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nage consulaire, mais sans probité et sans mœurs, et dont l'amitié et les liaisons faisoient tort à sa réputation; et Papirius Carbo, tribun du peuple, personnage hardi et séditieux, s'offrit à lui dans la vue d'acquérir de la considération par son attachement public au parti de Caïus. Ce tribun les fit nommer avec lui pour triumvirs du partage des terres la commission ne pouvoit être adressée à des gens plus vifs et plus entreprenants, tous trois ennemis déclarés du sénat et flatteurs outrés de la plus vile populace.

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Ces triumvirs ne se virent pas plus tôt autorisés par un décret public,qu'ils firent sommer, à son de trompe, tous les détenteurs de ces terres d'apporter à leur triłunal les titres de leur acquisition avec une déclaration ́exacte de la quantité qu'ils en avoient, afin de pouvoir juger ceux qui étoient tombés dans le cas de la loi Licinia, et qui en possédoient plus de cinq cents arpents ou journaux, mesure un peu inférieure à l'arpent. Il n'y avoit presque point de grands dans Rome qui n'en possédassent une plus grande quantité, et la plupart étoient même en procès pour les bornes de leurs usurpations. Ces hommes, devenus plus puissants qu'il ne convient dans une république, armèrent publiquement, et mirent des soldats sur leurs terres pour en défendre la possession; et ceux qui n'eurent pas cette audace implorèrent la protection du jeune Scipion, le plus grand des Romains de son temps: mais, tout révéré qu'il étoit dans sa patrie il n'osa pas se commettre avec le peuple, ni attaquer directement les lois des Gracques ses beaux-frères. Il prit un tour plus

adroit pour en éluder du moins l'exécution; il représenta avec beaucoup d'art, dans une assemblée, que lés triumvirs n'avoient été nommés que pour examiner s'il y avoit des citoyens qui, au préjudice des lois, possédassent plus de cinq cents arpents de terre, pour distribuer ce qui excédoit cette quantité à de pauvres citoyens, et que leur commission et leur pouvoir étoient renfermés dans ces deux articles. Il ajouta qu'avant de procéder à cet examen, il falloit reconnoître les bornes fixes et constantes de chaque héritage; mais que, les propriétaires ayant différentes prétentions au sujet de leurs limites, la connoissance et le jugement de ces prétentions réciproques passoient le pouvoir des triumvirs, et demandoient d'autres juges, ou du moins une commission plus étendue.

La proposition passa à la pluralité des suffrages. Scipion eut l'adresse et le crédit de tirer cette partie de la commission des mains des triumvirs, et il la fit tomber à Tuditanus, qui étoit alors consul, et qui, sous une indifférence apparente pour l'un et l'autre parti (a), cachoit un dévouement entier aux ordres du sénat et aux intérêts des grands. Ce magistrat, pour éblouir le peuple, vaqua pendant quelque temps avec beaucoup d'application à l'examen des prétentions de chaque particulier, et à régler les bornes réciproques de leurs héritages. Les triumvirs le voyoient travailler avec plaisir, dans l'espérance qu'il les mettroit bientôt en état d'exécuter leur commission; mais quelque temps après il quitta Rome brusquement, sur les avis qu'il se () App. Alex. de Bell. civ. lib. I, cap. 19.

fit donner que sa présence étoit nécessaire en Illyrie, où les Romains faisoient alors la guerre. Son absence laissa indécis tous ces procès, et suspendit par conséquent la fonction des triumvirs, qui ne pardonnèrent jamais à Scipion d'avoir fait échouer leurs desseins et tomber leur commission. Ils lui reprochoient dans les assemblées qu'il devoit toute sa gloire au peuple romain, et qu'après en avoir reçu deux consulats consécutifs contre toutes les lois, et sur-tout malgré le sénat et les grands, il n'avoit point de honte en faveur de ces gens superbes de s'opposer à l'établissement des lois agraires, si nécessaires à la subsistance du pauvre peuple, et scellées par le sang de Tiberius.

Et sur cela Carbo, ce tribun audacieux dont nous avons parlé, le somma en pleine assemblée de dire tout haut ce qu'il pensoit de la manière dont on l'avoit fait périr; et par cette question captieuse il prétendoit le mettre dans la nécessité de ne lui pouvoir répondre, sans se rendre odieux ou au peuple ou au sénat.

