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répondit à ce difcours, craignant la fureur de AN. 577. la Reine, qui pouffoit cette affaire. Comme ils étoient en filence, Gregoire de Tours dit : Soiez attentifs à mes difcours, faints Evêques, vous particulierement qui approchez du Roi avec plus de familiarité. Donnez-lui un confeil digne de vous: de peur qu'il n'attire la colere de Dieu, s'emportant contre un de fes miniftres, & qu'il ne perde fon roiaume & fa gloire. Et comme ils gardoient toûjours le filence, il ajoûta Souvenez-vous de la parole du ProExech. phete, qui dit : Si la fentinelle voit le peché de XXXIII. l'homme, & ne l'avertit pas, il eft coupable de la perte de fon ame. Puis il leur apporta l'exemSap, liv. XXXII. n. ple recent de Clodomir. qui n'eut point d'égard à la remontrance.de faint Avit, pour épargner Sigifmond; & l'exemple plus ancien de l'EmpeSup. liv. reur Maxime, qui contraignit faint Martin, XVIII. . communiquer aux Itaciens.. A tout cela les Evêques ne répondirent rien, tant ils étoient étonnez & interdits. Mais il y en eut deux qui pour flater le Roi, lui allerent dire, qu'il n'y avoit perfonne plus oppofé à ses interêts que Gregoire..

6.

1.

59.

de

Auffi-tôt Chilperic l'envoia querir par un de fes courtisans. Gegoire le trouva debout auprès d'un cabinet de feuillées, aiant à fa droite Bertran Evêque de Bourdeaux, & à fa gauche Ragnemode Evêque de Paris. Il y avoit devant eux un banc couvert de pain & de diverfes viandes. Le Roi aiant apperçu Gregoire, fui dit: Evêque, vous devez juftice à tout le monde, & je ne la puîs avoir de vous : mais vous favorifez l'injuftice, & vous accompliffez le proverbe, que jamais corbeau n'arrache l'œil du corbeau. Gregoire répondit: Si quelqu'un de nous s'écarte du chemin de la justice, vous pouvez, Seigneur, le corriger : mais fi vous

vous égarez, qui vous ramenera ? Nous vous parlons, vous nous écoutez fi vous voulez : fi An. 577. vous ne voulez pas, qui vous condamnera, finon celui qui a dit, qu'il eft la Juftice? Le Roi lui répondit en colere: Tous les autres me font juftice, il n'y a que vous qui me la refufez. Mais je fçai bien ce que je ferai, pour vous décrier parmi le peuple, & faire connoître à tout le monde vôtre injuftice. J'affemblerai le peuple de Tours, & je leur dirai : Criez contre Gregoire, qui ne fait juftice à perfonne puis quand ils crieront ainfi, je leur répondrai: Moimême, tout Roi que je fuis, je n'en puis avoir juftice. Si je fuis injufte, reprit Gregoire, celui-là le fçait, qui connoît le fecret des cœurs. Pour ces cris du peuple, on fçaura bien les aurez excitez, & ils vous nuiront plus qu'à moi. Mais à quoi fert tout ce difcours, vous avez la loi & les canons, examinez-les ; & fi vous ne les obfervez, fçachez que le jugement de Dieu vous menace.

que vous

Alors le Roi voulant l'adoucir, lui montra un potage qu'on avoit mis devant lui, & dit : Je l'ai fait préparer pour vous. Il n'y a que de la volaille, & quelque peu de pois chiches. Il faut croire que Gregoire, comme la plupart des faints Evêques, vivoit ordinairement de legumes, & mangeoit plûtôt de la volaille que de la groffe viande, comme moins nourriffante. Voiant done que le Roi vouloit le flater, il dit: Nôtre nourriture doit être de faire en toute occafion la volonté de Dieu, fans nous arrêter à ces délices. Mais vous qui accufez les autres d'injuftice, promettez de ne point transgreffer la loi, ni les canons. Le Roi étendit la main, & en jura par le Dieu Tout-puiffant. Puis Gregoire prit du pain & du vin, & fe retira.

La nuit, après que l'on eut chanté les noctur

nes,

nes, Gregoire entendit frapper rudement à fa porte. Il envoia ouvrir, c'étoit des gens de la part de Fredegonde, qui venoient le prier de ne lui être point contraire, & lui promettoient deux cens livres d'argent, s'il faifoit condamner Pretextat difant qu'ils avoient déja parole de tous les autres Evêques. Gregoire répondit : Quand vous me donneriez mille livres d'or & d'argent: puis-je faire autre chofe que ce que Dieu commande? Je vous promets feulement de fuivre ce que les autres ordonneront felon les canons. Les envoiez de Fredegonde n'entendant pas ce qu'il vouloit dire, le remercierent & fe retirerent. Le matin quelques Evêques le vinrent trouver, pour lui faire une femblable propofition, & il leur répondit de même.

