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CHAPITRE XII.

Reflexions tres-utiles fur les biens de Campagne, qu'on doit affermer on faire valoir par fes mains, & comment les affermer; avec quelques obfervations fur cette matiere touchant le ménage.

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A été de tout temps que les uns ont exploité leurs terres eux-mêmes, & que d'autres les ont affermées; chacune de ces manieres a fon utilité particuliere, mais pour cela, quand on le fait, il faut en fçavoir démêler le bon d'avec le mauvais; autrement c'eft le púr hazard qui nous conduit dans ces entreprises.

Autrefois, & du temps des premiers Romains, que les Maîtres tenoient eux-mêmes la charrue, on pouvoit plus fûrement qu'aujourd'huy entreprendre de faire valoir ses terres par fes mains; parce que cette affection & ce zéle qu'il faut avoir pour ce travail, n'y manquoient point, tout fe faifoit fous l'œil, le Domestique ne pouvoit imposer à fon Maître, & tous également fupportant les mêmes fueurs, retournoient contens à la maison, aprés avoir achevé la tâche qu'ils s'étoient prefcrites pour la journée.

C'est ce qui fait que nous voyons encore aujourd'huy ces Maîtres Laboureurs réüffir bien mieux dans leurs deffeins que ne font pas des particuliers qui dépendent, s'il faut ainfi parler, de leurs Domeftiques; ce n'eft pas qu'on prétende par ce raifonnement exclure de cet employ ceux qui y ont de l'inclination: on en voit beaucoup qui y réüffiffent; mais c'eft qu'au défaut de leurs bras, leur vigilance agit continuellement, ils font toujours en mouvement, & comme il faut être, quand on veut faire valoir des terres par fes mains.

Ce n'eft pas une petite peine que de conduire un ménage de campagne & d'avoir affaire à des Domestiques; qui, pour un qui fera fon devoir, feront pareffeux la plûpart, malins, trompeurs, tandis que leurs gages courent toûjours, & que l'ouvrage ne fe fait qu'à moitié ; c'est par là qu'on fe ruinc dans le labourage, & ce qui a donné lieu à cet ancien Proverbe,

Si le bœuf arempli ta grange,

C'est auffi le bœuf qui la mange.

Il est vray qu'on a toûjours objecté ces difficultez dans ce penible exercice, mais auffi on y a trouvé du remede; parce qu'on a vu d'ailleurs la perte confiderable où on s'engageoit lorsqu'on mettoit fon bien entre les mains d'un Fermier, qui en tire toute la fubftance, & en abandonne le fonds.

Suppofé neanmoins qu'on foit obligé d'affermer fes terres, il faut toûjours choifir un Fermier qui ait dequoy foûtenir cet employ, remplir un domaine de bétail; car fans ces animaux on n'y vit que tres-modiquement, & les terres manquent de ce qu'il leur eft neceffaire pour les ame

pro

liorer. Il lui faut des outils, des femences, & plufieurs autres chofes pres au labourage, on convient qu'avec de l'argent on eft bientôt muni de tout cela, il faut donc qu'il en ait, & avec de l'argent, il eft vrai qu'il fçait le fecret de ne manquer de rien.

Tels Fermiers auffi ont fouvent de certains travers qui font trés-défagreables; parce qu'ils fe fentent avoir dequoy, & cet avantage, qui les rend orgueilleux, femble devoir les autorifer à pouffer leur infolence jufqu'à demander la Ferme d'un Domaine pour moitié de ce qu'elle vaut. Ils font fonner leur argent, cela chatouille l'oreille; on fe fait des raifons làdeffus les plus belles du monde, on fe laiffe brider, & en un mot on donne dans les filets qu'ils tendent, puis on en devient la dupe, & on fe perd par là; fi bien qu'au lieu de dix fols on n'en a que cinq,outre que fous l'apâts de l'argent qu'ils promettent d'avancer, ils font leurs conditions fi préjudiciables au Maître, qu'au bout de la Ferme il fe trouve tout bien compté & rabattu, que la maison lui doit plus de refte qu'elle ne lui a rapporté par les dégradations qui y font furvenuës, & aufquelles on n'a pas penfé.

