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Il faut donc en revenir à la tradition des Grecs, la feule vraisemblable fur cet article. Hefiode eft le premier qui l'ait employée ; Pindare la fit valoir dans la fuite, & Ovide y a ajouté de nouveaux traits de fa façon. Il eft vrai qu'elle eft accompagnée dans ces Poëtes de plufieurs Fables, mais ces fictions ne font pas des énigmes impénétrables, ainsi qu'on le verra à mesure qu'elles fe prefenteront.

Reinerus Reinecius, dans fon fçavant Ouvrage fur les anciennes familles (1), croit que Tithon étoit fils de Tros, & frere de Laomedon, & il préfere ce fentiment à celui d'Ho mere, fuivi en cela par Apollodore, Ovide & Higyn, qui prétendent qu'il avoit pour pere Laomedon, & qu'il étoit par conféquent frere de Priam. Tithon peu content de fon appanage, & fon frere Laomedon qui avoit fuccédé à Tros fon pere, ne lui donnant pas apparemment beaucoup de part au Gouvernement, il n'avoit d'autre occupation que la chaffe qu'il aimoit éperduement. Devançant tous les matins le lever du Soleil pour aller dans les bois tendre fes toiles, on dit par une métaphore affez naturelle qu'il étoit amoureux de l'Aurore; & comme par quelque chagrin dont nous ignorons la cause, il abandonna la Phrygie pour fe retirer à Sufe où regnoit alors Teutame, il en fut reçû favorablement, le Royaume dePriam relevant alors du Roi de Perfe.Cette retraite donna lieu à une seconde fiction. On publia que l'Aurore avoit enlevé Tithon; fable à laquelle donnerent lieu fans doute, ce que nous venons de dire de fon amour pour la chasse, & fa retraite dans un pays qui étoit à l'orient de la Phrygie.

Teutame procura à Tithon un bon établissement dans fes Etats, & lui fit époufer Ida, dont il eut Memnon; & comme l'exercice du corps, quand il n'est point outré, eft trèspropre à fortifier le temperament & à faire jouir d'une bonne fanté, Tithon ne mourut que dans une extrême vieilleffe. Nouvelle fiction encore: on publia que fon Amante l'avoit changé en Cigale, foit pour nous apprendre qu'il avoit vêcu long-temps; car, fuivant l'opinion populaire, on croit que cet infecte, femblable au Serpent, rajeunit tous les ans, en changeant de peau; foit pour nous marquer que,

(2) Tom. III. de Trojan.

rio. p. 13.

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fuivant l'usage ordinaire des vieillards, il l'imitoit par fon

cacquet.

Memnon conduifit à Troye dix mille Perfans, & autant d'Ethiopiens, avec un grand nombre de chariots. Il étoit parti, felon Paufanias, non du fond de l'Ethiopie, mais de la ville de Sufe en Perfe, & des bords du fleuve Choafpes; & fon voyage étoit fi sûr que les Phrygiens montroient encore du temps de cet Auteur, la route qu'il avoit tenue, fes marches, & fes divers campemens. Nous apprenons le même fait de la plupart des Anciens, & en particulier de Diodore de Sicile, de Quintus Smyrneus, & d'Aufone. Ce Prince fe diftingua d'abord par fa bravoure, & fit un grand carnage de tous les Grecs qu'il rencontra. Il tua Antiloque qui étoit accouru au fecours de fon pere Neftor, prêt à fuccomber sous fes coups, & lui fauva la vie aux dépens de la fienne. Homere qui ne parle point de Memnon dans fon Iliade, comme je l'ai déja remarqué, n'a pas oublié ce trait d'Hiftoire dans fon (1) Odyf. Odyffée (1).Ce Poëte après avoir dit que le difcours deMenelas au fujet d'Ulyffe avoit fait répandre des larmes à tous ceux qui étoient presens, ajoute: Le fils du Sage Neftor Pyfiftrate ne demeura pas feul infenfible;fon frere Antiloque,que le vaillant fils de l'Aurore avoit tué dans le combat, lui revint dans l'efprit, & à ce fouvenir, le vifage baigné de larmes, il dit à Menelas, &c.

