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de Vou-tchang.

des troupes, c'est un ordre de l'empereur, tien à la campagne, à plus de cinquante lieues même. Attendons, lui répondis-je, le retour de l'exprès que j'ai envoyé, nous serons plus sûrement instruits. »

Cet exprès arriva le 28 novembre à l'un des rendez-vous que je lui avois marqués. Il m'apporta des lettres de Pékin, et des réponses fort détaillées des deux chrétiens auxquels j'avois écrit. Le père Parennin me mandoit qu'un officier tartare avoit présenté à l'empereur une accusation contre les chrétiens; qu'elle contenoit, entre autres choses, que des Européens étoient entrés secrètement dans les provinces, et s'y étoient cachés chez leurs disciples; qu'il étoit certain que l'empereur faisoit faire des recherches par les mandarins des lieux; que, si j'étois découvert, les suites en seroient funestes à la religion, et qu'il me conseilloit de me retirer à Canton ou à Macao, jusqu'à ce que cet orage fût dissipé; qu'alors je pourrois retourner comme à l'ordinaire dans ma mission.

Les lettres des deux chrétiens disoient la même chose, à cela près qu'ils ne croyoient pas que l'ordre fût venu immédiatement de l'empereur, mais seulement de la part d'un des premiers ministres de l'empire, qui en avoit été chargé par Sa Majesté, et que c'étoit par cette raison que les mandarins subalternes n'avoient pas donné par écrit cet ordre à leurs officiers, mais seulement de vive voix. Ils m'ajoutoient que l'église de Vou-tchang, dont les mandarins ne se sont pas encore emparés, a été exactement visitée, quoique le chrétien qui la garde ait un emploi dans le premier tribunal du gouverneur de la ville; que, sur ce qu'il nioit qu'il y eût aucun Européen caché dans l'église, comme en effet il n'y en avoit pas pour lors, ils l'avoient obligé de l'attester par écrit, et de signer que, si dans la suite il s'y en trouvoit quelqu'un, il en seroit lui seul responsable; qu'environ un mois auparavant, les mêmes chefs de quartier et les voisins avoient conféré longtemps ensemble, et avoient déclaré au gardien de l'église qu'il n'avoit qu'à prendre ses mesures, mais que, pour eux, ils alloient informer le mandarin de leurs soupçons; que, sur cela, le père Louis Segueira, jésuite portugais, qui y logeoit depuis longtemps, fut instamment supplié par le gardien de se retirer au plus tôt, ce qu'il fit sur l'heure, prenant sa route vers la partie méridionale de la province, où il alla se cacher chez un chré

Toutes ces nouvelles, mon révérend Père, me vinrent coup sur coup, et je vous laisse à penser quels furent mes sentimens. Après avoir adoré le Dieu des nations avec une humilité profonde, et avoir imploré son secours dans de si tristes conjonctures, j'appelai mes catéchistes, et je leur dis qu'il étoit du bien de la religion et des chrétiens que je me retirasse pour un temps; que cet orage s'apaiseroit peu à peu, surtout si les recherches qui se faisoient avec tant d'ardeur devenoient inutiles; qu'alors je viendrois les retrouver et travailler plus sûrement à leur sanctification. Ils me répondirent en pleurant que j'avois raison; que les chrétiens auroient de la peine à me recevoir chez eux, et à permettre qu'on y tint les assemblées qu'ils ne manqueroient pas de prétextes pour s'en excuser; el que pendant tout ce mouvement, non-seulement je ne pourrois faire aucun fruit, mais que j'exposerois les chrétiens à la plus rude persécution.

Il me falloit nécessairement aller à Hankeou et à Vou-tchang pour y trouver une barque propre à me conduire à Siang-tan, qui est à plus de cent lieues de Vou-tchang, car ma barque étoit trop foible et trop petite pour naviguer sur ces gros fleuves. Je risquois beaucoup dans ces deux endroits, parce qu'y ayant demeuré dix-sept ans, j'étois connu des officiers des tribunaux, où j'étois allé souvent rendre visite aux mandarins.