Si vous prenez un Fermier qui ne foit pas riche, c'eft un autre inconvenient encore bien fâcheux ; il ne craint point de s'engager, parce qu'il n'a rien à perdre. Les conditions les plus groffes ne l'épouvantent point; ce n'eft cependant qu'aprés quelque molle réfiftance qu'il les accepte: ce gros avantage en apparence fafcine les yeux d'un particulier, il donne dedans, on paffe le bail, on le figne, & à peine ce Fermier a-t-il pris poffion de vôtre Domaine, qu'il fe trouve manquer de tout, qu'il le faut fournir de bétail, d'outils, de bled & d'argent, fi vous voulez qu'il faffe valoir vos terres comme il faut, & encore eft-il à craindre qu'avec toute cette avance il ne diffipe une bonne partie de tout cela inutilement pour vous, & vous doive de refte, fans quelquefois pouvoir jamais devenir en état de vous payer. Outre que vos terres font à moitié ufécs faute de fumier qu'il a peut-être vendu, & vôtre maifon toute délabrée. Voilà en verité deux inconveniens tres fâcheux & dont on ne fçauroit trop fe garder

Un Fermier de cette nature eft fouvent fi indolent, fi parefleux, que pour épargner un cloud ou une tuille, il laiffera déperir une partie de la couver-ture du logis, ou de quelque membre du bâtiment de la baffe-cour, que faute d'un petit foffe il fera caufe que l'eau vous ruinera entierement une piece de terre, ainfi du refte. Il ne fe foucira pas que le bétail endommage vos arbres & les broute, qu'on dérobe vos fruits, dont il fera peut-être le principal voleur, que vos vignes déperiffent faute des façons ordinaires, & qu'enfin tout aille à l'abandon, pourvû qu'il tire de vos terres tout ce qu'il pourra,

Teleft fouvent le défagrément qu'on reffent quand on afferme fon bien. Non content de le dégrader ainfi, ce Fermier malicieux, & dont l'efprit eft groffier, ne peut fouffrir que vous faffiez un peu embellir vôtre maifon crainte que ce charme vous y attirant trop fouvent, ne vous rende témoin de ses mauvaises actions, de fon mauvais ménage à vôtre égard & du trop de gain qu'il fait fur vous.

Entendez-le parler de ce Domaine, c'eft un terroir ingrat, on n'y fçauroit rien gagner, c'eft peine perduë, & tout cela pour empêcher qu'un

autre ne courre fur fon marché,& que le Maître ne prenne fantaisie de le faire valoir luy-même. Rien ne le fâche tant que vôtre prefence, principalement au temps de la recolte, où il craint qu'on ne voye la quantité de fruits qu'il retire de vos terres ; c'eft pourquoy les Domaines, quelques beaux qu'ils puiffent être naturellement, perdent beaucoup de leur agrément entre les mains de ces fortes de Fermiers.

Pour éviter qu'un bâtiment ne tombe en ruine, les gros Seigneurs, dans les baux qu'ils paffent avec leurs Fermiers, les obligent à certaines réparations, ou ont des gens avec lefquels ils en traitent à forfait ; mais ces précautions conviennent à ces perfonnes de ce haut rang, & non pas à des particuliers; qui ont befoin d'ufer de plus de ménage, & qui demeurant fur les lieux, les font plus commodément & avec moins de dépenfe, & de plus

de durée.

L'occafion feule qui peut obliger un particulier à amodier fes terres, est lorfqu'il en a dans fon Domaine qui ne font point à fa portée, qui font ingrates & trop éloignées les unes des autres, ou bien qu'il ne fe fent point de penchant pour ce ménage, que fa femme n'y eft point du tout propre, & que leur temperamment trop délicat ne leur permet pas cet exercice, s'il a quelque Charge qui lui foit plus profitable que la culture des terres, ou quelque Employ confiderable qui l'appelle ailleurs, ouenfin s'il a d'autre prétextes qui l'en empêchent ; alors il a raifon de ne point époufer ce parti; mais s'il en a les talens, & que la campagne y puiffe répondre, il a tort, s'il ne le fait pas, il n'eft tel que de gouverner fes heritages, & de fuivre, pour réüffir, tout ce qu'on a dit là-deflus dans les Chapitres précedens; ne donnez au Fermier, dit le Proverbe, que ce que vous ne pourrez manier.