L. 4. v. 187.

Neftor inconfolable de la mort de fon fils, qui s'étoit si généreusement dévoué pour lui, engagea Achille de le venger; & ce jeune Heros ayant attaqué Memnon, le tua enfin après un rude combat, que Quintus Smyrneus décrit dans un grand détail. On lui fit de fuperbes funerailles. Selon quelques Anciens, on porta fes cendres en Perfe, pour confoler fon pere qui vivoit encore (a), quoiqu'il foit plus vraifemblable que fon corps fut brûlé, & fes cendres mises dans un tombeau fur le rivage de Troye; & que le tombeau que Strabon dit qu'il avoit dans le Sufiane, n'étoit qu'un simple Cenotaphe qu'on y avoit élevé à fon honneur. Ce combat

(a) La mort d'Antiloque & le combat de Memnon avec Achille, font représentés dans la Table Iliaque, & l'étoient auffi, felon Paufanias, fur un ouvrage de Bathycles.

d'Achille avec Memnon n'avoit pas été oublié par Polygnote, ainfi que le rapporte Paufanias.

liv. 13.

(z) Liv. s.

Il arriva peut-être que pendant la céremonie de fes funerailles, quelques oifeaux paffagers qui venoient en ce tempslà en Phrygie, s'arrêterent en cet endroit; ce qui fit publier par quelques flatteurs, qu'ils étoient fortis de fes cendres (1), (1) Ovid. & on les nomma depuis les Memnonides. Elien (2) dit que ces oiseaux étoient noirs, faits à peu près comme des Eper- des Anim. viers, qui venoient tous les ans en Automne du pays de Cyfique, fur la montagne où étoit le tombeau de ce Prince; qu'ils fe divifoient en deux bandes, fe battoient, & que les victorieux s'en retournoient après le combat. Pline ajoute (3), (3) L. 2.c.z6. qu'il y a plufieurs Auteurs qui affûrent la même chofe ; & fi

nous en croyons Cremutius (4), ils faifoient tous les cinq ans (4) Apud le même manege en Ethiopie, prés du lieu où étoit le Palais Plin. loc. cit. de Memnon. Paufanias, Solin, & quelques autres, en parlent auffi. Le premier, après avoir dit que Polygnote avoit représenté sur le beau tableau, dont le fujet étoit la prise de Troye, ces oifeaux, qu'on ne nommoit pas autrement que les oiseaux de Memnon, prétend que ceux qui habitoient les côtes de l'Hellefpont affûroient que tous les ans à jour précis, ils venoient balayer un certain espace autour du tombeau de ce Prince, où l'on ne laiffoit croître ni arbre, ni herbe, & qu'enfuite ils l'arrofoient avec leurs ailes, qu'ils alloient exprès tremper dans l'eau du fleuve Efopus.

Ce qu'on publioit de la Statue de ce Prince, qu'on voyoit à Thebes en Egypte, n'eft pas moins merveilleux (a): on difoit que lorfque les rayons du Soleil venoient à la frapper, elle rendoit un fon harmonieux.Strabon,Auteur très-judicieux, dit avoir été témoin lui-même de cette merveille, ce qu'on ne peut attribuer que, ou à la qualité de la pierre dont elle étoit faite, ou aux fupercheries des Prêtres, ou plutôt à quelque reffort fecret que le fçavant Pere Kirker dit, après Paufanias, avoir été une espece de Clavecin renfermé dans la Statue, & dont les cordes relâchées par l'humidité de la

(a) Voyez Paul. in Attic. Strabon, Pline, Tacite, Lucien, Philoftrate, Tzetzès,&c. Rrr iij

in attic.

nuit, fe tendoient enfuite à la chaleur du Soleil, & fe rom(1) Paufan. poient avec éclat, faifant (1) un bruit femblable à celui d'une corde de viole qui fe rompt. Cambyfe qui n'avoit pas épargné le boeuf Apis des Egyptiens, voulant s'éclaircir de ce myftere, & y foupçonnant de la magie, fit brifer cette Statue depuis la tête jufqu'au milieu du corps.