Grâce à la divine Providence, je trouvai à Han-keou la barque d'un chrétien, où j'entrai avec deux catéchistes. Je fis venir quelquesuns des principaux chrétiens, auxquels je communiquai les raisons de mon départ, en leur faisant espérer mon prochain retour; je les instruisis de la manière dont ils devoient se comporter avec les autres fidèles; je réglai l'impression et la distribution du calendrier pour l'année suivante; car vous savez; je crois, mon révérend Père, que tous les ans nous distribuons aux chrétiens un calendrier, où, suivant les lunes qui partagent l'année chinoise, sont marqués les dimanches, les fêtes et les jeûnes. Je passai le lendemain à Voutchang, où je vis le gardien de l'église, qui me confirma tout ce que les deux chrétiens m'avoient mandé.

Le batelier dont j'avois loué la barque, et

qui me connoissoit, me conduisit à cinquante lieues au delà de Siang-tan, jusqu'à une petite rivière, où il faut louer de petites barques. Il versa bien des larmes en me disant adieu, mais il lui échappa une civilité indiscrète, qui me mit en danger d'être reconnu pour Européen. Outre qu'en arrangeant mes paquets il fit paroître un zèle qui n'est pas ordinaire aux bateliers infidèles quand on quitte leur barque, il se mit à genoux en prenant congé de moi; je le relevai au plus vite, sentant bien l'impression que de semblables démonstrations. ne manqueroient pas de faire sur les infidèles qui en furent témoins. En effet, lorsqu'il fallut nous arrêter le soir à un bourg, selon la coutume, pour y passer la nuit sous un corps-degarde, mon domestique eut à essuyer diverses questions que lui fit le batelier, qui insistoit principalement sur les marques de respect qu'on m'avoit données, quoique je fusse vêtu d'une toile assez grossière, et qui en concluoit que j'étois quelque chose de plus que je ne voulois paroître. Le domestique se tira habilement d'affaire, en conduisant le batelier à un petit cabaret voisin, où toutes les questions finirent.

Il y a peu d'eau dans cette rivière; les roches et les courans en rendent la navigation difficile en quelques endroits; aussi les barques sont-elles fort petites et très-étroites; à peine pouvoit-on y étendre mon lit et celui de mon domestique, et y placer deux petits coffres. Le toit de nattes qui la couvroit étoit si bas, que c'est tout ce que je pouvois faire que de m'y tenir à genoux.

Ce ne fut qu'après douze jours d'une navigation si incommode que j'arrivai à Tchingtcheou. Là, on quitte sa barque, et l'on a deux jours de marche à faire pour traverser une montagne. Le maître de l'hôtellerie où je logeai me fournit des porteurs pour mon bagage, après lui en avoir donné la liste, qu'il adressa à son correspondant à Y-tchang; puis il transcrivit cette liste, la signa et me la mit en main. Tout me fut rendu à mon arrivée. Ces porteurs sont très-fidèles, et, s'ils ne l'étoient pas, le correspondant répond de tout ce qui leur a été confié.

A peine fus-je entré dans l'hôtellerie d'Ytchang, que je donnai des soupçons à un marchand de Canton, lequel a sa maison dans un quartier de cette capitale, où logent les Fran

çois et les Anglois qui y font leur commerce. Il tira mon domestique à part : « Ou je suis bien trompé, lui dit-il, ou ce vieillard est Européen. Bien qu'il soit accoutumé à nos manières, il y a je ne sais quoi dans sa physionomie, surtout dans ses yeux, qui me le persuade. » Mon domestique ne répondit que par un éclat de rire, en lui remettant devant les yeux plusieurs Chinois qui avoient ces marques extérieures auxquelles il me prenoit pour un Européen. Le marchand se retira, mais en homme qui n'étoit pas tout à fait détrompé.

