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Il a vécu quatre-vingt-trois ans toûjours heureux, toujours admiré. Sa fanté fut parfaite ; & il n'eût d'autre incommodité, qu'un tremblement de mains fans aucune douleur. Il eft vray que fa mort à été longue & douloureuse: mais cela même n'a fait que rehauffer fa gloire. Comme il exerçoit fa voix pour fe préparer à remercier publiquement l'Empereur, du Consulat où il l'avoit élevé; un livre assez grand qu'il tenoit, échape par fon propre poids à un homme de cet âge, & qui étoit debout. Il veut le retenir, & fe preffe de le ramaffer; le plancher étoit gliffant, le pied luy manque : il tombe & fe rompt une cuiffe. Elle fut fi mal remife, que les os ne purent reprendre, la vieillesse s'oppofant aux efforts de la nature. Les obféques que l'on vient de faire répandent un nouvel élat fur l'Empereur, fur notre fiécle, fur le

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Barreau même. Corneille Tacite Conful, a prononcé l'Oraifon funébre. La fortune, toûjours fidelle à Virginius, gardoit pour derniére grace, un tel Orateur à de telles vertus. Quoyqu'il foit mort chargé d'années, comblé d'honneurs, même de ceux qu'il a refusez; nous n'en devons pas moins regretter ce modéle des anciennes mœurs.Mais perfonne ne le doit plus que moy, qui ne l'aimois, qui ne l'admirois pas moins dans le commerce familier, que dans les emplois publics. Nous étions originaires du même pays. Nous étions nez dans des villes voifines l'une de l'autre. Nos terres fe touchoient. Il m'avoit été laiffé pour Tuteur, & avoit eû pour moy la tendreffe d'un pere. Je n'ay point obtenu de charge, qu'il ne l'ait briguée publiquement pour moy; & qu'il n'ait accouru du fond de fa retraite pour

I m'appuyer de fa préfence & de fon crédit, quoyque depuis longtemps il eût renoncé à ces fortes de devoirs. Enfin le jour que les Prêtres ont coûtume de nommer ceux qu'ils croyent les plus dignes du facerdoce, jamais il ne manqua de me donner fon fuffrage. Cette vive affection ne fe démentit point pendant fa derniere maladie. Dans la crainte d'être élû l'un des cinq Commiffaires, que le Sénat a chargé du foin de retrancher les dépenfes publiques; il me choifit à lâge où vous me voyez, pour porter fes excufes par préférence à tant d'amis & vieux & Confulaires. Mais de quelles paroles obligeantes n'accompagna-t-il point cette faveur? Quand Faurois un fils, dit-il, je vous préférerois encore à luy. Jugez fi j'ay raifon de verfer dans votre fein les larmes que je donne à sa mort;

& de les verfer comme fi je n'avois pas dû m'y attendre : quoyqu'il ne foit peut-être pas trop permis de la pleurer, ou d'appeller mort le paffage qu'il a fait d'une vie courte, à une vie qui ne finira jamais. Car enfin il vit, & ne ceffera plus de vivre; jamais fi présent à l'efprit des hommes, jamais plus mêlé dans leurs difcours, que de puis qu'il ne paroît plus à leurs yeux. J'avois mille autres chofes à vous mander. Mais mon efprit ne peut fe détacher de Virginius; je ne puis penfer qu'à Virginius; fon idée me revient fans ceffe. Je crois l'entendre, l'entretenir, l'embraffer. Nous avons & nous aurons peut-être encore des Citoyens qui fauront atteindre à fes vertus : mais je ne crois pas qu'aucun arrive jamais au comble de fa gloire. Adieu.

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LETTRE I I.

A Paulin.

E fuis en colere, & tout de bon. Je n'ay pas encore trop bien démêlé fi c'est avec raifon. Tout ce qu'il y a de certain, c'eft que je fuis fort en colere. Vous fçavez que l'amour eft quelquefois injufte fouvent emporté, toûjours querelleur. Mon chagrin eft trèsgrand; peut-être n'eft-il pas trop jufte mais je ne me fàche ni plus ni moins, que s'il étoit auffi jufte que grand, Quoy! fi long-temps fans me donner de vos nouvelles! Je ne fache plus qu'un moyen de m'appaifer. C'eft de m'écrire à l'avenir fort fouvent, & de très-longues lettres. Je ne reçois que cette feu

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