Imágenes de páginas
PDF
EPUB

mere & la fille, & fe fixerent fur Alix de Rofoi : l'admiration fut le premier hommage que je lui rendis. Mon pere m'examinoit, & jugeoit mieux que moi, de ce qui fe paffoit dans mon cœur. Mes yeux attachez fur Mademoifelle de Rofoi; mon embarras à chercher les termes les plus propres & les plus refpectueux, pour lui marquer que l'admiration n'étoit pas le feul fentiment qui s'emparoit de mon ame, ne Îui laifferent aucun doute. Il vit, avec un plaifir extrême, les charmes de Mademoiselle de Rofoi, triompher de ma liberté. Pour moi, un peu revenu de ma premiere furprise, je ne pouvois comprendre qu'une fille élevée dans une Province, quelque foin qu'on eût pris de fon éducation, fût fi parfaite. J'étois étonné de la trouver fi femblable à ce pe▾

Tome I.

F

tit nombre de perfonnes, qui aïant, dès leur enfance, refpiré l'air de la Cour, y ont acquis cette liberté noble, modefte & impofante, qui fe répand dans leurs difcours, dans leurs geftes, & même dans les actions les plus indifférentes. Lorfque je fus feul avec mon pere, je lui fis part de mes réflexions: voici ce qu'il m'apprit.

Je fuis charmé, mon fils, de m'appercevoir combien vous êtes content du Seigneur de Rofoi, de fa femme & de fa fille : fi vous aviez quelques années de plus, vous auriez vû le digne Rofoi à la Cour, aimé & eftimé de Louis le jeune. A foixante ans, il devint éperdument amoureux de Mademoiselle de Melun, la plus belle perfonne de ce tems: fon efprit égaloit fa beauté : ses manieres étoient douces & infinuan

tes, telles que vous les voiez aujourd'hui ; mais ce qui furprenoit encore davantage dans cette jeune perfonne, c'eft que dès fon enfance, malgré la vivacité de fon imagination, on ne pouvoit déja plus la pénétrer, dès qu'elle croïoit avoir une raifon de diffimuler. Elle avoit de qui tenir, de qui prendre des leçons, & des exemples de fineffe & de politique elle étoit élevée par une mere, dont le génie perçant ne fe montroit qu'au befoin. La Vicomteffe de Melun étoit trèsjeune, quand elle perdit fon mari: fiere de fon nom, elle n'aspira jamais à en changer. Elle étoit aimable, vertueufe, & uniquement occupée à préparer à fon fils, le chemin qui pouvoit le mener jufqu'où fon ambition vouloit l'élever. Elle n'avoit fouffert d'Adorateurs, que ceux qui, à

portée de l'inftruire des menées les plus fecretes de la Cour, pouvoient fervir fes deffeins ambitieux : ainfi, tandis qu'ils ne fongeoient qu'à lui plaire, ils contribuoient à mettre fa faveur & fon crédit au plus haut degré. Quoique Mademoiselle de Melun n'eût alors que quatorze ans, la difproportion de fon âge avec celui de Rosoi, ne le fit point trembler: il fut affez paffionné pour la demander, & affez heureux pour l'obtenir. Rofoi amoureux, n'avoit vû aucun dånger pour fon repos, en devenant poffeffeur des charmes de Mlle de Melundès qu'il le fut, la raison ne tarda pas à lui faire entrevoir bien des périls. Il craignit les chagrins que lui donneroit peut-être à la Cour, la beauté de fa femme, & l'ufage qu'elle y pourroit faire, contre lui, de l'adreffe & de la

foupleffe de fon efprit. Pour s'épargner une inquiétude, souvent dangereufe & toujours inutile, it prit, en homme fage, le parti de fe retirer dans fes Terres, où la conduite de Madame de Rofoi a fçû mériter, pour jamais, toute la confiance d'un mari déja plein d'eftime & de tendreffe, & lui a attiré tous les refpects de la Province.

Une fi longue abfence de la Cour, n'a rien fait perdre à cette illuftre femme, ni de fes manieres, ni de fa beauté, & le bon Rofoi a confervé le rare affemblage du Courtisan aimable & de l'honnête homme. Mademoiselle de Rofoi, née avec un heureux caractere, & élevée par un pere & une mere tels que je vous les peins, a facilement pris ces ma nieres douces, polies, & cet air du grand monde, qui vous a fur

« AnteriorContinuar »