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le perfide Aga fans fonger à tenir la parole qu'il avoit donnée, ramena les Arabes, avec leur Chex, à Negade, où il les fit tous empaller ; ce qui a fi fort irrité cette Nation, qu'elle exerce maintenant toutes fortes de cruautez fur ceux qui tombent en leur puiffance; & pour ôter aux Turcs P'utilité qu'ils pourroient retirer de cette Mine,ils ont bouché prefque tous les Puits où l'on trouvoit des pierres fi précieuses. C'est ainsi que la perfidie de l'Aga a privé le Grand Seigneur fon Maître de l'utilité qu'il pouvoit retirer de cette découverte.

Le premier Avril fut remarquable, par deux accidens bien contraires. Le grand calme nous obligea d'abord à une manœuvre pénible, où en tirant le liban nous faifions très-peu de chemin, en travaillant beaucoup;

qui

brûle

Vent & un vent impétueux, qu'on nomme Samiel dans le païs, s'écomme tant mis à foufler quelque-tems du feu après, penfa nous couter la vie. Ce vent eft fi brûlant,& les tourbillons de fable qu'il enleve font fi dangereux, qu'on eft prefque feur d'en être étouffé, quand on fe rencontre à la campagne. Il n'eft pas fi dangereux fur le Nil › parce que fon ardeur eft alors un peu ralentie par l'humidité de l'eau. Il paffa cependant fur nôtre Barque un de ces tourbillons dont tout le monde fut incommodé ; la maladie du Pere François en redoubla, Moustapha & mon valet étoient comme rouez de fatigue ; j'étois le feul qui, avec une capote bien doublée fur le vifage, m'étois garenti d'un mal fi inévitable. Mais comme mes épaules n'étoient pas. couvertes, je fentis,à l'aproche de

ce

se tourbillon, une chaleur auffi grande que fi on m'eut touché avec du feu.

Le lendemain il nous fut impoffible d'avancer dans nôtre route, le vent nous étant entiérement contraire,ce qui ne me chagrina pas tant encore que les plaintes du Pere François, qui m'accufoit à tout moment de lui avoir confeillé un voiage fi périlleux dans le deffein de lui faire perdre la vie. Je tâchois de le confoler dans fon affliction; mais il s'opiniâtroit fi fort à ne vouloir rien prendre, que je crûs qu'il feroit impoffible de le tirer

delà.

Un fpectacle nouveau pour moi, & dont plusieurs naturaliftes ont parlé, peut-être fans en avoir été les témoins, fit tourner toute mon attention de ce côté

là. Je vis fur le bord du Nil de

A 4

gros

feaux

qui en

trent

des

- gros Crocodiles étendus fur l'ean, comme de grandes poutres, fans aucun mouvement. Un grand dans la nombre d'oiseaux, qui reffemgueule blent affez à des vaneaux & qui Croco- font prefque auffi gros, voloient diles. autour, & entroient de tems en tems dans leurs gueules. Dès qu'ils y avoient demeuré un peu de tems, les Crocodiles la fermoient, & la r'ouvroient un moment après pour les laiffer fortir. Je tirai un coup de fufil qui fit rentrer tous les Crocodiles dans l'eau, & les oiseaux s'en étant envolez, il en paffa quelques-uns près de nôtre Barque que je tuaj. On me dit là-deffus que ces oifeaux, qui ont en effet une pointe très-aiguë au bout des aîles piquent le Crocodile, quand ils fe trouvent enfermez, ce qui l'oblige à leur redonner la liberté. Ils fe nourriffent aparemment de

ce

ce qui refte entre les dents de cet animal, aiant dequoi fe garantir par leur piqure du danger qu'ils courroient fans ce fecours. C'est fans doute ces oiseaux dont parle Pline & qu'il nomme Trochilos. Beitar, auteur Arabe, en raconte la même chofe, fans les nommer. Quoiqu'il en foit, j'ai aporté des aîles de ces oifeaux, que j'ai eu l'honneur de prefenter à Monseigneur le Duc de Chartres, qui les conserve dans fon Cabinet, comme une des raretez des plus fingulieres. Le goût déclaré que ce jeune Prince a pour tout ce qu'il y a de curieux dans la nature, nous annonce déja qu'il marchera dignement fur les traces d'un Pere, aux connoiffances de qui il n'y a rien de caché.

Le vent aiant commencé fur le foir à être favorable, nous continuâmes nôtre route jufAs qu'à

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