Comme d'Y-tchang on va par cau jusqu'à Canton, je louai une barque pour deux jours, laquelle étoit d'une structure particulière. Les Chinois, à ce qu'ils prétendent, ne peuvent pas en avoir d'autres, à cause des roches et des chutes d'eau presque continuelles. Le fond de cale de la barque est toujours plein d'eau. On met par-dessus une espèce de claie en forme de gril, faite de cannes de roseaux, sur laquelle on étend des peaux ou autre chose semblable, afin de pouvoir s'asseoir et se coucher. Il n'y a rien qui ferme ces barques, même aux deux bouts, où doivent être les passagers, parce que le milieu se réserve pour les coffres, afin de garder l'équilibre dans les courans. S'il vient du vent, de la pluie, de la neige, c'est aux passagers d'y pourvoir. Ces bateliers descendent comme un trait à travers les roches, qu'ils frisent de si près qu'on peut les toucher de la main; il est étonnant de voir avec quelle adresse ils manient leurs perches et leurs petiles rames, pour éviter et pour suivre les détours de ces pierres qui occupent tout le canal. S'ils manquoient leur coup, la barque se briseroit en mille pièces, et c'est ce qui n'arrive presque jamais."

Après ces deux journées, je me trouvai à Lo-tchang, où l'on se sert de grandes barques de toutes les façons; j'en louai une pour me conduire à la capitale : je passai heureusement la douane à Chao-tcheou, où l'on ne me fit aucune question, et j'arrivai à Canton le 21 janvier de l'année 1730. J'espère de retourner l'année prochaine dans la province de Houquang, lorsque tout y sera plus tranquille; j'y aurai besoin plus que jamais d'une protection toute particulière de Dieu aidez-moi à l'obtenir par vos saints sacrifices, en l'union desquels je suis, etc.

LETTRE DU PÈRE CONTENCIN

AU PERE DUHALDE.

Sur le gouvernement et la police de l'empire chinois. De Canton, ce 19 d'octobre 1730.

MON RÉVÉREND PERE,

La paix de Notre-Seigneur.

A l'arrivée de nos vaisseaux françois, j'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire l'année dernière. Vous y aviez joint le dix-neuvième recueil des Lettres édifiantes et curieuses, dont je vous rends mille grâces. J'ai trouvé dans ce recueil une de mes lettres sur le gouvernement chinois : elle a été fort goûtée, me dites-vous, et on l'a lue avec un grand plaisir; vous souhaitez même que je continue à vous en envoyer de semblables sur le même sujet; heureusement je suis en état de vous satisfaire. Celle-ci vous entretiendra uniquement des ordres, des instructions, des règlemens, des exemples de vertu qui ont été publics dans tout l'empire; si Dieu me conserve, je répondrai par une seconde lettre aux autres points sur lesquels vous demandez des éclair

cissemens.

Dans celle que j'écrivis en 1727, et qui est insérée dans le dix-neuvième recueil, je parlois d'un proche parent de l'empereur, nommé Long-co-to, qui avoit été condamné à mort par le souverain tribunal des affaires criminelles. Lorsque je fermai ma lettre pour être envoyée en France, l'empereur, à qui ce jugement avoit été présenté, n'avoit point encore donné ses ordres, ou pour adoucir ou pour confirmer la sentence. Peu de temps après, je lus dans la gazette chinoise ce qui suit :

Le 14 de la dixième lune de la cinquième année du présent règne, les princes du sang, les autres princes, les grands de l'empire, les ministres, les présidens, les assesseurs des cours souveraines, et les principaux officiers des autres tribunaux qui composent le grand conseil, furent appelés au palais et introduits en présence de l'empereur. Sa Majesté, les

'Cette lettre étoit prête à partir dans le mois de novembre, lorsque le père Contencin, qui ne s'y attendoit pas, fut député pour venir en France. Il l'apporta lui-même.

