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c'étoit de fe laiffer trop entraîner au penchant qu'il avoit à l'amour. Quand il aimoit une Dame, il étoit trop ardent à la pourfuite de fes faveurs, & quoique naturellement honnête homme, il étoit capable alors de violer les droits les plus lacrés, pour obtenir l'accompliffement de fes defirs. Il fit réflexion qu'il ne pourroit parvenir au but qu'il fe propofoit, fans le fecours de la Dame Marcelle ; & il réfolut de ne rien épargner pour la mettre dans fes intérêts. Il jugea que cette Duegne, toute févere qu'elle paroiffoit, ne feroit point à l'épreuve d'un préfent confidérable; & il n'avoit pas tort de faire un pareil jugement: s'il y a des Gouvernantes fideles, c'eft que les Galans ne font pas affez riches, ou affez libé

raux.

D'abord que la Dame Marcelle fut arrivée, & qu'elle apperçut les trois perfonnes à qui elle en vouloit, il lui prit une fureur de langue; elle dit un million d'injures au Comte & à la Chichona, & fit voler la reftitution à la tête du valet de chambre. Le Comte effuya patiemment cet orage, & fe mettant à genoux devant la Duegne, pour rendre la fcene plus touchante, il la preffa

preffa de reprendre la bourfe qu'elle 1 avoit jettée, & lui offrit mille pistoles de furcroît, en la conjurant d'avoir pitié de lui. Elle n'avoit jamais vû folliciter fi puiffamment fa compaffion, auffi ne fut-elle pas inexorable. Elle eut bien-tôt quitté les invectives, & comparant en elle-même la fomme proposée, avec la médiocre récompenfe qu'elle attendoit de Don Luis de Cefpedes, elle trouva qu'il y avoit plus de profit à écarter Léonor de fon devoir, qu'à l'y maintenir. C'est pourquoi, après quel ques façons, elle reprit la bourse, accepta l'offre de mille piftoles, promit de fervir l'amour du Comte, & s'en alla fur le champ travailler à l'exécution de fa promeffe.

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Comme elle connoiffoit Léonor pour une fille vertueufe, elle fe garda bien de lui donner lieu de foupçonner fon intelligence avec le Comte, de peur/ qu'elle n'en avertît Don Luis fon pere; & voulant la perdre adroitement, voici de quelle maniere elle lui parla à fon retour: Léonor, je viens de fatisfaire mon esprit irrité. J'ai trouvé nos trois fourbes. Ils étoient encore tout étourdis de votre courageufe retraite. J'ai menacé la Chichona du reffentiment de Tome I.

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votre

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votre pere & de la rigueur de la Juftice, & j'ai dit au Comte de Belflor toutes les injures que la colere a pû me fuggérer. J'efpere que ce Seigneur ne formera plus de pareils attentats, & que fes galanteries cefferont deformais d'occuper ma vigilance. Je rends graces au Ciel, que vous ayez, par votre fermeté, évité le piége qu'il vous avoit tendu. J'en pleure de joie. Je fuis ravie qu'il n'ait tiré aucun avantage de fon artifice; car les Grands Seigneurs fe font un jeu de féduire de jeunes perfonnes. La plupart même de ceux qui fe piquent le plus de probité, ne s'en font pas le moindre fcrupule; comme fi ce n'étoit pas une mauvaise action que de deshonorer des familles. Je ne dis pas abfolument que le Comte foit de ce caractere, ni qu'il ait envie de vous tromper, il ne faut pas toujours juger mal ne fon prochain. Peut-être at'il des vues légitimes. Quoiqu'il foit d'un rang a prétendre aux premiers partis de la Cour, votre beauté peut lui avoir fait prendre la réfolution de vous époufer. Je me fouviens même, que dans les réponses qu'il a faites à mes reproches, il m'a laiffé entrevoir cela.

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Que dites-vous, ma bonne, inter rompit Léonor? S'il avoit formé ce deffein, il m'auroit déjà demandée à mon pere, qui ne me refuferoit point à un homme de fa condition. Ce que vous dites eft jufte, reprit la Gouvernante; j'entre dans ce fentiment. La démarche du Comte eft fufpecte; ou plutôt fes intentions ne fçauroient être bonnes. Peu s'en faut que je ne retourne encore fur mes pas pour lui dire de nouvelles injures. Non, ma bonne, repartit Léonor, il vaut mieux oublier ce qui s'eft paffé, & nous venger par le mépris. Il est vrai, dit la Dame Marcelle, je crois que c'eft le meilleur parti. Vous êtes plus raifonnable que moi; mais d'un autre côté ne jugerions-nous point mal des fentimens du Comte? Que fçavons-nous s'il n'en ufe pas ainfi par délicateffe? Avant que d'obtenir l'aveu d'un pere, il veut peutêtre vous rendre de longs fervices, méri ter de vous plaire, s'affurer de votre coeur, afin que votre union ait plus de charmes. Si cela étoit, ma fille, feroit-ce un grand crime que de l'écouter? Découvrez-moi votre pensée. Ma tendreffe vous eft connue. Vous fentez-vous de l'inclination pour le Com

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te?

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te? Ou auriez-vous de la répugnance à l'époufer?

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A cette malicieufe queftion, la trop fincere Léonor baiffa les yeux en rougiffant, & avoua qu'elle n'avoit nul éloignement pour lui: mais, comme fa modeftie l'empêchoit de s'expliquer plus Ouvertement la Duegne la preffa de nouveau de ne lui rien déguifer. Enfin elle fe rendit aux affectueufes démonftrations de la Gouvernante: mabonne, lui dit-elle, puifque vous voulez que je vous parle confidemment, apprenez que Belflor m'a paru digne d'être aimé. Je l'ai trouvé fi bien fait, & j'en ai oui parler fi avantageufement, que je n'ai pû me défendre d'être fenfible à fes galanteries. L'attention infatigable que vous avez à les traverfer, m'a fouvent fait beaucoup de peine & je vous avouerai, qu'en fecret je l'ai plaint quelquefois, & dédommagé par mes foupirs, des maux que votre vigilance lui fait fouffrir. Je vous dirai même, qu'en ce moment, au lieu de le haïr après fon action téméraire, mon coeur malgré moi, l'excufe, & rejette fa faute fur votre févérité.

Ma fille, reprit la Gouvernante, puifque vous me donnez lieu de croire que

fa

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