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Mais il eft néceffaire d'obferver que les Anciens varient tellement au fujet de cette Statue, qu'on ne fçauroit auquel (2) Liv, 17. s'arrêter; si Strabon(2),Auteur, témoin oculaire, & qui ne cherche point à en impofer, ne nous apprenoit qu'il l'avoit vûe lui-même & entendu le bruit qu'elle faifoit. « J'étois, dit-il, » avec Ælius Gallus, & avec une troupe d'amis, lorfque confiderant le Coloffe, nous entendions un certain bruit, fans pouvoir affûrer toutefois, s'il venoit de la Statue, ou de la base, , ou s'il venoit de quelqu'un des affiftans: car je croirois plutôt toute autre chofe, que d'imaginer que des pierres » arrangées de telle ou telle maniere, puiffent rendre un pa❤reil fon».

A l'autorité de ce fçavant Géographe, on pourroit joindre celle de Paufanias, qui dans fon voyage d'Egypte, vit les triftes reftes de cette Statue, que Cambyfe avoit fait brifer. La partie inferieure de ce Coloffe, dit-il, étoit encore fur fon pied d'eftal, pendant que le reste du corps étoit renversé à terre, & faifoit tous les matins au lever du Soleil le bruit (3) L. 36 c.7. dont on vient de parler. Pline (3), à la vérité, ainsi que Taci(4) Arn.1 2. te(4),avancent le même fait,mais fans en avoir été témoins ; & (5) In Toxi. Lucien (5) nous apprend que Démétrius alla exprès en Egypte, pour y voir les Pyramides, & la Statue de Memnon, de laquelle fortoit une voix au lever du Soleil, Ce que le même Auteur ajoute dans le Dialogue du faux Prophete, ne paroît qu'une raillerie; « Lorfque, dit-il, j'étois dans ma jeunesse en Egypte, j'eus envie d'aller voir la merveille qu'on publicit » de la Statue de Memnon, qu'elle rendoit un certain fon » au lever du Soleil ; & je l'entendis ce fon, non comme les » autres, qui n'entendent qu'un vain bruit, puifque Memnon » lui-même rendoit un Oracle en fept ans,que je rapporterois, fije ne jugeois la chose inutile »,

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Quoiqu'on voye bien que Lucien badine en cet endroit, il eft vrai cependant qu'on a cru que la Statue dont nous parlons, rendoit des Oracles.

Ceux qui ont lû les Poëtes fçavent combien on a mis de broderie fur l'article de la mort de Memnon. On voit dans leurs Ecrits, tantôt les Dieux en plein confeil, ne fçavoir que refoudre, & fe déterminer enfin à la mort de ce Prince : tantôt l'Aurore en dueil refufer au monde fa lumiere, jusqu'à ce que Jupiter l'eût déterminée à reprendre fes fonctions ordinaires, &c.

Si l'on demande d'où vient que Tithon fon pere, ayant demandé à l'Aurore fon époufe de vivre plufieurs fiécles, & s'ennuyant enfin des infirmités de la vieilleffe, fouhaitta d'être changé en Cigale, ce qui lui fut accordé : je réponds que cela veut dire en bon françois , que Tithon vécut très-long-temps, & qu'il fut peut-être, à l'exemple des autres vieillards, fi grand parleur, & fi grand babillard, qu'on le compara à la Cigale; ou plutôt on compofa cette fable, pour foutenir la fiction de fon intrigue avec l'Aurore; car la Cigale fe nourrit de la rofée, qui tombe au lever de l'Aurore: ou bien, fi l'on veut, c'eft que ce Prince affoibli par fon grand âge, avoit fouvent recouvré fes forces par les remedes qu'on lui donna ; ce qui le fit comparer à la Cigale qui change de peau & reprend fes forces, que fon chant éternel & la chaleur du Soleil lui font perdre.

On ne trouve pas moins de varieté dans les Anciens & dans les Modernes fur Memnon que fur fa Statue. Comme Hefiode avoit dit qu'il étoit Roi de Thebes, les Auteurs Grecs qui vinrent dans la fuite, loin d'examiner fi ce que difoit ce Poëte avoit quelque fondement dans la chronologie & dans l'Hiftoire d'Egypte, l'adopterent fans restriction. Paufanias, Strabon, Diodore en parlent comme Pindare & Ovide. Il leur fuffifoit de fçavoir qu'Hefiode avoit dit que Memnon étoit fils de Tithon frere de Laomedon, pour débiter que ce Prince n'avoit pas manqué de l'envoyer au fecours de Priam fon neveu. Que fi ces mêmes Auteurs le font Roi d'Ethiopie, quoiqu'Hefiode dife qu'il étoit Roi d'Egypte, c'est

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