de mon exclamation.Cette crainte, me dit-il, m'assure que les charmes de Mademoiselle de Rofoi vous ont touché ; efperons, mon fils, que vous ne lui déplairez pas: je m'en fie bien à vous, pour lui demander fon cœur de bonne grace. Puifque le vôtre poursuivit-il, vient de fe déclarer selon mes defirs, je vais vous faire connoître les avantages que vous trouverez dans ce mariage. Rofoi eft un des plus grands Seigneurs de toute la Province: fes Terres font magnifiques, elles confinent aux miennes, elles font même trop voifines pour être fous deux différens maîtres; ce mariage va les réunir. J'écoutai ces der nieres paroles avec peu d'attention; les vûës d'interêt & de grandeur ne pouvoient déja plus trouver de place dans mon ame. En peu de jours, je fus épris de la plus forte paffion. J'étois fans ceffe occupé du defir de plaire à la divine Alix, de celui de paroître digne d'elle aux yeux de fon pere, & de mériter l'amitié de Madame de Rofoi. Je partageois mes foins & mes empreffemens, entre la mere & la fille: j'avois le plaifir de m'appercevoir, que la plus fimple attention pour Madame de Rofoi, l'arrachoit à un air penfif & diftrait, qu'elle avoit pris peu de jours après notre arrivée. Il fallut partir ce fut avec une douleur proportionnée à ma paffion, que je quittai Alix, après avoir refté quinze jours chez le Seigneur de Rofoi. J'eus le bonheur de lui infpirer, dans ce peu de tems, une amitié peu différente de celle que mon pere a pour moi. Quand je fus à Rethel, mon pere veur pere me dit, que le bon Rofoi, quoique très-prévenu en ma fane vouloit rien preffer. Il craint, ajouta-t'il, que la foumiffion de fa fille ne lui voile fes véritables fentimens; il veut fe donner le tems de les développer à fonds: mais, mon fils, vous avez la permiffion de donner tous vos foins à Mademoiselle de Rofoi, & nous retournerons dans peu de jours chez fon pere; car je vois bien que le féjour de Rethel va vous paroître infupportable. Nous ne reftâmes que huit jours à Rethel; mais que ce peu de tems me parut long! que j'en partis avec plaifir! La vûë de Mademoiselle de Rofoi me caufa cette tendre émotion, que l'amour feul fait fentir, Je la voiois tous les jours, & à tous les momens : nos peres nous laiffoient une honnête liberté. Alix ne me fuïoit D. Tome I. point: lorfque je lui difois des chofes où ma tendreffe fe laiffoit entrevoir d'une maniere refpe&tueufe, elle baiffoit les yeux, & ne me répondoit rien. Comme ma paffion augmentoit à chaque inftant, elle s'allarmoit d'une pudeur, qui me déroboit la connoiffance des vrais fentimens du cœur d'Alix. Je tremblois qu'elle ne fût infenfible à ma tendreffe: quelquefois auffi, je regardois cette pudeur,comme l'effet d'une paffion naiffante, qu'elle n'ofoit encore s'avouer à elle-même. Un jour que nous étions feuls, je lui dis: La permiffion que vous avez, Mademoiselle, de ne me point hair, ne vous donne-t'elle pas celle de me laiffervoir,fi je fuis affez heureux pour que votre cœur ne murmure point contre la volonté d'un pere? Voïant qu'elle rougiffoit, que fon embarras étoit extrême, que même elle cherchoit à m'échapper, j'ajoutai d'un ton plus animé: Hé! quoi, Mademoiselle, vous n'ofez répondre? Vous pouvez rompre ce cruel filence fans crime; & vous le gardez fans pitié! Ah! vous craignez, fans doute, de m'apprendre que je fuis le plus malheureux de tous les hommes. Vous craignez, par cet aveu, de montrer de la défobéïffance à un pere: hé bien! Mademoiselle je vais lui dire que vous me haïffez, & qu'il nous rendroit infortunez, en nous uniffant. Arrêtez, me dit Alix; n'allez pas abuser mon pere, & m'attirer un reffentiment que je ne mérite pas. Ces paroles, prononcées avec émotion, me cauferent un tranfport fi vif, que je me jettai aux pieds d'Alix, dont je pris une main que j'ofai baifer. Dans cet |