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d'Homere, ce peintre fublime, élevera l'ame de l'artiste, lui imprimera fi fortement l'image de la grandeur & de la majefté, que la plupart des objets qui l'environnent lui paroîtront confidérablement dimi

nués.

Ce que le génie du fculpteur peut créer de plus grand, de plus fublime, de plus fingulier, ne doit être que l'expreffion des rapports poffibles de la nature, de fes effets, de fes jeux, de fes hafards: c'eftà-dire que le beau, celui même qu'on appelle idéal, en fculpture comme en peinture, doit être un réfumé du beau réel de la nature. Il existe un beau effentiel, mais épars dans les différentes parties de l'univers. Sentir, affembler, rapprocher, choifir, fuppofer même diverses parties de ce beau, foit dans le caractere d'une figure, comme l'Apollon, foit dans l'ordonnance d'une compofition, comme ces hardieffes de Lanfranc, du Correge, de Rubens, & des autres grands compofiteurs, c'eft montrer dans l'art ce beau qu'on appelle idéal, mais qui a fon principe dans la nature.

La fculpture eft fur-tout ennemie de ces attitudes forcées, que la nature défavoue, & que quelques artistes ont employées fans néceffité, feulement pour montrer qu'ils favoient fe jouer du deffein. Elle l'eft également de ces draperies dont toute la richesse est dans les ornements fuperflus d'un bizarre arrangement de plis. Enfin, elle est ennemie des contrastes

trop recherchés dans la compofition, ainsi que dans la diftribution affectée des ombres & des lumieres. En vain prétendroit-on que c'est la machine: au fond ce n'eft que du défordre, & une fuite certaine de l'embarras du fculpteur & du peu d'action de fon fujet fur fon ame. Plus les efforts que l'on fait pour nous émouvoir font à découvert, moins nous fommes émus. D'où il faut conclure que moins l'artiste emploie de moyens à produire un effet, plus il a de mérite à le produire, & plus le spectateur se livre volontiers à l'impreffion qu'on a voulu faire fur lui. C'est par la fimplicité de ces moyens que les chefd'œuvres de la Grece ont été créés, comme pour fervir éternellement de modeles aux artistes (a).

La fculpture embraffe moins d'objets que la peinture: mais ceux qu'elle fe propofe, & qui font communs aux deux arts, font les plus difficiles à repréfenter; favoir, l'expreffion, la science des contours, l'art difficile de draper & de diftinguer les différentes efpeces d'étoffes.

La fculpture a des difficultés qui lui font particulieres. 1°. Un fculpteur n'eft difpenfé d'aucune partie de fon étude à la faveur des ombres, des fuyants, des tournants & des raccourcis.

(a) Voyez une lettre de M. de Sainte-Palaye à M. de Bachaumont fur le bon goût dans les arts & dans les lettres, im primée fans date.

2o. S'il a bien compofé & bien rendu une vue de fon ouvrage, il n'a fatisfait qu'à une partie de fon opération, puisque cet ouvrage a autant de points de vue qu'il y a de points dans l'espace qui l'environne (a).

(a) Cette vérité fimple fut pouffée loin par quelques artiftes; elle occafionna même un sophisme en peinture affez ridicule. Des fculpteurs prétendoient qu'une ftatue feule, qui fair voir plufieurs attitudes en tournant autour de l'ouvrage, prouve que la fculpture furpaffe la peinture. Que ces fculpteurs là raifonnoient puiffamment! Giorgione prétendoit lui, que la peinture l'emporte à cet égard fur la fculpture, puifque, fans changer de place, & d'un feul coup-d'œil, on voit dans un tableau tous les aspects & les différents mouvements que peut faire un homme. Le Giorgione n'avoit jusque là que deux petits torts celui de ne pas voir qu'il s'agiffoit d'une feule figure, & celui d'oublier les bas-reliefs. Mais il alla plus loin; il prétendit que le peintre peut montrer à la fois, & d'une feule vue, les différents côtés d'une même & feulè figure. Voici comment il s'y prit pour le prouver & pour convaincre ses adversaires.