Mais Scipion, sans s'étonner, lui déclara que s'il étoit vrai que Tiberius eût eu le dessein de se faire le tyran de sa patrie, il croyoit sa mort juste. Tout le peuple, qui adoroit sa mémoire, ayant témoigné par de grands cris son indignation : « A quoi bon tous ces «< cris? >> leur dit Scipion avec cet air de grandeur qui lui étoit si naturel, « croyez-vous avec vos clameurs « épouvanter un général, que le bruit de tant d'armées << ennemies n'a jamais ébranlé?» Caïus ne prit point de part à cette dispute; il gardoit un morne silence: mais Fulvius Flaccus, homme violent et emporté, fit

beaucoup de menaces à Scipion, et on trouva le lendemain cet illustre Romain mort dans son lit, avec des marques autour du cou de la violence qu'on lui avoit faite.

On ne savoit à qui attribuer un si grand crime : les premiers soupçons tombèrent sur Flaccus, qui la veille l'avoit menacé du ressentiment du peuple. D'autres prétendoient qu'un coup si hardi venoit d'une main plus proche on en accusoit Cornélie, la mère des Gracques, et on publioit que Sempronia même, sa fille et femme de Scipion, pour se défaire de l'ennemi'de sa maison et d'un mari qui la méprisoit, avoit introduit la nuit les meurtriers dans sa chambre.

Le peuple, dans la crainte que Caïus ne fût trouvé complice de ce crime, ne souffrit point qu'on en informât: lui-même n'en fit aucune poursuite; et ce magistrat si sévère, celui qui affectoit le titre de défenseur des lois, et la partie déclarée de tous ceux qui attentoient à la liberté publique, garda sur l'assassinat d'un si grand homme un silence odieux, qui fit justement soupçonner que lui ou les siens ne s'étoient pas crus assez innocents pour soutenir toute sorte d'éclaircisse

ment.

Ce silence de Caius, encore plus criminel l'asque sassinat même, excita les plaintes publiques de toute la noblesse; et les plus honnêtes gens, même parmi le peuple, en tiroient de violents soupçons contre sa vertu. Pour éloigner le souvenir d'un crime si affreux et pour occuper les esprits, Caïus se servit de Q. Rubrius son collègue, qu'il engagea à proposer de nouveaux projets ce tribun exhorta le peuple à rebâtir

Carthage que Scipion avoit détruite, et à y envoyer une puissante colonie. Caïus appuya fortement cette proposition, et il n'oublioit rien dans toutes les assemElées pour déterminer le peuple à cette entreprise; il vantoit la fertilité du terroir, le voisinage de la mer, la sûreté et la commodité de son port; et comme il crut que dans cette conjoncture son absence de Rome et celle de Fulvius Flaccus ne seroient pas inutiles pour faire tomber ces bruits injurieux à sa gloire, (a) il en demanda et en obtint la commission, qui lui fut décernée par un décret public, conjointement avec Flaccus soupçonné comme lui du meurtre de Scipion.

Ils conduisirent en Afrique six mille familles de Rome, qu'ils mirent en possession de Carthage et de son territoire. Mais pendant qu'il étoit occupé à en relever les murailles, ou pour mieux dire à abattre les trophées de Scipion, Drusus, qui n'agissoit que par l'impression des conseils du sénat, se prévalut de son absence pour rendre Flaccus plus odieux; il rappeloit tous les indices qui le pouvoient faire soupçonner du meurtre de Scipion : c'étoit attaquer indirectement Caïus même, qui avoit des liaisons si étroites avec ce

sénateur.

Drusus dans tous ses discours le représentoit comme un homme violent, et comme un esprit séditieux qui ne cherchoit son élévation que dans les troubles de l'état. On l'accusa même d'avoir tenté de faire soulever les peuples d'Italie. On parloit de lui faire son procès :

(a) Vell. Paterc. lib. I, cap. 15, et lib. II, cap. 15. Plut. in Gracchis. App. de Bell. civ. lib. I, cap. 24.

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