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Ileft toûjours avantageux à un homme, qui fe voit poffeffeur d'un beau Domaine, de fe travailler non feulement à lui faire produire les fruits qu'il a coûtume d'apporter, mais même de forcer fa nature par fes foins & fon industrie à furpaffer fon attente.

Un bon ménager fera donc valoir la partie de fon Domaine ou de fa Métairie, qui eft la plus proche de la maison, afin d'être plus à portée de veiller exactement fur fes ouvriers.

Le maître dés fon réveil

Au ménage eft un foleil.

C'est une ancienne Sentence qui dit bien la verité, puifque c'eft en effet la présence du Maître qui rend les Domeftiques diligens. Pline dit auffi dans le même fens, que la principale fertilité des terres dépend de l'œil d'un bon ménager, & non pas du talon, c'est à dire, qu'il ne faut pas toûjours dormir.

Quand on veut donner fon bien à ferme, on ne fçauroit trop prendre de précautions avec les Fermiers ou Métayers; il faut tâcher de les tenir toujours en bride par les claufes qu'on met dans le contrat, & de tirer d'eux, outre le prix, le plus de courvées & autres chofes de cette forte ; car fi vous y manquez, il est rare que par honnêteté, ils vous donnent rien de plus qu'ils doivent.

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Il y a des perfonnes qui pour fe décharger du foin de nourrir des Domesti ques à la campagne, & faire neanmoins valoir leurs terres par leurs mains, qui les donnent à un Maître Valet, qui en a d'autres & autant qu'il lui en faut fous fa conduite. Le Maître lui fournit toutes chofes neceffaires à l'Agricul

comme bétail, outils & femences, & pour la nourriture de tout le ménage durant l'année, il convient avec lui dubled, lard, fel, huile, legumes, vin & autres danrées neceffaires pour vivre, & de l'argent dont il a befoin pour la dépenfe qu'il doit faire, moyennant quoy le Maître Valet fe charge de tous les ouvrages, & d'en rendre tous les fruits qui en proviendront. C'eft ordinairement un homme marié qu'on choisit pour cela, parce qu'il faut une femme dans un ménage qui ait foin du dedans; cette femme a fes gages particuliers felon la quantité d'enfans qu'elle a, & que ces enfans font plus ou moins grands, & plus ou moins en état de rendre fervice au Maître, les plus grands ont auffi des gages. On en agit de la forte en Provence, & ce Maître Valet, en langue Provençale, s'appelle Payre. Cette méthode eft tres avantageufe quand on trouve des Domestiques fideles, ce qui est bien rare.

Al'égard des gens de journées les uns les payent en argent fans les nourrir, les autres les nourriffent, leur donnent avec cela ou de l'argent, ou des danrées: la premiere maxime convient fort aux perfonnes qui demeurent dans les Villes, parce que cette nourriture feroit un embarras terrible pour une femme à laquelle ce foin feroit commis, outre que ce ne feroit pas une épargne, à caufe des vivres qui couteroient plus que l'argent qu'on donneroit aux Ouvriers ; il n'y a qu'à la campagne où cela fe puiffe pratiquer commodément, & à l'avantage des particuliers qui y font leur féjour, principalement dans les temps où les danrées font à vil prix, & qu'elles ne fe vendent point; c'eft donc un bien pour eux, de trouver ainfi le moyen de les y confommer. Quand tout fe vend bien, cela eft indifferent,car avec de la marchandise on a de l'argent, & avec de l'argent on vient à bout de tout.

La méthode de payer les Moiffonneurs eft differente en quelque pays, les uns les payent en bled & les nourriffent, d'autres leur donnent de l'argent à forfait & tant par arpent pour fcier ou moiffonner le bled, comme on voudra dire & le lier; cette derniere maxime s'obferve ordinairement aux environs de Paris.

