Imágenes de páginas
PDF
EPUB

tit nombre de perfonnes, qui aïant, dès leur enfance, refpiré l'air de la Cour, y ont acquis cette liberté noble, modefte & impofante, qui fe répand dans leurs difcours, dans leurs geftes, & même dans les actions les plus indifférentes. Lorfque je fus feul avec mon pere, je lui fis part de mes réflexions: voici ce qu'il m'apprit.

Je fuis charmé, mon fils, de m'appercevoir combien vous êtes content du Seigneur de Rofoi, de fa femme & de fa fille: fi vous aviez quelques années de plus, vous auriez vû le digne Rofoi à la Cour, aimé & eftimé de Louis le Jeune. A foixante ans, il devint éperdument amoureux de Mademoiselle de Melun, la plus belle perfonne de ce tems: fon efprit égaloit fa beauté : fes manieres étoient douces & infinuan

tes, telles que vous les voïez aujourd'hui ; mais ce qui furprenoit encore davantage dans cette jeune perfonne, c'eft que dès fon enfance, malgré la vivacité de fon imagination, on ne pouvoit déja plus la pénétrer, dès qu'elle croïoit avoir une raifon de diffimuler. Elle avoit de qui tenir, de qui prendre des leçons, & des exemples de fineffe & de politique elle étoit élevée par une mere, dont le génie perçant ne fe montroit qu'au befoin. La Vicomteffe de Melun étoit trèsjeune, quand elle perdit fon ma ri: fiere de fon nom, elle n'afpira jamais à en changer. Elle étoit aimable, vertueufe, & uniquement occupée à préparer à fon fils, le chemin qui pouvoit le mener jufqu'où fon ambition vouloit l'élever. Elle n'avoit fouffert d'Adorateurs, que ceux qui, à

portée de l'inftruire des menées les plus fecretes de la Cour, pou voient fervir fes deffeins ambitieux: ainfi, tandis qu'ils ne fongeoient qu'à lui plaire, ils contribuoient à mettre fa faveur & fon crédit au plus haut degré. Quoique Mademoiselle de Melun n'eût alors que quatorze ans, la difproportion de fon âge avec celui de Rofoi, ne le fit point trembler: il fut affez paffionné pour la demander, & affez heureux pour l'obtenir. Rofoi amou reux, n'avoit vû aucun danger pour fon repos, en devenant poffeffeur des charmes de Mademoifelle de Melun: dès qu'il le fut la raison ne tarda pas à lui faire entrevoir bien des périls. Il craignit les chagrins que lui donneroit peut-être à la Cour, la beauté de fa femme, & l'ufage qu'elle y pourroit faire contre lui, de l'a

dreffe & de la foupleffe de fon efprit.Pour s'épargner une inquiétude, fouvent dangereufe & toujours inutile, il prit, en homme fage, le parti de fe retirer dans fes Terres, où la conduite de Madame de Rofoi a fçû mériter, pour jamais, toute la confiance d'un mari déja plein d'eftime & de tendreffe, & lui a attiré tous les refpects de la Province.

Une fi longue absence de la Cour, n'a rien fait perdre à cette illuftre femme, ni de ses manieres, ni de fa beauté, & le bon Rofoi a confervé le rare affemblage du Courtisan aimable & de l'honnête homme. Mademoiselle de Rofoi, née avec un heureux caractere, & élevée par un pere & une mere tels que je vous les peins, a facilement pris ces manieres douces, polies, & cet air du grand monde, qui vous a fur

pris. Quoique Mademoiselle de Rofoi aime tendrement ceux à qui elle doit le jour, felon moi, les juftes leçons du pere ont fait plus d'impreffion fur elle, que celles de fa mere; avantage pour Alix, qui rejaillira fur vous: car voilà, mon fils, l'époufe que le Seigneur de Rofoi & moi vous deftinons, fi vos cœurs fe déclarent en faveur l'un de l'autre. Tous deux tendres peres, & tous deux occupez du bonheur de nos enfans,nous ne nous fommes promis de les unir, qu'aux conditions qu'ils le defireroient. Hélas dis-je, je crains bien que Mademoiselle de Rofoi ne prenne pour une tendre fimpathie, le defir feul de plaire à fon pere. Que je ferois à plaindre, ajoutaije vivement, fi je la poffedois, fans poffeder fon cœur! Mon pere ne put s'empêcher de fourire

« AnteriorContinuar »