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blit, la couronnant plus par fes vertus très chrétiennes, que par fes lys (14) ambitieux.

Il y a cependant une grande diférence entre fonder un Royaume, dont les bornes font renfermées dans celles d'une Province, qui n'est compofé que d'une nation; ou former un grand empire de diverses Provinces & de diférentes nations. Là, l'uniformité des loix, la ressemblance des coutumes, de la langue, du climat, unit, fi l'on peut dire, les parties avec elles-mêmes, & sépare le tout de tout ce qui eft étranger. Les mers, les montagnes, les riviéres font les bornes naturelles de la France, ce font des remparts que la nature a établis pour la conserver : mais en Espagne où la Monarchie eft divifée en tant de Provinces, où les nations & les langues font fi diférentes, où les inclinations & les climats font fi opofés; s'il faut une grande capacité pour en maintenir l'union, il n'en a pas falu une moindre pour la former.

Les

(14) Cette expreffion n'eft pas éxacte | le plus par fa valeur & par fes conquê& ne s'entend point: cette phrase eut tes; grand Capitaine, heureux dans eu un fens plaufible, fi on l'eût changée l'éxécution des projets qu'il formoit de cette maniére, la couronnant plus par réglé dans fes mœurs, apliqué au goufes vertus très-chrétiennes que par la fplen- vernement de fes Etats tant pour ce qui deur de fes lys. Mais la néceffité de ren- concernoit la police, que pour ce qui redre la même pensée que Gracian, gardoit la Religion; mais il étoit d'um'a mis dans celle de me fervir des ne ambition qui ne fe prefcrivoit point mêmes termes ; & la pensée eft auffi de bornes, & qui paffoit par-deffus toupeu jufte que l'expreffion: elle fem- tes les régles. Le défir de fe rendre feul ble faire de Clovis un Prince peu am- & abfolu Monarque de toutes les Gaubitieux, ou au moins un Prince dont les fut fa paffion dominante: s'il avoit l'ambition ne fortit point des bornes fçu la modérer, fa réputation en auroit que prefcrivent les loix du Chriftia-êté plus nette, la fin de fa vie plus innifme. Il ne fufit pas de placer des nocente; & l'on n'auroit point blamé penfées brillantes & des métaphores dans Clovis Chrétien, des cruautez fi ingénieufes, fielles ne font point éxac-opofées à la douceur & à l'humanité tement vrayes & fi elles déguifent le qu'on avoit admirées dans Clovis encore Payen.

vrai caractére d'un Prince. Clovis fut
un de ceux de fon fiécle qui fe fignala

Les Monarchies ne doivent point toujours leur établissement aux mêmes principes: ces principes varient suivant la difpofition des tems, & le génie des fondateurs. Ainfi Céfar transforma l'Ariftocratie en Monarchie, il n'eut pas moins de vertus que de couronnes : les Romains avoient conquis la plus grande partie du monde, César subjuga les Romains: autant qu'il y eut de Sénateurs & qu'il vainquit de capitaines, ce furent autant de Rois qu'il s'affujétit.

Le Grand Conftantin (15) donna lieu à la naissance de la Monarchie Pontificale: il transporta fon Empire en Orient, & fit de fes armes victorieufes un rempart à l'Eglife: il facilita la réduction de tout le monde fous le joug de la foy ; fes fucceffeurs n'ont point fçu finir ce qu'il avoit commencé ; ils n'ont point fçu profiter des circonstances qu'il leur avoit préparées.

Ifmael Sophi (16) fut doublement grand par fa valeur & par fa prudence. Il établit fon Empire, non fur les ruïnes

d'une (15) Conftantin premier Empereur | tions de leurs prédéceffeurs & les augChrétien fit bâtir la ville de Conftanti- mentérent. nople, où il transporta le fiége de l'Empire qui êtoit à Rome; mais néanmoins cette ville & toute l'Italie demeura fous fa domination ; & après lui passa sous celle de fes fucceffeurs. Les Papes doivent l'établissement & la confirmation de leur Monarchie à Pépin, à Charlemagne & aux Rois de France leurs fucceffeurs. Pépin s'acquit l'Italie par droit de conquête fur les Lombards qui l'avoient ufurpée fur les Empereurs Grecs, à qui leur foibleffe ne permettoit plus de protéger les Papes contre l'injuftice & la violence des Tirans. Charlemagne, Louis le Débonnaire & Charles le Chauve ratifiérent fucceffivement les dona

