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que rien n'a été capable d'effacer. On ne fçauroit nier par exemple, que le fouvenir du Deluge univerfel, confervé chez tous les Peuples, n'ait contribué à embellir celui de Deucalion; qu'on ne fe foit fervi de quelques circonftances de l'Hiftoire de Noé, dans celle de Saturne & de fes enfans, qui vivoient peu de temps après; fur-tout pour ce qui regarde le partage du monde, ainfi que de quelques autres; mais de vouloir tirer le denouement de prefque toutes les Fables, de l'abus prétendu des Livres de Moyfe, c'est vouloir s'aveugler.

cit.

En effet croira-t'on aifément que les métamorphofes de Protée, n'ont été inventées que fur ce que l'Ecriture dit de la Verge de Moyfe (1)? Que Mercure n'a paffé pour être le (1) Voyez Meffager des Dieux & le confident de leurs amours, que M. Huet. loc. parce que la curiofité de Chanaan lui attira la malediction de Noé (2)? Que l'Hiftoire des Mufes n'a d'autre fondement (2) Boch. que la corruption du nom de Moyfe; & qu'on ne leur attri- Phaleg. 1. 1. bua l'invention de la Danfe & de la Mufique, que parce que Marie, que les Grecs appellerent peut-être Moufa, chanta un Cantique en danfant (3)? Que la Fable qui dit que Mer-, (3) Huet. cure conduifoit les ames en enfer, eft fondée fur ce que Moyfe fit engloutir Dathan & Abiron (4)? Qu'Eurifthée per- (4) Id. Ibid. fécutant Hercule, c'eft Moyfe faifant agir Jofué? Que Vulcain tombant du ciel, eft Moise descendant de la montagne? Que le combat d'Hercule avec Acheloüs, est le paffage du Jourdain ? Que Promethée detaché du Mont-Caucafe par Hercule, c'eft Moyfe priant fur la montagne pendant

loc.cit.

1.7.

(7) Tobie.'

ch.

que Jofué defait les Amalecites (5)? S'il étoit permis de (5) Id. Ibid. profiter des moindres reffemblances, je dirois auffi que le chien qui reconnut Ulyffe à fon retour en Ithaque (6), eft (6) Odyss. le même que celui de Tobie qui careffa fon jeune Maître à fon retour de la maifon de Raguel (7): Que le discours que tint Achille à fon Cheval (8), eft une imitation de la converfation de Balaam, avec fon âneffe (9). Que l'expedi- (9) Num. 24. tion des Argonautes, eft une Relation bigarrée des voyages d'Abraham, & de ceux des Ifraelites dans le defert (10): Que l'hiftoire de Philemon & de Baucis, eft celle d'Abraham & de Sara; ou de Lot & de fa femme (11): Que la Fable de

Gij

(8) Iliad. 1.19.

(10) Conf. T. 1. p. 155. (1) Idem.

de la Fable

T. 2. P. 47.

(1) Id.T. 2.

P. 19.

(2) Id. T. 2.

P. 151.

Niobé, eft la copie des malheurs de Job (1): Celle de Lao medon, & des Dieux qui bâtiffent Troye, l'hiftoire de Laban & de Jacob (2): Que l'hiftoire d'Orion, eft tirée de celle de Jacob & de Sara; ainfi qu'une infinité d'autres que je pourrois citer; c'eft ce qui eft bien difficile à prouver.

D'ailleurs fi le rapport eft ft parfait entre les Heros de la Bible & ceux de la Fable, pourquoi nos plus célebres Auteurs font-ils fi differents entre eux ? Pourquoi, felon Bochart, Mercure eft-il le même que Chanaan, & felon M. Huet, le même que Moyfe? Pourquoi l'un dit-il, qu'Hercule eft Samfon & l'autre que c'eft Jofué? L'un que Noé eft Saturne, & l'autre que c'eft Abraham? Cette varieté d'opinions n'eft pas une petite preuve contre le fentiment de ces Sçavans modernes : auffi faut-il avouer que quelque étudiés que foient les paralleles dont leurs Livres font remplis, il s'y trouve toujours des chofes bien gratuites, pour ne rien dire de plus. Je voudrois bien voir un Sçavant qui, en examinant les Annales de la Chine, trouveroit beaucoup de reffemblance dans le nom, dans l'humeur & dans les actions d'un de leurs Empereurs, avec un de nos Rois de France, s'il feroit bien reçu à dire que ce Roi de France a été Empereur de la Chine, ou que le Prince Chinois a été Roi de France.

