Imágenes de páginas
PDF
EPUB

fans en être indigné, & qu'il répondit

دو

à ses amis à demi en colere; Qu'il ne >> croyoit pas que Dieu l'abandonnat >> jamais jusqu'au point de quitter la >> vie qu'il luy avoit fait la grace d'em>> brasfer; mais que fi ce malheur luy >> arrivoit, ce seroit une punition de

fon inconftance, & qu'il l'auroit bien >> merité.

Cependant le ton dont il avoit répondu ayant fait juger à fes amis qu'en s'opposant à ses desseins on ne feroit que l'y affermir, ils le quitterent. Les uns le plaignoient par des sentimens trop humains, les autres par des vuës toutes oppofées admiroient les graces dont Dieu l'avoit prévenu.

Pendant que ce qu'on vient de raconter se passoit à Tours & à Veret, on parloit dans le monde diversement de la retraite de l'Abbé de Rancé. Plufieurs l'attribuoient à des visions dont il ne fut jamais capable; quelques-uns prétendoient que ce fût l'effet d'un chagrin philosophique qui ne feroit pas de durée, & d'autres vouloient que fon dégoût du monde n'eût été caufé que par le desespoir d'y faire une auffi grande fortune qu'il l'avoit prétendu. La malignité alla jusques à sontenir qu'il ne quittoit le monde que pour y rentrer; que sa retraite n'étoit l'effet que d'une ambition fecrete & déguisée, qu'il al loit à ses fins par des routes, qui, pour être plus cachées, n'en étoient pas moins fûres, & que quand il y seroit parvenu, il quitteroit le masque, & reprendroit sa premiere maniere de vie. Peu de gens attribuoient sa retraite à sa veritable cause, tant le monde est éloigné de croire qu'on puisse se donner à Dieu par des motifs épurez & exempts de tout interêt..

[ocr errors]

L'Abbé de Rancé ayant appris les jugemens desavantageux qu'on faifoit des motifs de fa converfion, comprit combien il luy étoit important de se mettre au-deffus de tout ce que les hommes pourroient penser de luy.

H avoit été jusques alors d'une delicatesse infinie sur sa reputation. Dieu luy fit la grace de surmonter presque tout d'un coup une sensibilité si naturelle; il l'établit dans une indifference fi parfaite à l'égard des faux jugemens des hommes, qu'il laissa dire & penfer tout ce qu'on voulut sans se mettre en peine d'y répondre. On dira de moy tout ce qu'on voudra, dit-il dans une « de fes Lettres, pourvu que ma com se

1 1

>> fcience ne me reproche rien, je vi>> vray en repos. Pourveu, dit-il dans » une autre Lettre, que je fois à Dieu, > je compte pour ri n l'opinion des >> hommes; je donne la liberté au mon>> de de dire de moy ce qu'il luy plaira, >> je merite tout cela & bien davanta >>ge; cela me fera connoître encore >> plus l'importance de se mettre dans >> une retraite qui ne puiffe être inter >> rompuë par le commerce des hommes. >>> On me mande, écrit-il encore, que >> l'on est extrêmement surpris de ma >> conduite, je m'y fuis bien attendu, >> mais il faut achever l'œuvre de Dieu.

Quand les jugemens des hommes ne portent point à faux, & que la con science reproche qu'ils ont démêlé-les replis d'une conduite hypocrite a qui ne tend qu'à impofer, on n'a pas cette tranquillité, on s'agite, on fait des ef forts, on prend des détours pour se justifier. Le filence dans la calomnie fut toûjours la marque d'un cœur droit ; il n'ya dans ces occafions que la verité qui offenfe.

L'Abbé de Rancé gardoit exactement la réfolution qu'il avoit prise, de ne rien opposer aux jugemens injuftes que l'on faifoit de sa conduite, lors qu'une perfonne de qualité de ses amis le pria de luy mander confidemment quels avoient été les motifs de sa conversion. Il crut qu'il n'en étoit pas d'un ami comme du reste des hommes. Il se ré folut donc à luy répondre, mais il prit la précaution de l'engager à un secret inviolable.

Vous me demandez, luy écrit-il, « quelles ont été les raisons qui m'ont « déterminé à quitter le monde. Je vous ce diray simplement que je l'ay laisse, « parce que je n'y trouvois pas ce que « j'y cherchois. J'y voulois un repos « qu'il n'étoit pas capable de me don- « ner; & fi par malheur pour moy je de l'y avois rencontré, je n'aurois peutêtre pas jetté ny mes yeux ny mes vuës plus loin. Les raisons par où j'y pouvois tenir davantage, me déplurent de telle sorte, que je me fis ce honte à moy-même de les fuivre & ce de m'y attacher. Enfin les conversations agreables, les plaisirs, les def+ feins d'établissement & de fortune ce me parurent des chofes fi creuses & ce fi vaines, que je commençay à ne les e plus regarder qu'avec dégoût. Le mépris que j'eus pour la plupart des « hommes, en qui je ne vis ny bonne

"

Dy

ee

>> foy, ny honneur, ny fidelité, s'y >> joignit, & tout cela ensemble me >> porta à fuir ce qui ne pouvoit plus: >> me plaire, & à chercher quelque >> chose de meilleur.

C'est ainsi que l'Abbé de Rancé décrit les premiers dégoûts qu'il eut du monde. On y voit les commencemens. d'une converfion, les premieres impreffions de la grace, des tenebres qui fe diffipent, un cœur qui se déprend des. creatures, qui n'y trouve point de repos, qui commence à sentir qu'il n'est point fait pour elles, & qu'elles nepeuvent le rendre heureux. Tout eft na-turel dans ce recit, tout marque la fincerité de celuy qui le fait, il ne prévient point les mauvais jugemens qu'on avoit fait de luy, il n'y fait aucune attention, & il continue comme il avoit commencé.

[ocr errors]

Dieu ne manqua pas de venir dans. » ma penfée, & comme j'en avois tou> jours confervé la foy & le fentiment, → je ne doutay point que je ne le trouvaffle dans le besoin que j'avois de >> luy, & j'efperay même qu'il rempli > Foit ce grand vuide qu'y causeroit le > divorce que je voulois faire avec les > creatures. Je me retiray à la campa

[ocr errors]
« AnteriorContinuar »