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» Il peignit un homme nud, vu par le dos; devant lui une »eau très limpide préfentoit, par fa réverbération, le devant de la figure: une cuiraffe polie montroit d'une part le côté » gauche; de l'autre, un miroir faifoit voir le côté droit. Très » belle imagination, qui prouvoit en effet que la peinture a plus de moyens que la fculpture pour montrer, dans une » feule vue, toutes celles du naturel. On applaudit, on louz fingulièrement cet ouvrage, à caufe de fon adreffe ingé → nieuse ». ( Vasari, vita di Giorgione. )

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On ne nous dit pas fi cet ouvrage, avec fon adresse ingé nieufe, fut regardé comme une bonne preuve. Je laiffe au lec

3o. Un fculpteur doit avoir l'imagination auffi forte qu'un peintre, je ne dis pas auffi abondante. Il lui faut de plus une ténacité dans le génie, qui le

teur à juger jufqu'où la prévention peut mener le fens commun, même chez les hommes qui doivent particulièrement connoître l'objet des questions qu'ils agitent. Je voudrois auffi pouvoir excufer l'hiftorien de cette idée creufe; mais j'en ignore le moyen puisqu'il ne la désapprouve pas, & que cette eau, ce miroir, cette cuiraffe, ne l'avertiffent point. Il ne me refte que deux partis à prendre, celui de jetter mes papiers au feu, ou celui de trembler pour mon propre compte fur la débilité de notre raison.

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Mais pourtant je ne voudrois pas, comme M. Laugier, avancer que » la perfection du deffein fait l'unique mérite de la fculpture; que le sculpteur a beau étudier la précision & l'élégance de fes contours, à peine peut-il jamais faire illusion » fur la dureté & la roideur des matieres dont il eft obligé de faire ufage ». (Voyez Maniere de bien juger des ouvrages de peinture, p. 248.) Si j'avois raisonné ainfi de la sculpture, & qu'on me montrât un modele brûlant d'expreffion, & dont la matiere, flexible fous le pouce, ou l'ébauchoir de l'artiste, ne me donneroit aucune idée de roideur ou de dureté; fi on me plaçoit vis-à-vis du Laocoon & de l'Apollon, & qu'on me demandât fi mon ame n'eft frappée d'aucune illufion, fi ces objets font de la fculpture ou n'en font pas ; j'aurois quelque honte d'avoir produit un tel jugement. C'eft en effet celui d'une ame froide, qui copie Philoftrate, ou deux ou trois modernes qui ne s'entendent pas mieux que lui en fculpture. Car, en copiant, on met nécessairement du bon & du mauvais dans un livre; &, quand on a de l'efprit, on fait tout paffer chez des lecteurs inattentifs, ou ignorants, ou vains, ou légers.

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mette au-deffus du dégoût que lui occafionne le méchanisme, la fatigue & la lenteur de fes opérations. Le génie ne s'acquiert point; il fe développe, s'étend & fe fortifie par l'exercice. Un fculpteur exerce le fien moins fouvent qu'un peintre difficulté de plus, puifque dans un ouvrage de fculpture il doit y avoir du génie, comme dans un ouvrage de pein

ture.

4°. Le fculpteur étant privé du charme féduifant de la couleur, quelle intelligence ne doit-il pas y avoir dans fes moyens pour attirer l'attention? Pour la fixer, quelle précision, quelle vérité, quel choix d'expreffion ne doit-il pas mettre dans fes ouvrages?

par

L'ouvrage du fculpteur n'étant le plus fouvent compofé que d'une feule figure, dans laquelle il ne lui eft pas poffible de réunir les différentes causes qui produifent l'intérêt dans un tableau, on doit exiger de lui, non feulement l'intérêt qui résulte du tout ensemble, mais encore celui de chacune des ties de cet ensemble. La peinture, indépendamment de la variété des couleurs, intéreffe par les différents grouppes, les attributs, les ornements, les expreffions de plufieurs perfonnages qui concourent au fujet; elle intéreffe par les fonds, par le lieu de la fcene, par l'effet général : en un mot, elle en impofe par la totalité. Mais le fculpteur n'a le plus fouvent qu'un mot à dire ; il faut que ce mot foit énergique. C'est par là qu'il fera mouvoir les refforts de l'ame;

Tome III.

B

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