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n'attendait pas de vous, adoucissent ses « déplaisirs et triomphent peu à peu de sa « fierté. Ménagez, seigneur, cette favorable a disposition; continuez, achevez de char<< mer cette belle esclave par de nouveaux << respects, et vous la verrez bientôt, rendue « à vos désirs, perdre dans vos bras l'a«mour de la liberté.

« Tu me ravis par ce discours, s'écria « le dey : l'espoir que tu me donnes peut << tout sur moi. Oui, je retiendrai mon im<< patiente ardeur, pour mieux la satisfaire; << mais ne me trompes-tu point, ou ne t'es-tu « pas trompé toi-même? Je vais tout à « l'heure entretenir l'esclave: je veux voir « si je démêlerai dans ses yeux ces flat<< teuses espérances que tu y as remar« quées. » En disant ces paroles, il alla trouver Théodora, et le Tolédan retourna dans le jardin, où il rencontra le jardinier, qui était cet esclave adroit dont il prétendait employer l'industrie pour tirer d'esclavage la veuve de Cifuentes.

« Le jardinier, nommé Francisque, était Navarrais il connaissait parfaitement Alger, pour y avoir servi plusieurs patrons avant que d'être au dey. « Francisque, mon « ami, lui dit don Juan, vous me voyez « très-affligé : il y a dans ce palais une « jeune dame des plus considérables de Va

LE DIABLE BOITEUX. T. II.

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«lence: elle a prié Mezomorto de taxer << lui-même sa rançon; mais il ne veut pas « qu'on la rachète, parce qu'il en est amou

reux.-Et pourquoi cela vous chagrine«t-il si fort? lui dit Francisque. C'est que « je suis de la même ville, répartit le To«<lédan ses parents et les miens sont in<< times amis il n'est rien que je ne fusse capable de faire pour contribuer à la « mettre en liberté.

«<-Quoique ce ne soit pas une chose aisée, répliqua Francisque, j'ose vous assurer a que j'en viendrais à bout, si les parents « de la dame étaient d'humeur à bien payer «ce service. N'en doutez pas, répartit « don Juan; je réponds de leur reconnais«sance, et surtout de la sienne. On la << nomme dona Théodora : elle est veuve

d'un homme qui lui a laissé de grands « biens, et elle est aussi généreuse que « riche en un mot, je suis Espagnol et « noble, ma parole doit vous suffire.

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« Hé bien, reprit le jardinier, sur la « foi de votre promesse, je vais chercher un «renégat catalan que je connais, et lui pro«poser... Que dites-vous! interrompit « le Tolédan tout surpris; vous pourriez « vous fier à un misérable qui n'a pas eu « honte d'abandonner sa religion pour...? Quoique renégat, interrompit à son

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«tour Francisque, il ne laisse pas d'être « honnête homme; il me paraît plus di«gne de pitié que de haine, et je le trou<< verais excusable si son crime pouvait « recevoir quelque excuse. Voici son his«toire en deux mots.

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« Il est natif de Barcelone, et chirur«gien de profession. Voyant qu'il ne fai<< sait pas trop bien ses affaires à Barcelone, « il résolut d'aller s'établir à Carthagène, « dans la pensée qu'en changeant de lieu

il deviendrait plus heureux qu'il n'était. « Il s'embarqua donc pour Carthagène « avec sa mère; mais ils rencontrèrent « un pirate d'Alger qui les prit et les « amena dans cette ville. Ils furent ven« dus, sa mère à un More et lui à un « Turc, qui le maltraita si fort qu'il em« brassa le mahométisme pour finir son «< cruel esclavage, comme aussi pour pro«< curer la liberté à sa mère, qu'il voyait << traitée avec beaucoup de rigueur chez le << More son patron. En effet, s'étant mis à « la solde du bacha, il alla plusieurs fois « en course, et amassa quatre cents pata<< gons : il en employa une partie au rachat « de sa mère; et pour faire valoir le reste, « il se mit en tête d'écumer la mer pour << son compte.

« Il se fit capitaine. Il acheta un petit

« vaisseau sans pont, et avec quelques « soldats turcs qui voulurent bien se join« dre à lui, il alla croiser entre Alicante et « Carthagène; il revint chargé de butin. « Il retourna encore, et ses courses lui « réussirent si bien, qu'il se vit enfin en << état d'armer un gros vaisseau, avec lequel << il fit des prises considérables; mais il « cessa d'être heureux. Un jour il attaqua << une frégate française, qui maltraita telle<< ment son vaisseau qu'il eut de la peine « à regagner le port d'Alger. Comme on « juge en ce pays-ci du mérite des pirates par « le succès de leurs entreprises, le renégat << tomba par ses disgrâces dans le mépris « des Turcs. Il en eut du dépit et du cha« grin. Il vendit son vaisseau et se retira << dans une maison hors de la ville, où, de<< puis ce temps-là, il vit du bien qui lui << reste, avec sa mère et plusieurs esclaves « qui les servent.

« Je le vais voir souvent: nous avons << demeuré ensemble chez le même patron: << nous sommes fort amis; il me découvre <«< ses plus secrètes pensées, et il n'y a pas e trois jours qu'il me disait, les larmes aux << yeux, qu'il ne pouvait être tranquille << depuis qu'il avait eu le malheur de renier « sa foi; que, pour apaiser les remords qui « le déchiraient sans relâche, il était quel

« quefois tenté de fouler aux pieds le tur<< ban, et, au hasard d'être brûlé tout vif, « de réparer, par un aveu public de son re« pentir, le scandale qu'il avait causé aux <<< chrétiens.

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« Tel est le renégat à qui je veux m'a« dresser, continua Francisque : « homme de cette sorte ne vous doit pas « être suspect. Je vais sortir sous prétexte « d'aller au bagne1: je me rendrai chez lui; « je lui représenterai qu'au lieu de se laisser « consumer de regret de s'être éloigné du « sein de l'Eglise, il doit songer aux moyens « d'y rentrer qu'il n'a pour cet effet qu'à « équiper un vaisseau, comme si, ennuyé << de sa vie oisive, il voulait retourner en « course, et qu'avec ce bâtiment nous ga«gnerons la côte de Valence, où dona « Théodora lui donnera de quoi passer « agréablement le reste de ses jours à Bar<<< celone.

« Oui, mon cher Francisque, s'écria « don Juan, transporté de l'espérance que « l'esclave Navarrais lui donnait, vous pou<< vez tout promettre à ce renégat: vous et << lui, soyez sûrs d'être bien récompensés. « Mais croyez-vous que ce projet s'exécute « de la manière que vous le concevez? — Il

1. Lieu où s'assemblent les esclaves.

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