(16) Ifmael Sophi êtoit du fang d'Hali, dont il fit revivre la fecte. Il fut aimé des Soldats qui venoient de tous cotés fe ranger fous fes étendarts. Il rétablit la Monarchie des Perfans, l'augmenta confidérablement, fubjuga la Méfopotamie,& réduifit le Sultan de Babilone. Il êtoit contemporain de Sélim Empereur des Turcs; tous deux jeu, nes,ambitieux, vaillans, entreprenans, cruels & heureux dans leurs entreprifes. Sélim entra dans la Perfe, enleva Tauris ; mais il fut batu dans fa retraite au paffage de l'Euphrate. Ces deux. Princes furent l'un à l'autre un obftacle à l'acroiffement de leur grandeur, B

d'une Monarchie chancelante, mais en enlevant aux Ottomans leurs plus belles conquêtes, en arrêtant le cours de leurs succès, lorsqu'il fembloit que leur puiffance êtoit dans fon plus haut période; il fut l'instrument dont fe fervit la divine Providence, toujours atentive à la confervation du nom Chrétien, pour rabatre l'orguëil de cette Nation enflé par une fuite continuelle de victoires.

La rufe eft une maniére particuliére de fonder un Etat : elle consiste à faifir l'ocafion. Après que les Princes Chrétiens eurent, par des guerres inconfidérées, confumé alternativement leurs forces, épuisé leurs trésors, détruit leurs armées, les Turcs (17) profitant de leur foibleffe les ataquérent, enlevérent tout fans résistance : les hiftoires font plus remplies d'accidens que de combats.

La barbare Afrique vit fon ancienne gloire renouvelée dans fon fage Xérif (18) doublement héros, valeureux & politique.

(17) C'est à l'animofité des Princes Chrétiens que l'on doit reprocher la deftruction de l'Empire des Grecs, l'établiffement de celui des Turcs, & le peu de fuccès des Croifades. Un de ceux qui fçut le mieux divifer fes énemis & profiter de leur divifion, fut ORCHAN fils & fucceffeur d'Ottoman. Il n'eut pas moins d'habileté, de prudence & d'ambition que fon pére. Il êtoit libéral envers les Chrétiens, & tâchoit de fe les atirer, ce qui lui réuffit avec tant de bonheur que leurs diffenfions lui acquirent plus de lauriers que fes propres forces. Il prit pour femme la fille de l'Empereur Cantacuzéne, & à la faveur de la guerre que ce Prince fit à l'Empereur Paléologue, dont il devint le concurrent après en avoir êté le tuteur, il fe rendit maitre de la vil

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Ginghis

le de Nicée. Dans les guerres qu'il eut avec diférens Princes d'Afie, tantôt ligué avec l'un, & tantôt avec l'autre, il fe fervoit fucceffivement de leurs forces pour les détruire.

(18) Xérifou Zédamet donna commencement à l'Empire des Chérifs, qui fe rendirent infenfiblement maitres des Royaumes de Fès & de Maroc. Il s'êtoit retiré dans le défert pour y mener une vie folitaire, & s'atirer la vénération des peuples. Il n'en fortit que pour faire la guerre aux Portugais & aux Chrétiens: animant fes fils dé l'aparence de fon zéle, il fe fervit de leur difpofition à la profeffion des armes pour s'élever fur le Trone,& il y réuffit par la force & la fourberie foutenuë d'une grande aparence de religion. Il en tranfmit la fucceffion

Ginghis (19) émule d'Alexandre, envieux de fa gloire, conquit tout l'Orient depuis les murailles de la Chine, jufqu'aux forêts de Moscovie. Il commanda toute la Tartarie fous le nom de GRAND KAM: il laiffa à fes fucceffeurs le foin de foutenir ce grand nom.

Dans tous ces fondateurs de Monarchie, la grandeur d'ame correfpondit à celle de leur Empire. Peu de leurs fucceffeurs les égalérent : aucun (20), même de ceux qui étendirent les bornes de leur Etat, ne les furpaffa en valeur.

Le rang que le foleil tient parmi les aftres, Ferdinand le Catholique le tient parmi ces héros. La nature l'orna de fes qualités, la fortune le combla de ses faveurs, la renomée l'honora de fes aplaudiffemens, le ciel le revêtit de toutes les grandes vertus qui brillérent dans les Rois fondateurs : l'Empire qu'il établit, jouit de tout ce qu'on admire de meilleur dans toutes les autres Monarchies : il réunit plufieurs Couronnes en une feule (21), & un monde ne fufisant point à sa grandeur, fa capacité & fon bon

à fes defcendans, fous le nom de CHERIF qui fignifie perfonnage fage.

heur

Jéxemples qui lui feroient contraires.
Ce ne fera point la feule penfée de
Gracian, qui ait befoin de restriction.

