, qu'il eft fouvent bien difficile de ne pas fe rendre à fes raisons. D'ailleurs pourroit-on, comme il le dit dans fa Preface, faire un crime à quelqu'un, de fuivre une foule d'Auteurs tous recommandables, ou par leur fcience, ou par leur pieté; & de vouloir trouver dans les Patriarches, les Dieux que le Paganisme a respectés, Saturne dans Noé, Pluton dans Sem, Jupiter Hammon dans Cham, Neptune dans Japhet, ainsi que l'a prouvé Bochart; Belus & Jupiter dans Nemrod, comme d'autres l'ont foutenu; Minerve dans les idées de la Trinité, comme l'a penfé le Pere Tournemine, Jefuite; Apollon dans Jubal, avec le Pere Thomaffin, & ainfi des autres? De plus, ajoute-t'il, il n'y a rien de plus avantageux pour la Religion, que ce fentiment. C'eft ainfi qu'en parle M. Huet (a).

Quelque eftime que j'aye pour ces grands hommes, je ne fçaurois croire que l'abus que les Poëtes ont pu faire de l'ancien Teftament, ait donné lieu à un fi grand nombre de Fables, qu'ils le prétendent. Car, premierement, les Juifs

(a) Quo argumento vix validius ullum aut fplendidius, ex genere eorum quæ ratio fufpeditat, ad fanciendam Scripturæ Sacræ dignitatem reperio, quæ, &c. Demonit. Evang. P. 4. c. 3.

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