XXXIII. Quand ils furent affemblez dans l'Eglife de Seconde faint Pierre, le Roi s'y trouva dès le matin, & féance. leur dit : Un Evêque convaincu de larcin doit être déposé suivant les canons. Ils demanderent qui étoit l'Evêque accufé de larcin. Le Roi répondit: Vous avez vu les chofes qu'il nous a dérobées. En effet, il leur avoit montré trois jours auparavant deux balots pleins de diverfes chofes précieuses, eftimez plus de trois mille fous d'or; & un fac qui en contenoit en efpeces environ deux mille difant que tout cela lui avoit été pris par Pretextat. Je crois, dit Pretextat, que vous vous fouvenez, que quand la Reine Brunehaut partit de Rouen, je vins vous trouver, & vous dis, que j'avois en dépôt cinq balots de fes meubles que fes gens venoient fouvent me les redemander, & que je ne voulois pas les rendre fans vôtre ordre. Vous me dites: Rendez à cette femme tout ce qui lui appartient, de peur que ce ne foit une cause d'inimitié, entre mon neveu Childebert & moi. Etant donc de retour à Rouen, je rendis un ba

lot

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lot aux gens de Brunchaut: car ils n'en pouvoient porter davantage. Ils revinrent demander AN. 577. les autres je vous confultai encore, vous me dîtes : Défaites-vous, défaites-vous de tout cela, de peur que ce ne foit une cause de scandale. Je leur donnai encore deux balots, les deux autres font demeurez chez moi. Pourquoi donc me calomniez-vous maintenant, en m'accufant de larcin, lorsqu'il ne s'agit que d'un dépôt ? Le Roi repartit: Si c'étoit un dépôt, pourquoi avez-vous ouvert un de ces balots, & mis en pieces un drap d'or, pour le donner à des gens qui me vouloient chaffer de mon roiaume? Je vous ai déja dit, reprit Pretextat, qu'ils m'avoient fait des prefens, & que n'aiant pas en main dequoi leur donner, j'en ai pris de là: comptant pour mien ce qui étoit à mon fils Merouée, que j'ai levé des fonts de baptême.

Le Roi Chilperic fe retira confus, & appellant quelques-uns de fes confidens, il leur dit : Je fçai que l'Evêque dit vrai, mais que ferai-je pour contenter la Reine? Puis il ajoûta: Allez lui dire, comme de vous-mêmes: Vous fçavez que le Roi Chilperic eft bon, & qu'on le porte aifément à pardonner. Humiliez-vous devant lui, & dites que vous avez fait ce qu'il vous repro1 che. Alors nous nous jetterons tous à fes pieds, & nous obtiendrons vôtre pardon. Pretextat féduit par ce difcours, promit de faire ce qu'on lui propofoit. Le lendemain les Evêques étant affemblez au même lieu, le Roi dit à Pretextat : Si vous ne faifiez des prefens à ces gens-là que par reconnoiffance, pourquoi leur avez-vous demandé de jurer fidelité à Merouée ? Pretextat répondit: J'avoue que je leur ai demandé leur amitié pour lui, & fi j'avois pû j'aurois appellé à fon fecours, non-feulement un homme, mais un Ange du ciel: parce qu'il étoit, comme j'ai deja

deja dit, mon fils fpirituel par le baptême. Et AN. 577. comme la difpute s'échaufoit, Pretextat fe profterna à terre, & dit : J'ai peché contre le ciel & contre vous, Roi très-mifericordieux, je suis un homicide abominable, j'ai voulu vous faire mourir, & mettre vôtre fils fur vôtre trône, Le Roi de fon côté se profterna aux pieds des Evêques, en disant : Ecoutez, très-pieux Evêques, le crime execrable que confeffe l'accufé. Les Evêques les larmes aux yeux, releverent le Roi de terre. Il commanda que Pretextat fortît de l'Eglife, & fe retirât à fon logis.

Alors il envoia au concile un livre de canons, où l'on avoit ajoûté un nouveau cahier, contenant de pretendus canons des Apôtres, qui portoient : L'Evêque convaincu d'homicide, d'adultere & de parjure, doit être privé du facerdoce. Après cette lecture, comme Pretextat étoit tout étonné, Bertran de Bourdeaux lui-dit: Ecoutez, mon frere, puifque vous êtes dans la difcrace du Roi, vous ne pouvez avoir nôtre communion qu'il ne vous ait pardonné. Enfuite le Roi demanda, ou qu'on lui dechirât fa tunique, en figne de dépofition, ou que l'on recitât fur fa tête le Pfeaume cent huitiéme, qui contient les maledictions de Judas, ou que l'on écrivît contre lui une fentence d'excommunication perpetuelle. Gregoire refifta à ces propofitions, fondé fur la promeffe du Roi de ne rien faire, que fuivant les canons. Alors Pretextat fut enlevé de la prefence des Evêques, & mis en prison d'où s'étant échapé de nuit, il fut cruellement battu & relegué en une île de la mer près de Coutance, peut-être l'île de Jerfai. Greg. VII. Tel fut l'évenement de ce concile, dont Gregoihift.c. 16. ← 19. re de Tours nous a confervé le recit. A la place de Pretextat, on mit à Rouen Melanius, qui y V. Coint. demeura jufques à la mort de Chilperic. On croit

an. 577.

n.$6.42.

que

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