Il n'eft rien de fi arbitraire que les Etymologies des noms qu'on peut fouvent lire, & qu'on peut toujours interpreter à fa fantaifie. Je veux croire qu'Orphée & quelques autres ont fait des voyages en Egypte, du temps même que les Ifraëlites y habitoient; mais je fçais bien auffi qu'ils s'y inftruifirent bien plus dans la funefte science de la Magie, ou du moins dans les vaines fuperftitions de ce Peuple idolatre, que dans la connoiffance du vrai Dieu, quoi qu'en ayent penfé plufieurs (3) Cohort Sçavans après S. Juftin (3); & d'ailleurs, il ne nous refte rien de cet Orphée, quel qu'il foit. De quoi s'inftruisent, je vous prie, ceux qui voyagent dans quelque pays, fi ce n'eft de fa Religion, de fes Loix, & de fes Coûtumes? Ne confultentils pas plutôt leurs Prêtres & leurs Docteurs, que ceux d'un peuple captif, hai, perfecuté, & d'ailleurs peu porté à reveler fes myfteres aux Etrangers? Je ne nie pas à la verité, que ces anciens Poëtes n'ayent connu plufieurs verités, comme,

ad Græcas.

(2) Idem, Ibid.

l'unité de Dieu, l'immortalité de l'ame, les peines de l'Enfer, les recompenfes du Paradis; verités qui malgré l'attirail de fictions dont ils les ont ornées, brillent dans plusieurs endroits de leurs Ouvrages: mais croira-t-on qu'ils les ayent puifées dans nos divines Ecritures? Ne font-ce pas plutôt ces précieux reftes de la Tradition, que rien ne peut effacer; des étincelles de la raifon & de la lumiere naturelle, & qui font, comme dit Tertullien, le témoignage d'une ame naturellement Chrétienne? Teftimonium anima naturaliter Chriftianæ (1). (1) Tert. de En un mot c'étoient ces divines femences des verités teft. anima. éternelles, qui étoient reftées dans le fond du coeur de l'homme, de fon ancien état d'innocence, & dont Dieu étoit l'auteur auffi bien que des Livres faints. Non multum refert an à Deo formata fit anime confcientia, an litteris Dei? (2) On peut ajouter que les Fables ayant pris naiffance peu de fiecles après le Déluge, temps auquel les Traditions des choses même arrivées avant Noé, étoient encore affez recentes, il y a bien de l'apparence que ceux qui les fuivirent ne manquerent pas d'adopter quelques traits de ces anciennes verités; ainfi le Chaos, le Siecle d'or, & tant d'autres Fables, font copiées d'après ce que raconte Moyfe de la création de l'état d'innocence, & de cette communauté où vivoient les premiers hommes. Mais pour ce qui eft de ces rapports infinis que le Pere Thomaffin (3), & après lui l'Auteur de (3) Lect. dos Homere Hebraifant, trouvent à chaque page entre les Livres de Moyfe & ceux de cet ancien Poëte, je crois qu'il n'en ont vu un fi grand nombre, que par la difpofition favorable où ils étoient de les y appercevoir. Laiffons donc à la Grece fes Heros & fon Heroïfme, & contentons-nous de dire que s'il y a quelques Fables qui doivent leur origine à l'abus que les Payens ont fait de l'Écriture Sainte & de la Tradition, le nombre n'en eft pas fi grand qu'on le croit communément.

On ne fçauroit nier à la verité que Sanchoniathon n'ait fais allufion à l'Hiftoire des premiers hommes, quoiqu'il l'air entiérement defigurée, comme j'efpere de le faire voir lors qu'il fera queftion du Fragment de cet Autheur qu'Eufebe nous en a confervé; mais cet Ecrivain qui vivoit avant, ou peu après

Poëtes.

Onziéme

fource. L'i gnorance de Hiftoire ancienne.

la guerre de Troye, & qui n'a été connu dans la Grece que par la traduction de Philon de Byblos, faite au temps d'Hadrien, a-t'il été le Precepteur d'Hefiode & d'Homere, dans lefquels on trouve tout le fond de la Mythologie Grecque ? Il est vrai encore que les Grecs ont tiré la connoiffance de leurs Dieux, des Pheniciens & des Egyptiens, par les Colonies qui leur arriverent de ces deux Pays; mais l'Hiftoire des Patriarches devoit être bien obfcurcie du temps d'Inachus, de Cecrops & de Cadmus, l'Idolatrie étant alors repandue dans l'Orient depuis plufieurs fiecles. Difons cependant qu'on ne manquera pas dans l'occasion, de rapporter le fentiment de ces Sçavans, afin que le Lecteur, qu'on cherche à inftruire dans cet Ouvrage, fans vouloir le contraindre de fuivre un fentiment plutôt qu'un autre, puiffe être en état de juger lui même quel parti il doit prendre.