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larmes aux yeux, leur parla en ces termes :

<«<Les quarante et un articles sur lesquels Longco-to est condamné, sont autant de crimes. griefs. J'avoue qu'il mérite la mort, et que le nombre et la grièveté de ses crimes le rendent indigne de toute grâce. Mais mon cœur est attendri lorsque je pense à ce triste jour auquel mon père s'éloigna de nous pour monter au ciel. Ce jour-là même il fit assembler autour de son lit tous mes frères avec le seul Long-coto, et il déclara que j'étois celui à qui il donnoit l'empire : ainsi, entre tous les grands, Longco-to a été le seul qui ait reçu cet ordre de la bouche même de mon père. C'est pourquoi, à présent qu'il s'agit de le punir de mort, quoique selon les lois de l'Etat il le mérite, mon cœur souffre, je l'avoue, et j'ai de la peine à y consentir.

« Le malheureux Long-co-to a poussé l'ingratitude jusqu'à oublier les bienfaits qu'il avoit reçus de mon père, et les grâces dont je l'avois comblé; il s'est abandonné à ses passions, il n'a gardé nulle mesure, il a violé les lois. Que puis-je dire? j'ai trop compté sur sa fidélité, je me suis trompé. A peine fus-jemonté sur le trône, que le grand deuil où j'étois me porta à l'honorer de ma confiance, et à me décharger sur lui d'affaires importantes : je l'ai élevé à de grandes charges, c'est ma faute: pour prévenir les mauvaises suites de ses vexations et de son avarice, j'aurois dù au moins l'avertir. Aujourd'hui, tout ce que je puis faire, c'est de reconnoître que j'ai été dans l'erreur, et que par une trop grande indulgence je ne devois pas dissimuler ses fautes. L'abus indigne qu'il a fait des faveurs qu'il avoit reçues, sans écouter ce que la raison lui dictoit, ont révolté les grands et les petits, les nobles et le peuple ; tous l'ont en execration; mais il ne peut s'en prendre qu'à lui-même, c'est lui seul qui s'est attiré ce malheur. Quoique je ne le punisse pas, l'âme de mon père qui est dans le ciel, voit sans doute clairement sa conduite criminelle, et fera secrètement descendre sur lui le châtiment qu'il mérite.

L'expression chinoise tsai-tien-tchi-ling, ne laisse pas douter de la persuasion où est l'empereur que l'âme est immortelle, et que la récompense des bons après la mort est dans le ciel. Ling signifie l'âme, et tsai-tien signifie qui est dans le ciel. On s'exprime de la sorte dans la prière du Pater. Tsai-tien-ngo-tenysou-tche. Notre Père, qui êtes dans le ciel.

« J'ordonne donc qu'on lui laisse la vie; qu'aux environs de Tchang-tchun-yuen on choisisse un terrain vide, qu'on y bâtisse un corps de logis de la longueur de trente pieds, qui soit divisé en trois chambres, et qu'il y demeure en prison le reste de ses jours. Pour ce qui regarde ses biens, le tribunal juge qu'ils doivent être confisqués; mais que trouverat-on à confisquer ? les biens qu'il a mal acquis montent à plusieurs millions, ses biens particuliers peuvent à peine suffire à les compenser. J'ordonne aux officiers de sa bannière d'examiner tout ce qui lui reste, et de faire en sorte que tout ce qu'il a pris injustement soit au plus tôt rendu. Quant à sa femme et à ses enfans, je leur fais grâce; qu'ils ne soient point conduits au bureau des esclaves du palais. Que son fils Yo-hing-ha soit privé de sa charge, et que Yo-tchu (un autre de ses fils) soit exilé à Helongkiang en Tartarie, et soit occupé aux travaux comme les autres exilés. >>

L'empereur déclare que lorsqu'il va passer quelque temps à sa maison de plaisance, c'est pour jouir d'un meilleur air, el non pas pour chercher du repos.

L'empereur quitte de temps en temps le palais de Pékin, pour aller à sa maison de plaisance appelée Yuen-ming-yuen, qui est à deux lieues de cette capitale mais lorsqu'il s'y retire, il veut que les affaires s'expédient, et qu'on vienne à l'ordinaire lui présenter les placets et les mémoriaux, comme s'il étoit à Pékin même. Un jour, s'étant rendu à la salle où il a coutume de donner audience et de recevoir les placets, il ne se trouva personne qui lui en présentât. Alors il fit venir en sa présence les princes et les grands qui étoient de jour3, et leur parla en ces termes :

« Aujourd'hui je suis allé, selon ma coutume, m'asseoir dans la salle King-tching-tien', pour recevoir les placets et donner audience, mais nul officier, ni des tribunaux ni des huit ban

↑ Maison de plaisance de l'empereur Cang-hi.