(19) Le vrai nom de Ginghis êtoit Temufin, car Ginghis eft un furnom (21) Ferdinand pofféda toute l'ELqui fignifie Conquérant. Il naquit l'an pagne, excepté le Portugal. Son maria1154, d'un petit Prince Tartare. Il age avec Ifabelle réunit l'Aragon à la êté un très-grand Prince &un très-grand Caftille, & fous fon régne l'Espagne héros, & ce n'eft point une éxagéra-monta à un fi haut dégré de grandeur & tion que de le comparer à Alexandre. de puiffance que depuis, elle a donné Il tranfmit fes conquêtes à fes fuccef-de la terreur ou de la jaloufie à tous les feurs avec le nom de grand Kam, & plufieurs (quoiqu'en dife Gracian) le foutinrent avec dignité. La poftérité de ce Prince régne encore aujourd'hui en Tartarie fur les Ufbecs.

(20) Cette pensée eft trop générale, & l'Hiftoire pourroit produire plufieurs

autres Etats de l'Europe. Sous Philippe H, tous les Royaumes d'Espagne furent foumis à un feul Monarque: cette union dura peu, & fousPhilippe IV fon petit-fils, les Portugais révoltés se donnérent un Roy.

heur lui en découvrirent un autre (22). Il afpiroit à orner fon front des pierres orientales, ainsi qu'il avoit fait des perles (23) occidentales : fi de ses jours il n'en vint point à bout, il en enfeigna le chemin aux Princes que fon alliance rendit fes fucceffeurs. Il employoit l'art, où la force ne pouvoit avoir lieu.

Ferdinand fut de la race héroïque des Rois d'Aragon, toujours féconde mére (24) de héros.

Une

tion la plus dificile, qui confifte à apaifer par. fa feule autorité des féditions toutes formées. A peine fut-il débarqué, que les Soldats prirent le premier prétexte qui fe préfenta pour demander leur retour. Ximénés alla se mettre au milieu d'eux, faifit au colet le plus factieux, le fit éxécuter à mort fur le champ, & intimida les autres de

(22) L'Amérique fut découverte en | 1492 par Chriftofle Colomb, à qui Ferdinand après fept années de folicitations avoit donné le commandement de trois vaiffeaux. Il avoit êté auparavant refufé par les Génois, par le Roy de Portugal, & par le Roy d'Angleterre qui avoient traité fes propofitions de chiméres. Chriftofle Colomb entreprit cette glorieufe découverte fur les mé-forte qu'il ne leur arriva plus de fe foumoires que lui remit un Pilote, dont le vaiffeau allant en Afrique avoit êté jetté par les tempêtes aux côtes de l'Amérique.

lever. Oran & Melille furent prifes, Bugie & Tripoli rendus tributaires; & Ximénés s'en retourna dans fon Eglife de Toléde avec tant de gloire & de depouilles, que Ferdinand n'ofa plus penfer à lui.

(23) De ces expreffions métaphoriques, l'une fignifie les projets de Ferdinand contre les Turcs, & l'autre fes (24) Quand on ne fçauroit pas que conquêtes en Amérique. Ferdinand en- Gracian fut Aragonois, on le connoivoya en 148 des Ambaffadeurs aux troit par cette penfée qu'il femble répéPrinces d'Italie, pour former une ligue ter avec plaifir dans plufieurs endroits contre le Turc. Elle n'eut point d'éfet; de cet Ouvrage, & je n'en fuis pas fur& loin de les ataquer, on fut réduit à pris; car on loue volontiers fa patrie fe défendre, Pour les conquêtes d'Afri-lorfqu'on la peut louer avec vérité. En que, elles ne furent pas les fruits des éfet il y a eu peu d'Etats, où de grands travaux de Ferdinand, mais de ceux du Rois aient fuccédé à de grands Rois, Cardinal Ximénés. Ce Prélat difgracié avec plus de conftance qu'en Aragon. par Ferdinand, qu'il avoit toujours bien La néceffité de faire la guerre aux Mofervi, leva une armée de 16 mille hom-res, le peu de revenu afecté à la Coumes avec fes propres deniers, & la con- ronne, les éxemples de leurs fujets & duifit lui-même en Barbarie. Il de- le mépris où ils feroient tombés; mais vint Capitaine dans le peu de tems qu'il plus encore les loix de l'Etat les rendiemploya à paffer le trajet de la Médi- rent tous guerriers. Quelques-unes de terranée, qui fépare l'Espagne & l'Afri- ces loix méritent d'être raportées à caufe que: il en pratiqua d'abord la fonc-de leur fingularité. Les Aragonois après

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