Une fource plus feconde & plus favorable à l'introduction des Fables, c'eft l'ignorance de l'Hiftoire ancienne, & de la Chronologie. Comme on ne commença que fort tard, furtout dans la Grece, à avoir l'usage des Lettres, il fe passa plu fieurs fiecles, pendant lefquels le fouvenir des évenemens remarquables, ne fut confervé que par Tradition, ou tout au plus par quelques Monumens qui devenoient dans la suite fort équivoques. Lors même qu'on commença à fe fervir de l'Ecriture, on n'écrivit pas d'abord des Hiftoires fuivies ; on compofa des Eloges, des Cantiques, & quelques Genealogies remplies de Fables, qui furent dreffées par les foins (1) Voyez le des Prêtres, ainsi qu'on l'a déja infinué (1); en forte qu'on ne par tout que confusion; & même quand on vouloit un peu approfondir ces Hiftoires anciennes, après qu'on étoit remonté jufqu'à trois ou quatre generations, on se trou voit dans le labyrinthe de l'Histoire des Dieux, où l'on rencontroit toujours Jupiter, Saturne, le Ciel, & la Terre. Les Grecs fur-tout, ne fçavoient rien de plus fur leur origine; c'étoit -là qu'aboutiffoit toute leur Tradition, même parmi les plus raisonnables car les autres publioient bonnement leurs Ancêtres étoient fortis de terre comme des champignons, ou des fourmis de la forêt d'Egine (a), ou des dents

premier Chapitre.

trouvoit

que

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fer

du Dragon de Cadmus. Cependant comme ils vouloient pafpour anciens, ainfi que la plupart des autres peuples, ils fe forgeoient une Hiftoire fabuleufe, des Rois imaginaires, des Dieux, & des Heros qui ne furent jamais : & lors qu'ils vouloient parler des premiers temps dont il avoient reçû quelque connoiffance des Colonies qui étoient venuës s'établir dans leur pays, ils ne faifoient que fubftituer des Fables à la verité. S'il étoit queftion de la création du monde, ils debitoient celle du Cahos s'agiffoit-il des premiers inventeurs des Arts, au lieu d'Adam & de Cain, qui ont les premiers cultivé la terre, ils en donnoient tout l'honneur à Cerès & à Triptoleme. Pan, felon eux, au lieu d'Abel, étoit le premier qui avoit mené la vie pastorale: Apollon étoit l'inventeur de la Mufique, qu'on doit attribuer à Jubal: Vulcain avec fes Cyclopes, paffa pour celui qui avoit appris à forger le fer & les métaux, au lieu de Tubulcaïn: Bacchus fut chez eux le Dieu de la Vigne, que Noé cultiva : substituant ainfi à tous propos leurs Divinités modernes, à la place des anciens Patriarches, que l'Ecriture Sainte nous apprend avoir été les premiers & les veritables inventeurs des Arts. Ils étoient de vrais enfans, comme le leur reproche Ariftote, lors qu'il s'agiffoit de parler des temps éloignés. Ils avoient même la folie de croire que c'étoient leurs colonies qui avoient peuplé tous les autres pays, & ils tiroient les noms des differents pays qu'ils connoiffoient, de ceux de leurs Heros. Ainfi l'Europe prenoit le fien d'Europe, foeur de Cadmus ; l'Asie, de la mere de Promethée; la Libye, de la fille d'Epaphe; l'Arménie, d'Arménus; la Medie, de Medus; les Perfes, de Perfée; ainfi des autres, ne fçachant pas que les premiers noms étoient donnés aux lieux où l'on venoit habiter, conformément aux qualités du pays, ou aux mœurs & coûtumes de ceux qui y arrivoient, comme le prouve le fçavant Bochart (1). Ainfi l'Europe, prit ce nom de la blan- (1) Dans fon cheur de ses habitans; les Celtes, furent ainfi nommés à caufe de leur cheveux blonds; les Latins, parce qu'ils étoient adonnés à la magie; les Leftrigons, à caufe de leur ferocité; les Cretois, par leur adreffe à tirer de l'Arc; les Thraces, par leur nobleffe. Quelquefois aussi le grand nombre

Chan,

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