Les terres s'afferment encore à moitié fruits, au tiers ou au quart felon les pays, c'eft à dire, qu'on prend moitié des gerbes, ou le tiers, ainfi du refte qui font fur le champ, de maniere qu'au fortir de là, le Métayer cft quitte à fon Maître. Quand on donne les terres à moitié, on fournit la moitié de la femence, & le tiers feulement quand on ne tire que le tiers des grains. Les Vignes en certains pays s'afferment à moitié, mais il faut prendre garde que les Vignerons pendant leur bail ne les furchargent point de bois pour avoir plus de raifin, & par confequent en tirer plus de vin : cette méthode de les conduire les ruine en peu de temps. Il faut auffi prendre garde que ces vignes foient fournies d'échalats autant qu'il en eft neceffaire; car il arrive fouvent que les Vignerons n'en mettent point leur contingente portion, parce, difent-ils, que ce n'eft point cela qui produit le raifin.

Les Pâturages, les Etangs, les Garennes & le Colombier font de ces he

ritages qui peuvent s'affermer, mais il faut prendre garde comment on le fait; car fouvent les Fermiers, qui n'envifagent que leur intereft, les laiffent déperir fans fonger à y apporter du remede.

Comme il eft de plufieurs manieres d'affermer les terres, auffi y a-t'il des perfonnes qui les prennent fous differens noms: tels font le Fermier & le Metayer: le Fermier eft celuy qui prend un Domaine, ou autres terres à forfait & dont il fe charge à fes rifques & fortunes ; pour le Métayer, il s'oblige feulement à cultiver les terres felon les conventions qu'il en a faites.

Qualitez d'un bon Fermier.

Fermier ou un Receveur, ces deux mots font fynonimes, qui fe

Ucharge d'un Domaine, doit s'appliquer à connoître parfaitement quel

en eft la valeur & le revenu, & les droits feigneuriaux qui en font partie, afin de ne point être trompé. Il faut qu'il ait de quoy fe fournir fuffifamment de beftiaux & de volailles de toute forte, qu'il ait foin de bien cultiver les terres, de les enfemencer de toute forte de grains, & de prendre gar de qu'il n'en refte point en friche.

Ileft de fon intereft de bien fumer fes terres, & non pas de vendre les fumiers comme il y en a ; ces gens là auffi croyant gagner d'un côté, s'abî-ment de l'autre ; il doit avoir foin que les Etangs, les Bois, les Prez foient en état de luy rendre bien du profit; il faut qu'il foit vigilant, adroit, entreprenant, actif dans les affaires du dehors, & ennemi des procez.

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Ce que doit être un Metayer, pour être eftimé.

Our le Métayer on le choifira homme de bien, & connu pour être de bon compte & fidele en fes paroles, fi l'on en peut trouver de ce caractere : il eft neceffaire qu'il foit marié, & que fa femme foit bonne ménare, qu'il foit industrieux, laborieux, diligent, fobre & non plaideur ; ce dernier caractere eft fi mauvais, qu'on s'y ruine toûjours en croyant gagner. Quand on a un honnête homme pour Métayer ou approchant, il faut paffer legerement fur fes petites imperfections, fans faire femblant de les voir, ne démentant toûjours neanmoins en rien de l'autorité qu'on a fur luy, crainte de trop grande familiarité, & qu'il ne fe laiffe par là aller insensiblement à la défobéiffance.

Il ne faut point négliger de compter fouvent avec lui, les vieux comptes caufent quelquefois des difputes, & l'on aura foin de ne point laiffer courir termes fur termes, le Mêtayer en vaut mieux, & le Maître s'en trouve plus à fon aife.

On changera le moins qu'on pourra de Fermier ou de Métayer quand on en a un qui eft paffable, les nouveaux vifages ne font pas à rechercher, c'est autant de nouveaux caracteres qu'on a à démêler, ce qui n'est pas toûjours fi aifé de faire qu'on fe l'imagine.

On ne doit jamais négliger d'aller vifiter fon bien, quelque bon Fermier ou Métayer qu'on ait : il y a toujours quelque chofe qui fe dérange, & auquel il eft neceffaire de remedier au plûtôt,fi l'on n'en veut voir la rui

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