2 Les Tartares sont rangés sous huit bannières : chaque bannière a son chef et autres officiers subalternes, qui tiennent un registre exact de toutes les familles qui sont sous leurs bannières, de leurs enfans, de leurs esclaves et de leurs biens.

3 Chaque jour et chaque nuit il y a des princes et des grands seigneurs dans le palais, qui demeurent dans un lieu assigné pour attendre les ordres de l'empereur et les faire exécuter.

4 Ces trois mots signifient salle, palais, où l'on traite des affaires du gouvernement.

nières, ne s'est présenté pour me parler d'affaires. Je fais réflexion qu'on s'imagine peutêtre que je viens ici pour me divertir et pour éviter le travail sur cette fausse idée ne prétendroit-on point suspendre les affaires publiques? Si cela est, on se trompe; je viens ici, parce que l'air de la campagne est un peu meilleur que celui qu'on respire dans l'enceinte des murs; mais pendant le temps que j'y séjourne, mon intention est que les affaires du gouvernement n'en souffrent point. Je veux m'appliquer chaque jour au bien de l'empire, comme je fais à Pékin, sans aucune différence; je ne prétends pas me donner aucun moment de repos ni de divertissement; il y a eu plusieurs occasions où j'en ai déjà averti les principaux mandarins des tribunaux, afin qu'à l'ordinaire ils me fissent leur rapport sur les affaires de la cour et des provinces. Pourquoi ne sont-ils pas venus? Si par hasard il me survenoit quelque raison d'interrompre ces occupations, je les en ferois avertir. Que si, après cet ordre, ils ne se conforment pas à mes intentions, j'aurai sujet de croire qu'ils n'agréent pas le séjour que je fais dans cette maison de plaisance.

différer;

il

De plus, pour ce qui regarde les affaires, y a des jours où l'on en rapporte un grand nombre, où tous les tribunaux viennent, et d'autres où presque personne ne se présente; c'est un point sur lequel il est à propos d'établir quelque règle. Lorsqu'il s'agit d'affaires presjour que ce soit, il n'importe, il ne faut pas santes et nécessaires, qu'on vienne quelque mais pour les affaires ordinaires, il sera plus à propos que chaque cour souveraine ail son jour fixé; par exemple, on peut dans un même jour joindre une des bannières, un des premiers tribunaux, et un tribunal subalterne. Ils viendront ainsi tour à tour au jour marqué; et les jours qu'ils ne viendront pas, ils resteront à Pékin, et examineront les affaires de leur tribunal. Que s'il y avoit quelque raison de vous appeler les autres jours que vous ne serez pas obligés de venir, je vous le ferai savoir. Quant aux jours marqués pour chaque tribunal, si ce jour-là il n'y a point d'affaire à me rapporter, il faudra du moins que les principaux officiers se rendent ici; car quoiqu'ils n'aient aucune affaire sur laquelle ils doivent me consulter, il se pourra faire que j'aurai moi-même quelque chose de conséquence à

leur dire, que j'aurai réservée pour le jour qui, ces tristes châtimens ? Je restois dans l'intéleur est assigné. Enfin, je le répète, lorsqu'il s'agira d'affaires nécessaires, ne différez point, je donnerai audience tous les jours.

Au reste, si le jour que vous devriez venir, le temps étoit extraordinairement froid, si le grand vent de nord souffloit, s'il tomboit de la neige, vous auriez trop à souffrir, il est juste d'avoir égard à votre santé, tenez-vous en repos; pour un ou deux jours de délai, les affaires n'en iront pas moins bien, et si ces jours-là j'avois quelque affaire importante à Vous communiquer, je vous ferai appeler. Qu'on intime cet ordre à tous ceux qui doivent en avoir connoissance.

L'empereur, voyant son peuple menacé de la disette, en est si sensiblement touché, qu'il prie les principaux officiers de lui déclarer ses fautes sans aucun déguisement'.

Le cinquième de la sixième lune de la quatrième année du présent règne, l'empereur donna cet ordre aux premiers ministres, aux présidens des neuf tribunaux, aux docteurs du premier rang et à plusieurs autres officiers :

« Depuis mon élévation sur le trône, j'ai sans cesse fait réflexion à la pesante charge que mon père m'a confiée en mourant, et je me suis uniquement appliqué à faire en sorte que, dans tout l'empire, il n'y eût pas un homme, pas une femme, qui ne fût content dans son état. Depuis le matin jusqu'au soir, j'épuise les forces de mon esprit, je ne prends pas un moment de repos, je pense continuellement avec inquiétude au soulagement de mon peuple, aux moyens de lui fournir abondamment de quoi vivre, d'établir un gouvernement équitable, et de rendre les officiers vigilans, sincères, désintéressés heureux si je pouvois procurer à tous mes sujets, soit à la cour, soit dans les provinces, un véritable bonheur et une perpétuelle tranquillité, afin de donner par là quelque joie et quelque consolation à l'âme du précédent empereur mon père, qui est à présent dans le ciel.

» Par exemple, il y a deux ans que quelques provinces furent affligées de la sécheresse; l'année dernière, les environs de la cour furent inondés par des pluies excessives; que ne fis-je point alors pour détourner de mon peuple

C'est une coutume qui s'observe de temps en temps par les empereurs chinois.

III.

rieur de mon palais, je me tenois dans le respect; j'offrois mes vœux et mes prières au souverain Tien; pour le fléchir, je battis la terre de la tête si souvent, que j'en avois le front blessé; au milieu de la nuit, je me levois plusieurs fois pour observer les nuages et conjecturer si le jour suivant on auroit ou de la pluie, ou un temps serein; occupé à supplier le Tien, je joignois à ces prières un jeûne rigoureux, qui consistoit non-seulement à retrancher quelque chose de mon ordinaire, mais qui alloit même jusqu'à passer quelquefois un jour entier sans manger; je faisois tout cela secrètement dans mon palais, pour remplir mon devoir, sans permettre que personne en eût connoissance au dehors. Comme toute mon occupation et toutes mes pensées étoient d'honorer le Tien, de travailler infatigablement pour mon peuple, de gouverner l'empire avec droiture, avec application, avec équité, la pureté de mes intentions me faisoit croire que j'étois sans reproche, et que je n'avois rien fait qui dût être pour moi un sujet de honte et de repentir. C'est pourquoi, jusqu'à présent, je n'ai point encore prié qu'on m'avertisse des fautes qu'on auroit observées dans ma conduite. Mais à ce temps de l'élé, et justement lorsqu'on étoit sur le point de ramasser les deux sortes de froment', des pluies excessives sont survenues, elles ne cessent point, et quoique actuellement il y ait quelque apparence de temps serein, cependant on ne voit encore rien de fixe: c'est ce qui me rend attentif et inquiet sur ce qui regarde les besoins, surtout du menu peuple.

»De plus, dans ces vers injurieux que le scélérat Co-yun-tçing avoit secrètement affichés dans les rues, on lisoit : « Que le soldat, que le << peuple avoit en haine le nouveau maître. >> A l'occasion de ces pluies et de cet écrit, j'ai réfléchi sur ma conduite, je suis rentré dans moi-même, je me suis examiné, et je ne suis pas encore sans quelque crainte, sans quelque doute, s'il n'y a point en moi des défauts qui attirent ces malheurs, et qui donnent lieu de parler de la sorte: peut-être que dans l'administration des affaires publiques j'emploie des officiers dont je ne devrois pas me servir; quoi

L'orge et le froment. Ta-me signifie gros froment, ou orge. Siao-me, petit froment, ce que nous appelons simplement en France froment.

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